Skip to main content

Full text of "Mémoires de l'Académie d'Arras, société royale des sciences, des lettres et des arts"

See other formats


This is a reproduction of a library book that was digitized 
by Google as part of an ongoing effort to preserve the 
information in books and make it universally accessible. 


Google books 


https://books.google.com 


Google 


À propos de ce livre 


Ceci est une copie numérique d’un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d’une bibliothèque avant d’être numérisé avec 
précaution par Google dans le cadre d’un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l’ensemble du patrimoine littéraire mondial en 
ligne. 


Ce livre étant relativement ancien, 1l n’est plus protégé par la loi sur les droits d’auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression 
“appartenir au domaine public” signifie que le livre en question n’a jamais été soumis aux droits d’auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à 
expiration. Les conditions requises pour qu’un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d’un pays à l’autre. Les livres libres de droit sont 
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont 
trop souvent difficilement accessibles au public. 


Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir 
du long chemin parcouru par l’ouvrage depuis la maison d’édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains. 


Consignes d’utilisation 


Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre 
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. 
Il s’agit toutefois d’un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les 
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des 
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. 


Nous vous demandons également de: 


+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l’usage des particuliers. 
Nous vous demandons donc d’utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un 
quelconque but commercial. 


+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N’envoyez aucune requête automatisée quelle qu’elle soit au système Google. S1 vous effectuez 
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer 
d’importantes quantités de texte, n’hésitez pas à nous contacter. Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l’utilisation des 
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile. 


+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet 
et leur permettre d’accéder à davantage de documents par l’intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en 
aucun cas. 


+ Rester dans la légalité Quelle que soit l’utilisation que vous comptez faire des fichiers, n’oubliez pas qu’il est de votre responsabilité de 
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n’en déduisez pas pour autant qu’il en va de même dans 
les autres pays. La durée légale des droits d’auteur d’un livre varie d’un pays à l’autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier 
les ouvrages dont l’utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l’est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google 
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous 
vous exposeriez en cas de violation des droits d’auteur peut être sévère. 


À propos du service Google Recherche de Livres 


En favorisant la recherche et l’accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le frangais, Google souhaite 
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet 
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer 


des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l’adresse http : //books.gqoogle.com 


BIBLIOTHECA S. J. 
Maison Saint-Augustin 
ENGHIEN 


_ 


a 


ST 


à 


0 “es rh = 
EE 
ske 


RP : 


Co AD, 
LP 


| < c = | 


Send D 


Fr 


LB 
MÉMOIRES 


L'ACADÉIIE D'ABEAS, 


SOCIÉTÉ ROYALE, 


DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES ARTS. | 


oies publique L 25 «Haut 1635. 


BIBLIOTHÈQUE S y 
Les Fontaines 
60 - CHANTILLY 


ARRAS, 
CHEZ JEAN DEGEORGE , IMPRIMEUR, 


RUE DU BLOC, N° 88, 
TOPINO, LIBRAIRE. 


1836. 


MÉMOURLES. 


SD tance publique du 25 août 1835. 


DISCOURS D’OUVERTURE, 
Par M. LAMARLE, vice-chancelier. 


Messieurs ,. 


Elle est belle autant qu'honorable, la tâche ré- 
servée à votre président lorsque, devant vous et en 
présence de l'élite de vos concitoyens, il vient ren- 
dre compte de vos laborieuses études et recueil- 
ir, dans l’assentiment public, la sanction de vos 
travaux et la digne récompense de vos généreux 
efforts. C’est aujourd’hui surtout, c’est lorsque cette 
solennité puise un nouvel éclat dans l’encourage- 
ment (1) qui vient de vous être décerné que cette 
*_ (1) C'est dans cette séance que l’Académie d'Arras sæçut la médaille 
qui lui était offerte par la Société française de statistique universelle. 

ñ 


Ke 


= d 

tâche était douce à remplir. Mais c’est en vain, 
Messieurs, que vous chercheriez ici celui que vos 
suffrages ont appelé à l’honneur de vous présider. 
Un accident imprévu le retient loin de nous. Vous 
n'entendrez pas une voix qui vous est chère, etcelle 
qui la remplace, impuissante à combler ce vide , ne 
peut adoucir vos regrets. nn 

Vous n'attendez pas de moi, Messieurs, que je 
me livre à l'examen des nombreux travaux que vous 
avez accomplis dans le cours de cette année. Ce 
travail, si je l'avais entrepris, eut porté l’empreinte 
de la précipitation que j'aurais mise à le faire; je 
n'aurais pu vous rendre qu’un compte incomplet 
ou inexact et, malgré l'indulgence à laquelle j’ai 
des droits, le manque de temps ne m’eut pas suffi- 
samment justifié. 

Espérons , Messieurs, que le succès qui vient de 
couronner vos efforts et le rang distingué qui vous 
est assigné par la Société Française de statistique 
universelle, viendront suppléer dignement à la ré- 
serve que les circonstances m'imposent et au silence 
que je suis forcé de garder. 

Le haut témoignage d'estime que vous avez reçu 
vous place en effet, Messieurs, au nombre des cinq 
sociétés de France qui ont le plus puissamment 
contribué au développement de la science statis- 
tique. A ce titre déjà, vous pourriez vous présenter 
avec confiance devant cette imposante réunion, 
mais ce n’est pas seulement vers ce but qu'ont été 
dirigés vos travaux et les rapports que vous allez 


a — 

entendre prouveront assez que vous avez su appeler 
l'attention publique sur d’autres questions non 
moins importantes, | 
: Je me bornerai à tracer ici une- esquisse rapide 
età prouver, par quelques aperçus, que l’Académie 
d'Arras, utile jusqu'à présent, ne doit pas cesser 
de l'être et que ce serait une erreur de croire sa 
mission accomplie. 

Il est incontestable sans doute que 4 lumières 
émanant du centre social trouvent maintenant un 
moyen fécond de propagation dans la publicité de 
la presse et qu'il n’est plus nécessaire, comme au- 
trefois, de les rassembler en faisceaux sur un grand 
nombre de points, pour les faire diverger ensuite, 
et arriver, sans être trop affaiblies, partout où la 
vie doit se répandre avec elles. Mais suit-il de là que 
_-les sociétés savantes soïent devenues impuissantes et 
inutiles ? Suit-il de là, que vous deviez vous laisser 
aller au découragement et abandonner cette. voie 
de progrès où vous marchez depuis si long-temps? 
Non, Messieurs, nous ne ke pensons pas et nous 
répondrons par des faits. 

S'il s'agissait pour vous d’une destinée qui s’a- 
chève et qui touche à son terme, en analysant les 
derniers de vos actes, nous ne tarderions pas à le 
‘reconnaitre, à la vue de ces symptômes de décré- 
pitude qui dénotent la faiblesse d’un corps qui s'é- 
puise et se désorganise. 

Il y a deux ans, et pour le but que je me propose, 
je ne dois pas remonter plus haut, il y a deux ans 


ne — 
ous avez mis au concours la question de la réforme 
andustrielle de l’armée et les routes stratégiques de 
l'Ouest sont là pour justifier de l'opportunité de 
gette grave question. 

L'année dernière la constitution de l’armée vous 
a fourni une question nouvelle et non moins im- 
portante. Il s'agissait des remplacemens militaires, 
On jugera par la lecture du rapport que vous allez 
-entendre de la profondeur de la plaie hideuse que 
vous ayez sondée. De nombreux renseignemens vous 
sont parvenus; vous avez trouvé dans votre sein de 
précieuses lumières, et si le concours n’a pas en- 
tièrement satisfait aux conditions du programme, 
si vous n'avez pas décerné le prix proposé, l'effet 
utile que vous aviez en vue n'en sera pas moins at- 
teint et nous pouvons espérer que vos études vous 
-auront mis.à même de rédiger et de présenter au 
gouvernement les bases d’une législation nouvelle 
et meilleure. | NZ 

Aujourd'hui enfin, fidèles à vos antécédents, 
vous venez, après avoir lutté contre la mendicité, 
combattre un des fléaux qui l’engendrent : vous 
voulez extirper cette lèpre qui rend l’homme sem- 
blable à la brute et naturaliser parmi nous les s0- 
giétés de tempérance, cette institution si féconde 
en résultats heureux sur le sol américain. Je pour- 
rais encore mentionner ioi l’étude à laquelle vous 
yenez de vous livrer sur un projet d'utilité départe- 
mental. Je pourraisdire que vous avez recueilli d'im- 
portants documentssur l'ouverture d’un canal entre 


5 
Arras et Boulogne, et que ces documents qui seront 
“bientôt Evrés à la publicité sont de nature àéclairer le 
conseil général et à le guider dans la décision qu'il 
doit prendre. Mais je m’arrête etsije ne parle pasde 
vos travaux agricoles, de vos études littéraires, c’est 
-que je crois avoir suffisamment prouvé que votre 
-marche n'a pas cessé d'être progressive, 
Prétendra-t-on que le champ où vous avez semé 
-des germes si fertiles vous est interdit désormais 
-et que si des améliorations sont possibles, le besoin 
en est assez généralement senti pour que votre ac- 
tion soit surabondante ? je ne puis l’admettre. Les 
données seules de l'expérience ne produisent en gé- 
néral que de faibles résultats. Gene sontpas les obser- 
vations isolées, les découvertes faites sur différents 
-points qui font avancer rapidement dans la voie du 
progrès. C'esten réunissantles faits analogues, en les 
comparant entr'eux, et en les considérant das l’or- 
dre des rapports qui les enchaîne que l’on marche à 
pas sûrs et sans jamais rétrograder. Maïs 11 n'est 
donné de procéder ainsi qu’à des esprits préparés 
-pour l'étude, mûris par l'habitude de la réflexion, 
-et accoutumés à saisir les points de contact qui unis- 
sent les faits entr'eux. C’est dire assez, Messieurs, 
que votre concours ne cessera pas d’être utile : c’est 
dire en même temps que quels que soient les progrès 
de l'esprit d'investigation, vous saurez marcher avec 
le siècle et y marquer votre place. 
Ainsi, Messieurs, tandis que les intérêts matériels, 

prenant chaque jour une nouvelle importance, me- 


re 


nacent d’envahir bientôt notre civilisation moderpe, 
votre mission est. clairement tracée; vous devez sgns 
doute défendre et conserver le précieux dépôt que 
vous ont légué vos prédécesseurs, mais vous dgvez 
aussi suivre et favoriser l'essor de l'mdustrie. 

Que de questions d’un haut intérêt pratique gur- 
giront pour vous dans ce riche et vaste domaine. Aux 
préjugés aveugles de la routine vous opposerez le 
flambeau de la critique et de la théorie. Aux taton- 
nemens craintifs et hasardeux de l’homme :1solé, 
vous substituerez ces heureuses tentatives que le suc- 
cès justifie, parce qu’elles reposent sur des données 
nombreuses et certaines, rassemblées et discutées 
avec soin. Libres de toute préoccupation étrangère, 
vous porterez partout vos investigations et lorsque, 
après un mûr examen, vous aurez reconnu la possi- 
bilité de certains perfeetionnemens, vous en assure- 
rez le bienfait au pays en provoquant ou en dirigeant 
vous-mêmes les expériences dont vos recherches au- 
ront fait ressortir l'opportunité. 

Telle est, Messieurs, l’immense carrière ouverte 
devant vous. Elle suffirait déjà à votre avenir, lors 
même que des questions d’un ordre plus élevé, pro- 
duit nécessaire du temps, ne devraient pas encore 
en augmenter indéfiniment l'étendue. 


HISTORIQUE 


L’ACADÉMIE D’ARRAS, 
Par M. CORNILLE , secrétaire-perpétuel. 


Messieurs, 


Vous avez désiré que je fisse, dans cette séance, 
l'historique de l'académie depuis sa formation jus- 
qu’au moment de sa dissolution, et depuis son ré- 
tablissement jusqu’à nos jours. Votre intention n’a 
pasété de m'en voir retracer tous lestravaux, vousavez 
voulu seulement que j'en saisisse l’ensemble et l’es- 
prit, en indiquant ceux qui ont dû avoir quelqu’in- 
fluence sur le bien-être matériel et moral du pays. 

Je dois d'abord et en peu de mots vous rappeler 
quel était l’état de la province d'Artois. Je dois vous 
dire aussi quelles sont les circonstances qui ont 
donné lieu à la création d’une académie. 

Vous savez, Messieurs, qu'il n'existait pas dans 


à 

les Gaules de contrée plus civilisée que l’Artois. Sa 
conquête avait été enviée longtemps avant que Jules 
César s'en fût rendu maître ; les richesses qu’un 
sol fertile et bien cultivé, qu’un commerce étendu 
y avsient attirées devaient être convoitées par les 
dominateurs du monde. 

Cependant l'antique cité des Atrébates croyait au 
plus brillant et au jilus durable avenir. Il en fut au- 
trement, elle éprouva les vicissitudes de la plus 
grande prospérité , et des plus cruels revers ; tour-à- 
tour les sciences et les arts y fleurirent, y jetèrent 
le plus vif éclat, et disparurent. 

L’Artois fut pendant plusieurs siècles le théâtre 
de guerres sanglantes qui lui devinrent si funestes 
que la renaissance des lettres ne s’y fit nullement 
sentir, Aucune langue n'avait pu s’y fixer par la 
raison qu'ayant appartenu tantôt à l'Espagne , 
tantôt à la maison de Bourgogne , tantôt à la France, 
son idiôme était devenu un composé de ceux des 
nations qui l'avaient successivement possédé et les 
arts n'y faisaient aucun progrès. 

Sous Louis XV son sort ayant été définitivement 
réglé , le goût des lettres commença à y renaître. 

Descitoyens dévouésauxquels on doit de la recon- 
naissance comprirent combien la réunion d'hommes 
érudits et laborieux devaient avoir d'influence sur 
la destinée de leur pays, et ils résolurent de former 
à cet effet une association. Parmi eux nous devons 
ciler le prince d’Ysenghein, gouverneur de la pro- 
vince, qui se mit à la lète d’une aussi honorable en- 


RIRES, D 
treprise, et l’aida de tout son savoir et de tout son 
crédit. 

L'association se réunissait pour lire à frais com- 
muns les écrits périodiques les plus intéressans, 
publiés dans les divers états de l'Europe, et elle 
s’efforçait d’en répandre tout ce qui pouvait éclairer 
le pays. 

Elle avait déjà produit d’heureux effets lorsque 
le 13 mai 1757, elle fut autorisée sous le ütre de 
société littéraire. Elle prit à cette époque une forme 
régulière et eut un réglement. 


Le sceau dont elle fit choix représentait deux jeu- 
nes aiglons , essayant leurs aîles sur le bord de leur 
nid avec cette devise : Vecdum volatu audaci. 


Elle tenait ses séances tous les samedis dans un 
local qui lui avait été affecté dans le palais du gou- 
verneur. 

La société se livrait principalement à des recher- 
ches sur l’histoire de la province, et à des discussions 
sur les principes et le génie de la langue française, 
ce que nous avons dit sur l'état de la langue dans 
le pays, vous a déjà fait sentir qu’elles étaient l’im- 
portance et l'opportunité de ces recherches. 

Le 14 juin de chaque année, elle tenait une 
séance publique; la première eut lieu le 14 juin 
1758, sous la présidence du prince d'Ysenghein. 

Les espérances qu’elle avait fait concevoir se réa- 
lisèrent bientôt : par ses soins, le goût des lettres se 
répandit davantage; l’idiôme s'améliora sensiblement 


2. 


2 A0 


et dés mémoires historiques furent publiés; on re- 
marque plus particulièrement ceux de MM. le baron 
Deslions et Hardhuin, (secrétaire perpétuel), deux 
de ses membres les plus distingués. : 

Les services que la société littéraire avait rendus 
tant sous le rapport de l'histoire que sous celui de 
Ja langue étaient si réels qu'ils fixèrent l’attention 
du gouvernement qui crut, au mois de juillet 1753, 
devoir l’ériger en académie royale des belles-lettres 
dans les termes les plus flatteurs. 

Ces lettres-patentes réduisaient le nombre des 
membres ordinaires à trente, et leur accordaient 
les honneurs, privilèges , franchises et liberté dont 
jouissaient les académiciens de Paris, à l'exception 
du droit de committimus. 

__ Les États d'Artois qui connaissaient les besoins 

de la province et savaient si bien y pourvoir, ne se 
contentèrent pas d'avoir accordé un local à l'aca- 
_démie , ils voulurent s'associer à ses travaux pour 
leur donner une direction plus utile encore : ils 
votèrent tous les ans des fonds destinés à offrir des 
prix aux auteurs qui traitaient des questions 
dont la solution importait le plus au bien général ; 
ils fondèrent même spécialement un prix de cinq 
cents francs pour être décerné aux meilleurs ou- 
vrages sur des sujets d'histoire, d'économie rurale, 
ou de commerce. 

L'académie ne manqua pas de suivre l'impulsion 
donnée, elle reconnut que cette direction devait 
avoir d'immenses avantages. Ses travaux seront 


4 — 


donc tivsormais consacrés principalement aux F quesr 
üons d'utilité générale. 


Nous voyons qu’une : des premières dont elle 
s'occupe est celle de savoir si toutes les terres de 
l'Artois étaient propres à être ensemencées chaque 
annéc et quelle était la meilleure méthode à suivre 
pour faire produire tous les ans des récoltes avec. 
avantage à celles qu'on jugerait utile de dessoler. 

À cette époque, l'académie adopte une idée fé- 
conde en résultats ; elle déclare que toutes les terres 
de l'Artois sont susceptibles d’un rapport annuel, 
et provoque un système de culture que l'expérience 
a du reste confirmé. 


Plus tard, nous la voyons rechercher avec soin 
quelles étaient autrefois les différentes branches du 
commercé dans la province d’Artoïs, en remontant 
même au temps des. Gaulois, et quels étaient les 
moyens de les rétablir, notammeent les manufac- 
tures de la ville d'Arras; elle rassemblait sur ce sujet 
des documens précieux dignes d’être consultés au- 
jourd’hui. Nous la voyons, à une autre époque, s’oc- 
cuper des chemins et examiner s'il était avantageux 
d'en réduire le nombre pour donner, à ceux que 
l'on conserverait, une plus grande largeur, elle con- 
tribuait ainsi par ses recherches à l'amélioration des 
chemins dont les États d’Artois faisaient un “objet 
principal d de leur administration. 


, Dans un temps plus rapproché, elle étudiait une 
Te question d’une grande importance; celle de 


— 19 — 


savoir s'il était utile en Artois de diviser les fermes, 
et quelles seraient les bornes qu’il conviendrait 
d'apporter à cette division. 

En 1787, elle recherchait quelle était la meilleure 
méthode à employer pour faire des pâturages pro- 
pres à multiplier les bestiaux. 

En 1788, les meilleurs moyens de multiplier les 
bêtes à laine et de procurer aux laines une qualité 
plus parfaite, 

Elle recherchait encore, à la même époque, le 
meilleur moyen de rendre invariables les bornes 
champètres, 

L'académie s’occupait ainsi à rassembler tous les 
élémens de progrès lorsqu'un décret du 8 août 1793 
supprimant les sociétés savantes vint tarir pour 
l'Artois les sources de prospérité quelle s’efforçait 
d'ouvrir, 

Telle fut la cause de la dissolution de cette an- 
cienne association qui se composait alors d'hommes 
dont plusieurs sont généralement connus soit par 
leurs actes, soit par leurs travaux. 

Nous voulons parler de MM, Briois père et fils, 
magistrats d’un grand savoir; Dubois de Fosseux, 
connu par sa vaste érudition et son amour du 
bien public; Enlart de Grandval qui a consacré 
toute sa longue existence à l'étude, et dont les lu- 
mières ont été si utiles à l'académie ; Buissart, 
savant laborieux , autant versé dans les lettres que 
dans les sciences ; Lenglet, publiciste et littérateur 
distingué; Carnot, ministre, citoyen savant au-dessus 


_— 13 — 


de tout éloge; de Marescot, une des illustrations 
du génie militaire; Jacquemont, que des ouvrages 
philosophiques ont placé si haut. Il avait un fils, 
digne espoir de sa famille et de son pays. Comme 
Duvancelle, entraîné sous un ciel brûlant par l'a” 
mour des recherches scientifiques, il y fut comme 
lui, surpris par une mort prématurée. Quel deuil 
pour ses amis, quelle perte pour les sciences! 

| {1 était un autre homme qui s'était fait connaître 
comme avocat ; ik était auteur d’un ouvrage remar- 
quable, couronné par l'académie de Metz en 1785, 
sur le préjugé qui étend sur tous les individus d'une 
même famille, une partie de la honte attachée aux 
peines infämantes que subit un coupable. L'acadé- 
mie d'Arras lui avait ouvert ses portes. Depuis... 
l'histoiré: a buriné son portrait. i | 

On comptait lors de la dissolution parmi les 
membres honoraires, MM. Delaplace, Droz, de 
Sacy, Filassier, de Pastoret, de Courset, M! Le- 
masson-Keralio et Duchaillie. . 

Ici finit la première époque. 

Toute une révolution va s’opérer et donnera le 
jour aux idées les plus généreuses et les plus libé- 
rales; après les premières crises on verra, de toutes 
parts et dans tous les gènres, se former des imstitu- 
tions utiles, et cependant l'académie d'Arras ne 
cherchera pas à profiter dé tant de circonstances 
favorables pour se reconstituer. 

Comment s'est-il fait qu’au milieu de l'élan im- 
primé de tous côtés aux sciences et aux arts et qui 


—_ Ah — 

assuraient à notre patrie, sous ces rapports, auiz:+ 
de gloire quelle en avait acquise par les armes, 
Ja ville d'Arras soit restée, pour ainsidire, sta- 
ionaaire dans ce mouvement général, et ait sem- 
blé se contenter de quelques améliorations apportées 
à l’agriculture, et de l’extension donnée à la fabri- 
_calion des huiles, et au commerce de grains? 

Quoiqu'il en soit, la nécessité de ramener le pays 
au niveau des connaissances du siècle, fut enfin 
sente, on comprit aussi qu'il fal' sit rendre l’exis- 
tence à cette ancienne association dont on avait 
retiré de grands avantages. 

Le vœu de son rétablissement fut émis par de 
conseil d'arrondissement; en 1816 le magistrat qui 
administrait le département l'accueillit avec em- 
pressement,, 1l s’en empara et le fit valoir auprès 
du ministre de l’intérieur qui, le 23 mai1818, 
autorisa le rétablissement de l'académie, en ap- 
prouvant les nouveaux statuts qui différent peu de 
ceux de 1773. 

Les anciens membres qui existaient ençore se 
réunirent à ceux désignés par le ministre et firent 
des nominations qui la complétèrent, 

L’académie ne pouvait être abandonnée à ses 
propres ressources ;. nous rappelons, avec recon- 
naissance, que le conseil général du département, 
ne voulant pas faire moins que les États, d'Artois, 
vote tous les ans une partie des fonds qui lui sont 
nécespaires. 

- Le conseil municipal de la ville d’ réa qui fait 


— 


tout pour l'instruction, les arts et Pindustrie, n'a 
pas voulu de son côté rester étranger à cette insti- 
tution, et il lui vote aussi une allocation annuelle, 

C'est avec ces ressources et les cotisations de cha- 
cun de ses membres résidans que l'académie a pu 
suivre le cours de ses travaux. 

Ainsi reconstituée et encouragée , elle n’a jamais 
perdu de vue l’exemple de ses prédécesseurs, ellké . 
a toujours été pénétrée de cette vérité que si les 
lettres et les arts libéraux contribuent à la gloire 
et au bonheur des nations, les sciences et les arts 
utiles ont une influence plus grande et plus directe 
sur sa prospérité; elle a donc porté principalement 
ses encouragemens sur tout ce qui regardait le com: 
merce , l'industrie, l'agriculture, et sur tout ce qui 
tenait à l’économie publique. Nous allons donc la 
voir s'attacher sous ces rapports à la solution des 
questions du plus haut intérèt. 

D'abord elle jette les yeux sur l’industrie existante 
à Arras; elle y voit deux établissemens encore dans 
l'enfance, mais dirigés par des hommes doués de 
ce génie et de cette persévérance qui créent, fon- 
dent les industrics, et les font prospérer au profit de 
tous ; elle en étudie aussitôt le régime et le méca- 
nisme, se rend compte de tout ce qui les concerne, 
entrevoit leurs développemens futurs, et cherche à 
allüirer sur eux l'attention publique , en imprimant 
des rapports que naguères on consultait encore 
pour avoir une idée précise et exacte de l’une de 

er dsetries, | L 


__ A6 — 


L'imrnense accroissement, que les établissements 
de MM. Crespel-Dellisse et Hallette ont pris, justifie 
toutes les prévisions de l’académie, elle peut au- 
jourd’hui les montrer à la France, elle peut dire 
voilà les hommes que j'ai encouragés et dont j'ai 
soutenu les prodigieux efforts, elle peut dire à la 
ville d'Arras, voilà deux causes principales de votre 
nouvelle prospérité ; je les avais devinés, je ne suis 
pas restée étrangère à leur développement. 

Lorsqu'il y a seize ans la fabrication du sucre in- 
digène trouvait tant d’incrédules et même des dé- 
tracteurs, l’académie en publiaitlesbienfaits. À une 
autre époque, elle la défendait contre les projets 
d'impôts ou de réduction de droits sur les sucres 
étrangers. 

La même sollicitude s’étendit aux autres bran- 
ches d'industrie : l’établissement de MM. Catez et 
Dantin fut aussi visité, examiné, apprécié dans ses 
résultats. 

La confection des dentelles et la fabrication des 
huiles appelaient des améliorations qui furent si- 
gnalées. 

Le rétablissement de nos anciennes et si floris- 
santes manufactures fut démontré possible pour 
quelques-unes et avec des chances de plus grands 
succès. 

En agriculture, que n’a pas fait l'académie pour 
provoquer et obtenir des progrès; il suffit de rap- 
peler les mémoires qu’elle a publiés sur l'état ac- 
tuel de l’agricultare dans le département du Pas-de- 
Calais et les meilleures méthodes à suivre. 


SR | pee 

Sur les avantoges et inconvéniens de la vaine 
pâture. 

L'état positif de nos troupeaux de moutons, la 
perfection et l’imperfection des races indigènes. 

Les erreurs, les habitudes routinières et les pré- 
jugés qui entravent les progrès de l’agriculture. 

Sur la multiplication et le bon emploi des engrais, 
et les avantages du nouveau système de cultiver les 
assolemens raisonnés. 

Sur l’action des engrais sur les plantes et de 
celles-ci sur les engrais dans la végétation. 

Sur les impôts et leurs effets; s'ils sont plus 
marqués que chacun des composant employés sé- 
parément. 

Sur les avantages que Tintroduction des instru- 
tramens aratoires perfectionnés a apportés à l’agri- 
culture depuis quinze ans dans le département. 

Sous le rapport de l’économie publique, il est 
peu de questions importantes que l'académie n'ait 
traitées. 

Dès 1819, elle rappelait cette vérité que tous les 
citoyens avaient indistinctement le droit d'éclairer 
leur raison et de s’instruire, que parmi les droits 
sacrés contre lesquels nulle puissance ne peut pres- 
crire, il n’en était pas de plus précieux, puisqu’une 
trisle expérience apprend qu'il n'existe d'égalité 
réelle qu'entre les hommes. 

Elle a indiqué également les réformes qu'elle ju- 
geait nécessaires dans le mode d'enseignement des 
collèges. 


3. 


« 


18. — 

Dans le régime des prisons, dans le soit des con- 
damnés qui, après avoir subi leurs peines, ne 
savent où reposer leurs têtes. 

Dans les monts-de-piété , leurs frais d’administra- 
tion intérieure et le taux des intérêts. 

Si la mendicité, cette lèpre des états civilisés 
désole encore notre cité, il ne faudra pas s’en pren- 
dre à l'académie, qui depuis douze ans, en sollicite 
avec persévérance l'extinction , indique les moyens, 
en développe les conséquences pour le bien-être 
général. 

Il suffit sans doute que toutes les améliorations 
soient connues pour qu’enfin elles s’opèrent. C'était 
son devoir de les signaler, il faut maintenant s’en 
reposer sür l'amour de l’humanité qui doit animer 
ceux qui sont encore mieux placés pour les bien 
apprécier. 

Pendant que l'académie suivait le cours de ses 
recherches, elle éprouva une marque d’estime et de 
confiance qui dût la flatter : elle fut reconnue par le 
gouvernement le 2/4 septembre 1828, sur le rapport 
du ministre de l’intérieur et l’avis du conseil-d’état. 

C’était la plus honorable approbation qu’on put 
donner à ses travaux; c'était le plus grand encoura- 
gement qu'elle püt espérer. 

J] lui a fait renouveler et avec plus de force peut. 
être le vœu qui n’a cessé de l’animer et qui n'a d’au- 
tre but que le développement de tout ce qui est 
utile et les progrès de la civilisation. 

Ce vœu n’est fondé sur aucune prétention aca- 


— 19 — 


démique , il a pour unique base l’ardent amour que 
chacun de ses membres porte à son pays, et le vif 
désir de le voir lorsqu'il est déjà si favorisé par la 
nature, ne rester en: arrière dans aucune des con- 
naissances, humaines. 


| RAPPORT 


sur 


LE CONCOURS D'’AGRICULTURE , 


Par M. THIBAULT, membre résidant. 


Messieurs, 


Une question toute palpitante d'intérêt en agri- 
culture et qui, par son actualité était digne de fixer 
l'attention de tous les agronomes amis du bien-être 
de leur pays et jaloux des progrès de cet art si utile, 
a été proposée par vous au concours de cette année. 

Le sujet de cette question était d'indiquer quels 
seraient , dans l'arrondissement de St.-Pol, les 
moyens de supprimer les jachères et de substituer 
avec avantage à la culture par sole la culture alterne, 
avec introduction de prairie artificielle? 2°. Quels 
obstacles cetie contrée oppose à cette amélioration ? 

La société avait lieu de s'attendre que sur un 
sujet aussi important, une foule de cultivateurs ins- 
truits se seraient empressés d'entrer dans la lice et 
de vous soumettre le résultat de leurs lumières et 
de leur expérience : aussi a-t-elle vu avec regret 


— JU — 


que son appeln’ait point été entendu et qu'il n'y ait 
eu qu’un seul mémoire susceptible de pouvoir figurer 
au concours; je dis un seul parce qu'on ne peut consi- 
dérer comme tel quelques notes sommaires qui 
vous ont été adressées en forme de lettre et dont 
l’auteur s'étant d’ailleurs fait connaître, contraire- 
ment à votre réglement, ne peut-être admis à con- 
courir. Le rapport que votre commission m'a chargé 
de vous présenter, n’aura donc pour objet que l’exa- 
men du mémoire portant pour épigraphe : Sed 
tamen alternis facilis labor. 

L'auteur de ce mémoire débute par nids 
les anciens comme n'ayant eu aucune connaissance 
en physique, et dès-lors il attribue l'établissement 
du principe des jachères à la croyance où ils étaient 
que la terre qui, au bout d’un certain temps, deve- 
nant pour ainsi dire stérile à leurs yeux, avait 
comme les animaux besoin de repos. 

Nous sommes loin de partager le jugement que 
l’auteur porte sur les anciens et qui constituerait à 
les déshériter de toute connaissance en physique, 
mais nous dirons que si la croyance qu’il leur impute 
a pu être l’une des causes de l’origine de la jachère, 
elle n’est assurément point la seule et que d’autres 
motifs encore ont pu et dû nécessairement contribuer 
à son introduction. Nous pensons et notre opinion à 
cet égard n'est point isolée, que dans des tems re- 
culés, lorsque les moyens d'exploitation n'étaient 
point en rapport avec l'étendue des terres mises en 
culture : par exemple dans des tems d’invasion, de 


— 29 — 

guerres civiles ou de troubles, lorsqu'une multitude 
de bras employés au métier des armes, étaient dé- 
tournés des travaux de l’agriculture , il a bien fallu, 
par nécessité et par la force des circonstances, res- 
treindre la culture et abandonner à l’état d’impro- 
duction une partie plus ou moins étendue des ter- 
rains que le manque de iravailleurs ne permettait 
pas d'exploiter. Si l’on joint à ces circonstances le 
peu d'instruction et de connaissances agricoles dans 
les campagnes, le peu de succès qu'ont pu obtenir 
des essais et des innovations mal combinés ou irré- 
fléchis, l'insuffisance ou le manque de végétaux 
nécessaires pour pouvoir alimenter tous les terrains 
susceptibles d’être soumis à une culture régulière, 
enfin l'impossibilité de trouver dans le peu de res- 
sources que pouvaient offrir certaines localités, les 
moyens de réparer par des engrais les pertes de la 
terre et de lui restituer les sucs que les récoltes 
auxquelles elle était annuellement soumise avaient 
pu lui enlever, on se convaincra facilement que le 
système des jachères consacré d’ailleurs par la force 
de l’habitude et préconisé par l'ignorance et la rou- 
tine , se soit, à l’aide de l'erreur et des préjugés, 
peu à peu enraciné dans les esprits comme une 
nécessité et se soit d’âge en âge perpétué jusqu à 
nous. Telles sont, selon nous, les principales cau- 
ses qui ont pu puissamment contribuer au maintien 
de cette pratique vicieuse que nous combattons et 
qui doit un jour disparaitre devant les progrès de 
la science el les efforts réunis de tous les hommes. 


99 = 


qui, par amour du bien public, tendent à propager 
les vrais principes et à bien pénétrer les masses de Ia 
nécessité de substituer aux anciennesroutines les mé- 
thodes et les pratiques qui sont seules susceptibles 
de produire des résultats avantageux et d’heureuses 
améliorations. 

L'auteur signalant ensuite d’une manière rapide 
les inconvénients et les désavantages que présente le 
système des jachères, dit que les terres de l’arron- 
dissement de St.-Pol peuvent facilement se prêter à 
un mode de culture beaucoup plus productif, c’est- 
à-dire, la culture alterne, basée sur l'aptitude de 
la terre à donner des productions continuelles, en 
employant les moyens propres à la féconder et en 
lui confiant les plantes convenables à sa nature. Il 
indique comme seul moyen de faire porter cons- 
tamment à la terre de bonnes récoltes, sans toute- 
fois trop l’épuiser, de varier ses produits. Il propose 
aussi comme moyen de remplir le même but qué 
la jachère, la méthode de faire succéder à une 
plante qui cherche sa nourriture à la surface 
de la terre, (le scourgeon par exemple) , une autre 
plante telle que l’avoine qui va la chercher dans une 
terre plus profonde; dans son opinion, ces deux 
plantes auront une végétation aussi brillante que 
s'il y avait eu entre elles une jachère qui n’aurait pu 
servir à augmenter le suc destiné à la végétation de 
la seconde récolte. De même, si après une récolte 
remplie d'herbes nuisibles, il en vient une autre 
(œillettes, fèves, pommes de terre) qui demande 


op = 

d’être sarclée, ne remplissez-vous pas alors, dit-il, 
le but de la jachère, qui est de purger la terre des 
mauvaises herbes qu’elle renferme ? 

L'auteur professe qu'il y aurait économie d’en- 
grais à faire succéder à une plante épuisante telle 
que l’avoine, d’autres plantes propres à rendre à la 
terre les sucs qu’elle a perdus, telles seraient les 
prairies artificielles qui peuvent, par leur variété, 
convenir à toutes les terres de l’arrondissement de 
St.-Pol. Il] passe ensuite rapidement à la descrip- 
tion des différentes natures de terrains qui compo- 
sent particulièrement cet arrondissement et des 
espèces de prairies que leur sol demande. Il distin- 
gue dans cette contrée quatre espèces principales 
de terres qu'une simple inspection suffit pour faire re- 
connaître : 1° les terres crayeuses, dans lesquelles 
domine la craie que l’on reconnaît facilement à la 
couleur blanchâtre du sol; dans ces terres se plaisent 
le trèfle jaune, la luzerne, le sain-foin, les œillettes. 

2°, Les terres glaiseuses, dans lesquelles on trouve 
une grande quantité d’argile qu’on peut reconnaitre 
au tact, par leur composition gluante et visqueuse 
et à la vue par les crevasses que la chaleur occa- 
sionne à [eur surface ; — à ces terres conviennent 
le trèfle blanc, le trèfle jiune, la luzerne, le sain- 
foin, les colzats, les œillettes et camelines. 

5°. Les terres quartzeuses dans lesquelles domine 
le silex que la vue seule suflit pour découvrir. Ces 
terres demandent les mêmes plantes que les terres 
glaiseuses. 


— 95 — 

4. Les terres franches ou bonnes terres, dans 
lesquelles il entre en plus ou moins grande quantité 
de l'argile, du gypse, du sable et de la terre végétale ; 
c’est-à-dire, des matières animales ou végétales en 
décomposition; on s'assure qu’une terre est franche 
quand elle n’est pas assez compacte pour faire sé- 
_journer l’eau à la surface , ni assez friable pour per- 
mettre à la chaleur de dessécher son sein ; — à ces 
terres conviennent particulièrement le trèfle rouge, 


le trèfle incarnat, le ray-grass, le lin, les colzats, les 
œillettes et la cameline, 


\ 


L'auteur termine cette première partie de son 
mémoire en proposant un mode d’assolement qu'il 
suppose applicable à l'arrondissement de St.-Pol. 
Le mode qui, selon lui, devrait être adopté à cet 
égard consisterait dans l’assolement quatriennal. Je 
suppose, dit-il, une culture de 200 mesures de terre 
dont chacune des espèces citées plus haut formerait 
“un quart — les 200 mesures doivent être divisées 
en 4 lots formés chacun par un quart de chaque 
espèce de terre, de sorte que chaque année les lots 
fournissent successivement les terres qui conviennent 
à toutes les espèces de prairies, de céréales et de 
graines grasses et facilitent par ce moyen la régu- 
larité des produits. — Voici l’ordre qu’il propose de 
suivre, sans parler des terres qui conviennent aux 
grains d'automne et de mars. 


PREMIÈRE ANNÉE. 


Bonnes terres — ray-grass, incarnat — faire 


h. 


_ 96 — 


après sa récolte parquer des moutons pour lui faire 
succéder du plant de colzat — trèfle rouge retourné 
après une 2° coupe, 

1° lot. Terres crayeuses — trèfle jaune, sain-foin, 
Terres quartzeuses et glaiseuses — trèfle blanc, trèfle 
jaune, luzerne. 

Les terres qui ont porté, toutes ces prairies doi- 
vent être fumées après leur récolte. 
_ 2% Jot. Bonnes terres —lins, cameline. \ 

Terres crayeuses — œillettes. 
Terres quartzeuses et glaiseuses, 
— colzats, œillettes. 

3° lot. Blé, scourgeon, seigle. Fumer la terre 
après leur récolte. 

4° lot. Avoines, hivernaches, fèves. }sarclécs. 

Et ainsi successivement, dit l’auteur, en chan- 
geant pendant quatre ans les produits de chaque 
lot de sorte que les graines grasses se trouvent à la 
place des prairies artificielles et quelles soient elles. 
mêmes remplacées par les grains d'automne à qui 
les grains de mars doivent succéder et ainsi de suite. 

Telle est l'analyse de la première partie du mé- 
moire qui n'est lui-même, à proprement parler, 
qu'une simple analyse. En effet, dans toute cette 
partie, l’auteur n’a fait qu'aborder et effleurer son 
sujet sans le creuser ni l’approfondir. Il ne l’a point 
traité à fond — son travail n’est qu’une légère es- 
quisse qui manque des investigations nécessaires 
pour porter la conviction dans les esprits. C'est vai- 
nement qu’on y chercherait une discussion des 


sarclées. 


97 


différentes méthodes de culture entre-elles ; c’est 
vainement qu’on y chercherait également une dé- 
monstration raisonnée des différents obstacles que 
la jachère eppose journellement aux progrès de l’a- 
griculture et des influences que la routine exerce 
sur les cultivateurs pour les maintenir à rejeter loin 
d’eux les pratiques nouvelles que la science et l’ex- 
périence leur signalent comme plus profitables et 
et plus avantageuses. C'est encore vainement enfin, 
qu'on y chercherait une série de raisonnements 
susceptibles de justifier les conséquences qu'il veut 
faire découler des moyens qu’il indique. En un mot, 
il n’y a point d’argumentation, chose cependant 
nécessaire et même indispensable pour parvenir à 
convaincre et surtout à faire revenir de leur erreur 
des esprits prévenus et imbus de préjugés. H eût 
fallu que l’auteur, pour bien démontrer ses propo- 
sitions, entrât dans des détails ct des développe- 
mens plus étendus; qu’il démontrât surtout la su-. 
périoritéet les avantagesdu système de culture alterne 
qu’il propose, sur celui qu’il combat; qu'il fttoucher 
du doigt, pour ainsi dire, par des calculs bien. éta- 
blis la réalité des. bénéfices que le cultivateur doit 
recueillir d'un changement de méthode. Cela était 
d'autant plus essentiel que l'intérêt seul peut ame- 
ner les habitans des campagnes à des innovations. 
Cette partie est donc incomplète et insuffisante. 
Elle ne peut. pas être considérée comme ayant at- : 
teint le but de la question ni justifié l’attente de la 
société. 


__ 98 — 

Quant à l’assolement quatriennal que l’auteur 
propose d'introduire dans l'arrondissement de 
St.-Pol, nous pensons que ce mode ne pourrait être 
adopté par les cultivateurs qui n’ont point de mar- 
ché à eux. En effet, la position dans laquelle ces cul- 
tivateurs se trouvent d’après leurs baux ne nous 
semble pas pouvoir leur permettre de le pratiquer. 
La plupart d’ailleurs n’en auraient peut-être pas les 
moyens ni les facultés. Au surplus, comme les baux 
n’embrassent ordinairement qu’une période de 
neuf années, comment pourraient-ils faire eoncor- 
der un assolement quatriennal avec une jouissance 
ainsi déterminée et aussi restreinte. Supposons 
qu’au commencement d'un bail de neuf ans, un 
cultivateur adoptât l’assolement quatriennal; que 
ferait-il dans la dernière année qui lui resterait à 
exploiter après la révolution des deux assolements 


qu'il aurait utilisés? on ne peut le prévoir. Il fau- 


drait done qu'il laissät ses terres en friche et renon- 
càt à toute espèce de récolte ou il faudrait qu'il 
rompit l’assolement ; mais alors ce serait agir contre 
le but mème que l’on veut atteindre, ce serait intro- 
duire le désordre dans la culture. Dans cet état des 
choses cet assolement ne paraissant pas convenable, 
il n’y aurait donc que l’assolement triennal quisem- 
blerait susceptible de pouvoir être introduit et mis 
pratique, parce qu'il pourrait se concilier avec la po- 
sition des fermiers non propriétaires de leur marché; 
position à laquelle l’auteur n'a peut être pas pensé. 
ou sur laquelle il n’a sans doute point assez réfléchi. 


— 99 — 


Arrivons maintenant à la deuxième partie du mé- 
moire dans laquelle l’auteur s’est occupé de signaler 
les obstacles qui, selon lui, s'opposent à l’introduc- 
tion de la culture alterne. Cette partie ne comporte 
en tout qu'environ 35 lignes. C'est assez dire que 
l'auteur n’a fait que les indiquer d’une manière on 
ne peut plus succincte. Il cite en première ligne 
celui qu’apportent les propriétaires par la courte 
durée des baux qu'ils accordent et par la dé- 
fense qu'ils font de dessoler les terres. Vient ensuite, 
dit-il, la grande division des propriétés et par consé- 
quent leur éloignement des chemins, et leur encla- 
vement ; enfin à ces causes il se borne à ajouter le 
mauvais élat des chemins qui ôte aux cultivateurs 
la facilité de se procurer au dehors des engrais par- 
fois nécessaires à leur culture.et de transporter en 
temps et saison convenables ceux qu’ils ont faits chez 
eux. | 

Cette partie, comme on le voit, laisse encore plus 
à désirer que la première et elle est loin de pouvoir 
être considérée comme ayant été traitée — non-seu- 
lement elle est veuve d’argumentation, de discus- 
sion, de démonstrations et de raisonnements, mais 
elle est encore incomplète en ce qu’elle omet d’in- 
diquer la majeure partie des obstacles qui existent 
et parmi lesquels nous nous bornerons à signaler le 
manque d'instruction et de connaissances agricoles 
dans les campagnes; le défaut d’aisance qui ne per- 
met pas le plus souvent aux cultivateurs de pouvoir 
entreprendre les travaux nécessaires pour réaliser 


Ld 


— 30 — 

des améliorations: l’habitude de suivre les ancien- 
nes pratiques et l'attachement des cultivateurs à la 
routine de leurs pères; la coutume de la vaine pà- 
ture qui ne doit son origine qu'à cette même rou- 
tine et qui est aujourd'hui aussi abusive que nui- 
sible aux progrès de l’agriculture; l’absence d’un 
code rural sagement coordonné et approprié aux 
besoins actuels et dans lequel se trouveraient des 
dispositions propres à préserver les propriétaires 
aisés et éclairés des entreprises de la malveillance. 
enfin les essais infructueux qu'ont pu faire une foule 
de cultivateurs qui ont été mal dirigés ou qui se 
sont livrés, sans le savoir, à des erreurs qui ne leur 
ont offert que des résultats désavantageux. 

La double question proposée n’ayant point été 
traitée d'une manière satisfaisante, votre commis- 
sion a été d'avis unanime qu’il n'y avait pas lieu de 
décerner le prix à l’auteur; toutefois elle a pensé 
qu’il était juste de lui tenir compte de son zèle 
et de ses efforts, mais elle a été partagée sur la 
question de savoir si l’on devait lui accorder une 
médaille d’encouragoment ou seulement une men- 
tion honorable. — C’est à vous maintenant, mes- 
sieurs, qu'il appartient de prononcer. 


FABLE. 


L'ÉPI DE ELÉ LRU LB BLEUE, 


_Par M. THIBAULT, membre résidant. 


Au sein d'un champêtre héritage, 
Un épi de froment, au corps grèle et fluet , 
Coulait des jours heureux, lorsqu’en son voisinage, 
Vint se fixer un Jeune et vaniteux bluet. 
Par les habitans du village, 
Soir et matin soins assidus, 
Etaient à notre épi rendus. 
De ces soins et de cet hommage, 
Sire bluet devint bientôt jaloux. 
Il n’en fallait pas davantage, 
Pour exciter sa haine et son courroux. 
Ces bonnes gens, disait-il, sont bien fous, 
De s’engouer ainsi d’un pareil personnage ; 
Voyez-le, rien en lui ne parle en sa faveur. 


Quel mauvais ton, quelle tournure! 


_— 39 — 


Quel air gauche et commun ! ah, certes la nature, 

Ne pouvait le traiter avec plus de rigueur. 

Moi, du moins , moi, je plais par ma délicatesse, 

L’azur qui me colore enchante tous les yeux, 
Chacun admire ma souplesse 

Et qui peut me cueillir s’estime très heureux. 

Notre bluet se tut , ayant dit de la sorte ; 

L'épi qui jusqu'alors avait , de ce marmot, 

Mébprisé les discours , lui dit, mon pauvre sot : 

Se peut-il que l'orgueil qui toujours vous escorte, 
Vous aveugle jusqu’à ce point ? 

Vous blämez mes défauts , mais n’en avez vous point ? 
Vous nous vantez votre souplesse, 

Etre souple, sans doute, est un très grand bonheur , 
Et puis avec votre couleur, 

Vous nous faites valoir votre délicatesse, 

Tout cela, j'en conviens, vous fait beaucoup d'honneur. 

Je n'ai point, il est vrai, de formes élégantes , 

Et ne puis, comme vous par des grâces brillantes, 

Enchanter et ravir les regards des mortels; 
Mais je sers à leur existence, 

Et c’est pour ce bienfait que par reconnaissance, 
Rome m'éleva des autels. 

Quant à vous dont le sort le plus brillant, je pense, 

Est de servir souvent de jouet à l'enfance, 


Un peu plus d'équité, beaucoup moins d’arrogance , 


DS. ue 

Sire Bluet vous irait mieux; 
Car enfin qu’êtes-vous ? une herbe parasite; 
Votre inutilité, voilà votre mérite, 
À nos guérets toujours vous fûtes odieux, 
Et lorsque des humains le mépris en tous lieux, 
Sans cesse vous poursuit, leur respect m’environne, 
Vous ne fûtes jamais d’aucun prix à leurs yeux, 

Et sur la terre il n’est personne, 

Qui, pour me posséder ne donne, 

Ce qu'il a de plus précieux. 
Si je viens à manquer, plus de ris, plus de jeux ; 
Partout chez les mortels règne alors la tristesse ; 
Mais quand le ciel propice, en exaucant leurs vœux, 
Des champs par ma présence augmente la richesse, 

Rien n’égale leur allégresse. 
Produisez-vous sur eux la même impression ? 
Non, car à votre azur, comme à votre souplesse, 

On pe fait guëre attention. | 
Partout on me chérit, partout on vous réprouve, 
Vous ne savez où fuir pour être en sûreté, 

Cela, je crois, assez vous prouve, 

Qu un mépris Juste et mérité, 

Sera toujours le seul hommage, 
Qu'obtiendra l'arrogant qui n’a pour apariage 


Que sot orgueil et vauité. 


/ 


ÉCONOMIE PUBLIQUE. 


DE L'ÉCLAIRAGE AU GAZ, 


Par M. LARZILLIERE, membre résidant. 


On s'étonne quelquefois que la Grande-Bretagne 
jouisse presque exclusivement depuis plus d’un 
quart de siècle, de l'immense bienfait de l'éclairage 
au gaz, qui procure une lumière à la fois si bril- 
lante et si économique ; et, qu’en France, au con- 
traire, l’usage de cette magnifique découverte, qui 
nous appartient, semble être encore un privilège 
réservé à la capitale, et à un petit nombre d’autres 
localités ? 

Pourquoi donc, se demande-t-on avec raison, la 
plupart de nos villes du Nord, où la houille revient 
notablement moins cher qu’à Paris, en sont-elles 
réduites encore aujourd'hui, sur ce point, à des 
vœux et à des espérances ? 

Notre tâche n’est pas d'examiner ici pour quelle 
cause le Français est loin de posséder à un si haut 


degré le mérite de l'application et du perfectionne- 
ment que le génie de l'invention mème: nous ha- 
sarderons seulement quelques réflexions sur les 
trois modes ordinaires d'éclairage en grand, savoir : 
à l’huile, au gaz de la houille , et au gaz de l'huile. 

La question de l'éclairage en général, serait sans 
doute nettement posée, si on la subdivisait en ces 
trois propositions. 

Dot-on préférer 1° l'éclairage aw gaz de la houille 
à l'éclairage à Fhuile? Wu 

2° L’éclairage au gaz de l’huile à l'éclairage à l'huile? 
, 8° L’éclairage au gaz de la houille à l'éclairage au 
gaz de l’huile ? 

Mais comme il n’est probablement pas possible 
de résoudre le problème en général, tächons du 
, Moins de discuter les différents points de la ques- 
ton , et de découvrir quelques résultats approxima- 
tifs qui pourraient intéresser en particulier le Nord 
de la France. 

1° L’éclairage au gaz de la houille est-il pr érable 
à l'éclairage à l'huile? 

En grand, la question nous paratt résolue en fa- 
veur du gaz. 

En effet, il n’y a guère que cinquante a ans s que 
l'ingénieur Français Lebon, imagina d'appliquer la 
lumière des gaz inflammables à l'économie publi 
que. C'est ainsi qu il créa en même temps, et pres- 
que sans le savoir, comme il arrive souvent, les arts 
si remarquables de la fabrication du vinaigre de bois 
et de l'éclairage au gaz. Vingt ans plus tard, des ate- 


= 56 — 
liers, des filatures étaient éclairés en Angleterre 
par le gaz de la houille : peu à peu ce mode d’éclai- 
rage s’est étendu à presque toute la Grande-Breta- 
gne et à un grand nombre de villes du continent : 
preuve incontestable .des avantages de ce procédé. 
Il est important de remarquer que des villes où la 
houille est assez chère y ont trouvé de l’économie. 
Nous citerons entr’autres Paris, où les houilles que 
l’on consomme généralement, c’est-à-dire les houil- 
les de St.-Etienne et du Creusot reviennent moyen- 
nement à 4 fr. 5o cent. l’hectolitre ( de 80 kilo- 
grammes environ.) L'avantage cest encore moins 


contestable pour les départements au nord de la 


France où la houille revient à bien meilleur mar- 
_ ché. D'ailleurs, le commerce des huiles souffrirait 
à peine de cette heureuse innovation, puisqu'on ne 
consomme sur les lieux qu’une très faible partie des 
huiles fabriquées. 

Voici effectivement les bases de la solution de 
cette grande question. La lumière artificielle est dûe 
à la combustion avec flamme du gaz hydrogène plus 
ou moins carboné. Tantôt ce gaz est dégagé à me- 
sure qu'il brûle, comme dans l'éclairage par les 
corps hydrogénés, solides ou liquides; tantôt il est 
préparé d'avance comme dans le procédé d’éclai- 
rage dont nous voulons parler spécialement. Or, les 
houilles à gaz peuvent se diviser en trois grandes 
classes : 1° la houille dite cannel-coal (1) qu’on trouve 

dans le Lancashire, en Angleterre. Distillée en grand 


(1) Chandelle-Charbon, à cause de sa longue cl belle flamme. 


> 


=, 


elle fournit 320 litres de gaz par kilogramme ( ou 
environ 270 hectolitres de gaz par hectolitre de 
houille.) C’est pour cette raison qu’on la consomme 
sur les lieux presqu’en entier pour l'éclairage. 2° 
Les houilles ordinaires anglaises qui donnent 230 
litres de gaz par kilogramme (ou près de 200 hec- 
tolitres de gaz par hectolitre de houille }; 3° les 
houilles médiocres, comme les houilles du Nord de 
Ja France, qui sont les moins avantageuses. Elles 
donnent encore environ 210 litres de gaz par kilo- 
gramme (c’est-à-dire près de 180 hectolitres de gaz 
par hectolitre. } Or, le calcul et l'expérience cons- 
tatent qu'avec 106 à 110 litres de gaz de la houille, 
on produirait pendant une heure autant de Îu- 
mière qu'avec une bonne lampe de Carcel, brû- 
lant un once 1/9 (42 grammes) d'huile. Mais la 
consommation par un jet ordinaire est d'environ 
140 litres de gaz par heure. Ce volume est fourni 
par deux tiers de kilogramme, à peu près, qui coùû- 
tent dans le Nord de la France environ 2 centimes. 
Le prix du bec de gaz par heure n'irait pas beau- 
coup plus haut, en raison de ce que les frais de 
distillation seraient à peu près compensés par les 
produits qu’elle donne, et notamment par le coak. 

Au lieu qu’à Paris, le gaz revient beaucoup plus 
cher. 

Voici à quoi tient la différence. 

La houille à coak ou à gaz revient, à Paris, à 4 fr. 
0 cent. environ par hectolitre , tandis qu'à Arras, 
par exemple , elle revient à 2 fr, 4o cent. Le coak 


_— 38 — 

produit par la houille se vend à Paris 2 fr. 85 cent., 
à Arras, 2 fr. Ainsi, tandis que la houille qui pro- 
duit le gaz coûte dans nos départements frontières 
environ deux fois moins cher qu'à Paris, d’un autre 
côté, le coak, qui est avec le gaz, un résultat fort 
important de la distillation de la houille , est bien 
loin de se vendre proportionnellement dans les deux 
localités. 

Il faut faire attention , en outre, que dix hectoli- 
tres de houille donnent, après la distillation, qua- 
torze hectolitres de coak ; que, si les houilles à coak 
sont celles qui donnent le plus de gaz, il y a néan- 
moins avantage encore à faire venir des houilles or. 
dinaires qui reviennent moins cher, et dont on 
prend soin de faire deux parts : l’une de moindre 
qualité pour le chauffage, l’autre qu’on distille au 
moyen de la première, et qui donne le gaz et le 
coak. Ordinairement, il faut un hectolitre pour en 
distiller deux. 

. On sait que le coak est employé dans les arts, 
par les affineurs de métaux, les fondeurs en cuivre 
et en fer ; par les brasseurs. pour le touraillement 
des grains, etc. ; puis, dans l'économie domestique, 
au lieu de la houille ordinaire, sur laquelle il a l'a- 
vantage de brûler sans flamme, ni fumée, ni odeur. 

Il doit dunc y avoir économie sensible dans nos. 
provinces du Nord à s’éclairer au gaz de la houille. 

2° Doit-on préférer l'éclairage au gaz de lhule a 
l'éclairage à l'huile ? 

La préparation du gaz de l'huile est aussi | simple 


— 39 — 


que celle du gaz de la houille est compliquée. La 
main - d'œuvre et l'entretien sont à peu près les 
mêmes que pour éclairage à l'huile. Il ne resterait 
donc qu’à comparer l'intérêt de l'appareil , le prix 
de l'huile et celui de la houille qu’exige la produc- 
tion du gaz , avec l’intérèt du prix des lampés, et la 
valeur de l'huile qu’elles brûlent. 

Les huiles ordinaires fournissent par kilogramme 
au moins 800 litres d’un gaz dont la densité est un 
peu moindre que celle de l'air, c’est-à-dire moyen- 
nement double de celle du gaz donné par une houille 
de qualité médiocre , la seule dont il soit ici ques- 
tion. Ce gaz éclaire trois à quatre fois autant que 
l'autre, attendu que le pouvoir éclairant croît dans 
un rapport bien plus grand que la densité. Soit trois 
fois et demie : alors 800 litres de gaz de l’huile équi- 
valent à 2800 litres de gaz de la houille. Car, à 
raison de la grande densité du gaz de l'huile, le 
diamètre des becs à gaz de houille peut être dimi- 
nué proportionnellement pour fournir la même lu- 
mière en gaz de l'huile. 

Un bec ordinaire au gaz de l'huile brüûlerait, en 
dix heures environ, la quantité de gaz fournie par 
un kilogramme d'huile. D'où il suit évidemment, 
d’après le prix des huiles, qu’on n’emploiera avec 
avantage que des huiles à très bon marché. En An- 
gleterre on se sert d’huiles de poisson brutes. Dans 
nos départements, où on se livre à la culture des 
graines oléagineuses, on pourrait consommer l'huile 
de graines également brutes; probablement, mème 


— 0 — 

les résidus d’huile de colza qui reviennent de 14 à 
16 fr. l’hectolitre, et dont le poids est tel que le ki- 
logramme coûte de 15 à 20 centimes. Plus des trois 
quarts de la matière qui les composent sont sus- 
ceptibles de fournir du gaz éclairant. On pourrait 
encore mélanger ces résidus avec d’autres en quan- 
tités convenables. Dans tous les cas, ces huiles ou 
résidus propres à l'éclairage au gaz ne reviendraient 
certainement pas dans notre localité à 25 cent. le 
kilogramme. Eh bien! même en admettant ce maxi- 
mum, ilest permis de penser que l'éclairage au gaz 
de l'huile ne reviendrait pas plus cher que l’éclai- 
rage ordinaire. 

Il est bien entendu que le diamètre des becs se- 
rait réduit de manière à donner la même lumière 
que le gaz de la houille. 

Cette lumière, donnée par un jet moyen, est en- 
viron trois fois plus belle que celle d’une lampe or- 
dinaire. Elle surpasse encore d’un quart en inten- 
sité celle d’une lampe de Carcel, c'est-à-dire qu’un 
pareil bec éclaire à peu près autant que 12 _. 
delles de six à la hivre, ou 9 bougies de cinq à 
livre. Qu'on la compare, s'il est possible, à la pe 
lueur d'un réverbère! _ 

Abordons enfin la troisième question. : 

5° L’éclatrage au gaz de l'huile est-il préférable à 
l'éclairage au gaz de la houille? 

Cette question intéresse au plus haut degré le 
commerce des huiles de notre contrée. Car, si l’on 
était unc fois convaincu, par des essais convenables, 


= Ni — 

de l'avantage qu’il y aurait dans notre pays à s'é- 

clairer au gaz de l'huile, même de préférence au 

ga de la houiïlle, il est évident qu il jaillirait de cette 

conviction une nouvelle source de prospérité com-: 
. merciale. Or, nous sommes persuadé que les rés- 

dus d'huiles de colza épurées ne peuvent pas trou- 

ver de meilleur emploi que l& décomposition en 
gaz, prapres à l'éclairage, après qu'on en aurait 
séparé l'acide salfurique. Si l'on demande des faits: 
à l'appui de nos assertions, nous citerens entre tous 
les essais quiont été pratiqués sur les graisses et les 
huiles de mauvaise qualité, les expériences de M. 

Darcet, en France, sur les résidus des dégraissages 
de drap et des eaux de savon qu ont servi dans les 
fabriques, et surtout l'établissement de M. Taylor, 
& Londres. Car, encore une fois, ce sont principa- 
lement nos voisins qui ont la persévérance néces- 
saire pour appliquer et perfectionner. 

Dans cette usine, on prépare le gaz avec de l'huile 
de morue dont l'odeur insupportable ne permet 
guère d'autre usage. I} était difficile de croire à la 
possibilité d'obtenir un bénéfice en employant le 

gaz de l'huile, dans un pays où la houïlle est à si 
bas prix ; aussi cette usine a-t-elle été fondée en quel-: 
que sorte aux cris de la désapprobation h plus géné- 
rale. Eh‘ bien! malgré les plus sinistres prédictions, en 
dépit des objections dont plus d’une paraissait très 
sohde, elle a prospéré avec un incroyable succès. 
£a comparaison des deux modes d'éclairage au 
gaz est aisée à faire pour chaque localité, en cher- 


6. 


« 


ha — 
chant les prix respectifs des deux gaz dans les 
mêmes circonstances. 

Si l’on tient compte des quantités de gaz four- 
nies par la houille et huile, et des durées de leur 
combustion, on trouve qu’un kilogramme d’huile 
équivaut à 14 kilogrammes de houille. Le prix de 
cette quantité est, à Arras, de 42 centimes envi- 
ron. Il en faut moitié en sus pour le chauffage. 
D'où 21 kilogrammes, soit un quart d’'hectolitre coù- 
tant 63 centimes. Les 14 kilogrammes (ou + d’hec- 
tolitre) distillés donnant 2 décalitres de coak, ven- 
dus 4o centimes. Restent 23 centimes pour le prix 
du gaz, sans compter la main-d'œuvre. 

D'un autre côté, un kilogramme d'huile, demande 
pour sa décomposition, la moitié de son poids de 
houille, coûtant 1 cent. 12. Pour équivaloir dans 
ces circonstances, à la houille, le kilogramme 
d'huile ne devrait donc pas coûter plus de 21 c. 172. 
Mais à ce prix, l'huile serait infiniment préférable 
à la houille, car les frais de main-d'œuvre, d'ap- 
pareils et d'entretien sont incomparablement moins 
coûteux. Si donc l'huile employée ne coûte pas plus 
de 50 c. par kilogramme , le gaz de l'huile pourra 
même encore être préférable au gaz de la houille. 

En résumé, si l'éclairage au gaz n’a pas eu jus- 
qu’alors en France, un succès aussi général et aussi 
décisif que chez nos voisins, cela tient principale- 
ment au prix de la houille qui est assez élevé, au 
bas prix relatif des huiles, et à la perfection des 


A] 


lampes, comparativement à l’Angleterre. Néan- 


— 3 — 
moins, déjà dans ces derniers temps, nous avons 
vu surgir un grand nombre d'établissements qui 
trouvent plus ou moins d’économie. dans ce mode 
brillant d'éclairage. Pour donner une idée de l’a- 
vantage qu'il offre, nous nous bornerons à un exem- 
ple dont l’authenticité est incontestable. 

L'hôpital St.-Louis, à Paris, paie la houille en- 
viron deux fois plus cher quelle ne coûte dans nos 
départements limitrophes. Il s’éclaire cependant au 
‘gaz depuis une quinzaine d’années. Or, il est trois 
fois mieux éclairé pour 11000 fr. qu'il ne l'était à 
l'huile dans le même temps pour 8000 fr, c'est-à - 
. dire qu'ila pour 11000 fr. l’équivalent de 24000 f. 
de lumière d'huile. 

Plusieurs villes du Nord de la France sont aujour- 
d’hui éclairées par le gaz de la houille. D'autres sont 
en instance à ce sujet auprès des entrepreneurs ou 
de l’administration. 

La ville de Boulogne, parexemple, payait jusqu'à ce 
jour 12000 fr. pour un millier d'heures d’un faible 
éclairage à l'huile. Aujourd’hui, elle va jouir, du- 
rant chaque nuit de l’année , sans exception, depuis 
le coucher du soleil jusqu’à son lever, d'une vive 
lumière, dont l'intensité sera triple de celle des 
lampes ordinaires, et la durée plus que triple de la 
durée de l'éclairage à l'huile. Et cette lumière qui, à 
l'huile, coûterait plus de cent mille francs s obtient 
au gaz pour quinze mille! 

Aussi est-il mdubitable que ce mode d'éclairage 
se mullipliera en France : 1°. à mesure que les 


= ft — 


moyens de communication devenant plus prompts 
et plus faciles, les recherches de houillères plus 
actives et mieux raisonnées, rendront à la fois 
moins coûteux les frais de transport ainsi que la 
matière première ; 2°. lorsque les essais auxquels 
on se livre à l’envi dans plusieurs villes du Midi, 
auront pleinement convaincu les plus incrédules de 
la possibilité de produire un gaz économique par les 
bitumes, les résines, etc., etd’utiliser en lumière les 
résidus considérables d’huiles, eaux de savons, et 
aulres matières grasses, qui ont été jusqu'alors 
presque sans valeur. 


FABLE. 
LE PAUVRE ET LE TRESOR. 
SUJET TIRÉ DU RUSSE. 


Par M. THIBAULT, membre résidant. 


Besace au dos un pauvre hère, 
Aux passants demandait son pain ; 
Bien profonde était sa misère ! 
Et tandis que sur son chemin 
Equipages de toute:sorte, 
Roulaient avec le plus grand train, 
Ce nouveau Job allait de parte en porte, 
Déplorant son triste destin ; | 
Pourquoi comme çes gens n’ai-je point chère lie? 
Pourquoi comme eux assis au banquet de la vice, 
Me pèse-t-elle , hélas ! comme un fardeau ? 
| Pourquoi d'amertumes remplie, 
Vais-je à lui préférer le néant du tombeau? 


Ah ! si du moins un jour un destin plus prospère 


— 6 — 


Pouvait enfin naître pour moi, 
Simple et modeste dans ma sphère 
Frugalité serait ma loi. 
Cette profession de foi, 
Etait-elle franche et sincère ? 
À dire vrai j'en doute fort ; 
Mais du reste cela ne fait rien à l’affaire, 
Voici le point... un jour que notre Bélisaire, 
À jeûn.… peut-être aussi plus malheureux encor, 
Ou plus souffrant qu’à l’ordinaire, 
Par des accents plaintifs gémissait sur son sort. 
Il vit du haut des cieux descendre la fortune ; 
Eh ! bien me tiendras-tu comme toujours rancune, 
Lui dit-il, veux-tu que la mort 
Seule termine ma misère ? 
Ne pourrai-je jamais goûter sur cette terre, 
Les délices du coffre-fort ? 
Ce sont là tes vœux lui dit-elle, 
Aisément , mon ami, je puis te contenter; 
Mais de ta richesse nouvelle, 
Je doute qu’à propos tu saches profiter. 
Vois-tu la bas cette escarcelle ? 
Elle est pleine et regorge d'or ; 
Tu peux à ton loisir puiser en ce trésor , 
Autant que tu voudras , mais si de ta besace 


Un seul ducat s'échappe et toinbe sur la place, 


— 7 — 
Tu verras tout , soudain, disparaître à tes yeux ; 
Y consens-tu ? j'accepte... oh! qu'à cela ne tienne, 
Je suis bien sûr de moi... tout ira pour le mieux 
Je ne suis point ambitieux... | 
Cotimençcons..…. lors sans plus attendre, 
Le pauvre en son bissac verse l’or à souhait ; 
Mais plus noire homme en prend plus il voudrait en prendre. 
Ainsi l’esprit humain est fait, 
Cela ne doit point nous surprendre. 
En voyant son ardeur la fortune lui dit : 
Quelle convoitise est la tienne ? 
À tes désirs crois-moi donne un peu de répit; 
Vois, ta besace est presque pleine : 
N’en as-tu pas assez)... non certes pas encot, 
Lui répond notre avare on n’a jamais trop d’or ; 
Pour une fois permets au moins que j'en amasse 
Tout mon saoul... aussi bien je n’aurai plus si beau 
Profitons du moment... cela dit : de nouveau 
Il prend force ducats qu'avec son il entasse ; 
Enfin il se dispose à charger son fardeau ; 
Mais il était trop lourd, trop vieille la besace 
Elle crève et soudain tombant sur le carreau 
Le trésor disparaît rien ne reste à sa place. 
Au même instant aussi la fortune s'enfuit 
Et des yeux en pleurant le pauvre en vain la suit : 
De son sort et de sa disgrâce 


Pensez-vous qu'il va s'accuser ? 


Non ce n’est point à lui ce n'est qu'à sa besace 
Qu'il s'en prend: j'aurais dù, se dit-il, en changer ; 
Elle était peu solide aussi sans plus tarder 

J'en veut mettre une autre à sa place, 
Mais de cuir, cette fois, il faut que je la fasse. 
Vaine précaution , hélas! soins supertlus 


La fortune à ses yeux ne se présenta plus. 


Faibles mortels à notre convoitise 
Sachons à propos mettre un frein 
N’accusons pas toujours notre destin, 


Souvent notre malheur c’est notre gourmandise. 


RAPPORT 


SUR LES 


REMPLACEMENS MILITAIRES, 


Par M. SERVATIUS , membre résidant. 


Messieurs, 


La commission que vous avez chargée d'examiner 
les mémoires qui vous ont été adressés sur la ques- 
tion que vous avez mise au concours, relativement 
au remplacement, a lu avec l'attention que méritait 
un sujet aussi important tous les écrits qui lui sont 
parvenus et elle a bien voulu me charger de vous 
soumettre ses observations et de vous développer les 
motifs du jugement qu'elle a porté. Vos momens 
étant comptés, je le ferai aussi brièvement que pos- 
sible. 

Douze mémoires ont été présentés ; sur ces douze 
trois doivent être écartés, parce qu'ils sont signés 
ou imprimés contrairement aux statuts de votre 
Sogiété, et un quatrième ne paraît pas prétendre au 


7. 


— 50 — 
concours. Restent donc huit mémoires , lesquels 
présentent trois systèmes différents, qui consistent : 
l'un à confier le monopole du remplacement à l’É- 
at, l'autre à en laisser le soin aux compagnies, et le 
troisième à l’abandonner à l'administration particu- 
lière des corps. 

‘Cinq des auteurs ont écrit dans le sens du pre- 
nier mode, deux dans le sens du second, et un dans 
le sens du dernier. 

Les innovations proposées par les cinq premiers 
auteurs sont possibles , 1] n'y a point d'innovation 
dans les observations soumises par les deux auteurs 
des mémoires compris dans la deuxième catégorie, 
et les innovations présentées par l’auteur du dernier 
mémoire, nous ontparu d’une exéculion impossible, 

Messieurs, c’est une question grave et également 
digne des méditations de l'homme d'état et du phi- 
Jantrope que celle qui a rapport au recrutement ; 
et si jamais sujet a mérité d’être étudié avec soin et 
traité avec conscience, c’est celui qui, tout à la fois, 
intéresse si vivement l'honneur et l'indépendance 
d’une grande nation, qui exerce une imfluence di- 
recte sur l’avenir de chaque jeune citoyen, et qui 
touche d’aussi près à ce qu'il a de plus cher, la li- 
berté individuelle, pour la restreindre au profit de 

. la liberté publique. | | 

Nous le disons à regret, Messieurs, aucun des 
auteurs des mémoires ne nous a paru suffisamment 
pénétré de l’importance de la question qu'il agitait. 

+ On a tourné autour de cette question, on en a pres- 


+, de 
senti l’immensité ; mais personne ne l’a osé aborder- 
de front. 

. Tous, ik est vrai, ont reconnu les inconvéniens du 
système actuel; mais peu sont entrés dans. la voie vé- 
ritable de salut, et on s’est borné, en général, à appli- 

quer des calmants, sans s'attacher à extirper le mal. 

Pleins de la législation qui existe, la plupart des 
auteurs ont cherché à la mettre en rapport avec les 
idées d'améliorations dont ils avaient le sentiment 
On a signalé les abus, les vices ; on a indiqué la 
nécessité d’une réforme, mais on en est resté là parce 
qu’on ne s’est pas placé assez haut pour en apprécier 
et en indiquer les points principaux. 

Je parle ici, Messieurs, de la majorité des écrits 
soumis à votre jugement. Tout à l'heure, je ferai la 
part de ceux qui ont le plus franchement abordé les. 
difficultés du sujet. | 

Aiesi on a généralement déroute que le défaut 
de la loi actuelle était dans le remplacement, qu'a- 
bandonné au monopole des compagnies intéressées 
à se procurer des hommes au meilleur compte poss 
sible, il ne tendait à rien. moins qu’à introduire dans 
l'armée tout ce que la société avait de moins bon et, 
en quelque sorte, ee qu’elle repoussait de son sein. 
On a prouvé que le cachet de réprobation imprimé 
au front du remplaçant empèchait les vieux soldats 
d'accepter une position déconsidérée, que l'État se 
trouvait ainsi privé de leurs services, et qu insensi- 
blement l'armée arriverait à n’être plus. composée 
que de mercénaires et d’élémens impurs. 


. — 92 — 


Pour échapper au danger d’un pareil état de cho- 
ses, on a compris la nécessité de retirer aux compa- 
gnies particulières le monopole qu’elles exploitent 
d'une manière funeste pour l’armée, et de confier 
la. direction du remplacement au Gouvernement. 
C'est l'opinion reproduite dans Ja majorité des 
écrits dont nous vous rendons compte; et les cinq 
mémoires sous les n° 8, 9, 3, 1*, et 2, qui ont 
traité la question dans ce sens, nous paraissent s’être 
le plus rapprochés du vœu émis par votre Société. 
Les auteurs de ces mémoires ont plus ou moins 
bien présenté leurs projets dans le cercle de cette 
idée première et l'ont fécondée avec plus ou moins 
de talent. Mais il a semblé à votre commission 
qu'aucun des habiles candidats ne s’était placé au 
centre du cercle, et que dès-lors il n’avait pu en 
distinguer également tous les rayons, 

. Sans doute il a été parfaitement établi que l'État 
seul avait dans la question tout l'intérêt nécessaire 
pour vouloir des résultats satisfaisants; que lui seul, 
dans une semblable matière, réunissait les condi- 
tions et les moyens pour être un agent éclairé, 
fort et capable; mais en cherchant à réunir dans 
sa main puissante tous les élémens d’action et de 
concentration, s‘est-on suffisamment attaché à les 
mettre d'accord avec les principes du droit et d’une 
sage égalité ? Nous ne le croyons pas. 

Ensuite a-t-on bien pesé s’il était de la dignité du 

* On présente iciles mémoires dans l’ordre oùils ont été placés 
par Îles décisions de Ja commission. 


— 53 — 


Gouvernement d'une grande nation d’être l'agent 
direct d’un semblable monopole; et, en supposant 
qu’en n'eût pas trouvé plus d’inconvenance à lui en 
déférer la direction qu’on n’en a trouvé à lui aban- 
donner celle d’une quantité d’autres services qui ne 
sauraient être plus dignes de l'intérêt du pays: il 
faudrait voir encore si l’État en dirigeant directement 
le remplacement pourrait empêcher les abus que 
ce système ferait naître sans doute, 

Ces questions n’ont point été soumises au logis- 
me d’une discussion consciencieuse , et nous le re- 
grettons vivement. | 

On s’est contenté d'avoir à peu près Rss les 
trois points établis dans la proposition mise au con- 
cours par l’Académie d'Arras et on n’a pas cherché 
à agrandir une sphère qui a paru déjà bien vaste, 

Nous aurions souhaité, qu’en conciliant dans 
leurs projets les intérêts des pères de famille, de 
l'État et de l'Armée, les concurrents ne perdissent 
pas de vue l’article 2 de la Charte , qui veut que 
. toutes les charges soient également réparties entre 
tous les citoyens, et qu’ils restassent bien convain- 
cus que dans cet artiele sont consacrés les seuls et 
vrais principes que doivent renfermer tous les projets 
de loisqui ont pour base une répartition quelconque. 
Et puisque votre Société avait soulevé cette question 
si palpitante d'intérêt, dans l'intention qu’elle recçüût 
tout le développement dont elle est susceptible, 
nous aurions voulu qu'on se trainât moins dans les 
erremens des lois existantes sur la matière, qu’on 


— 5h — 


lui présentât non plus des projets tronqués, des 
systèmes recousus aux vicilles routines, mais bien 
qu'on lui fournit l'occasion de donner son appui à 
des idées vierges , justes, grandes et vraiment utiles 
à l'État et aux citoyens; nous aurions voulu, qu’en 
reprenant la proposition d'en haut, on relevât ce 
qui existait de défectueux dansle mode du tirage au 
sort, et qu’en se pénétrant de ce qu’il y a d’injuste 
à imposer sans compensation toutes les charges du 
service à celui qui n’a contre lui que la bisarrerie 
du sort, on s’attachât aux moyens de faire contri- 
buer, dans une proportion sage, indistinctement 
tous les hommes libérés au bien-être des hommes 
appelés. I nous paraitrait juste que chaque citoyen 
qui ne satisferait pas au service personnel, versât , 
selon qu'il serait classé, en raison de sa fortune ou 
de ses facultés physiques, une somme déterminée , 
dans une caisse du recrutement, dépendante d'une 
agence générale qui aurait sa spécialité et qui serait 
soumise au contrôle de l’État comme la banque de 
France, la caisse des consignations, les caisses d’'é- 
pargnes, etc. , etc. Cette caisse aurait pour objet de 
pourvoir au bien-être de tous les citoyens qui rem- 
pliraient les cunditions du service personnel. et on 
voit qu’elle agirait sans peser sur le trésor ou sur 
les contribuables et qu'elle trouverait des moyens 
d'action dans la chose même. 

Dans cette idée mère est le principe d'une armée 
bien composée , sûre ct nationale, le principe 
d’un remplacement bon et facile, le principe d’une 


| — 909 — 
égalité aussi parfaite qu'il est raisonnablement 
permis de l’attendre parmi les hommes, est peut- 
être le seul moyen de concilier l'intérêt de l’armée, 
des contribuables, des pères de famille , et ceux 
du gouvernement constitutionnel. : 

Je ne fais qu’indiquer ici les bases d'un s:stème 
que j'aurai l'honneur de vous soumettre fort pro- 
‘chainement pour satisfaire au désir qui en a été 
manifesté par votre Société et lorsqu'il aura reçu 
tous les développemens dont il est susceptible. 


Nous le répétons, plusieurs des concurrens ont 
fait preuve d’une connaissance exacte du sujet, 
d’une intelligence entière de la législation, mais 
ils s’y sont trop attachés et, pour remplir les lacunes 
qu’ils entrevoyaient, ils ont trop vite recouru aux 
moyens les plus prompts, sans s'inquiéter assez des 
moyens d'établir une chose fixe et durable. Or, 
il n’est donné à aucune des lois ou institutions 
humaines d’être durables si elles ne renferment en 
elles-mêmes le germe bienfaisant d’une justice 
large, également répartie, et des principes d’inté- 
rêt commun. Nous avons trouvé dans plusieurs des 
mémoires tout le talent et le mérite d'hommes 
spéciaux, et, dans une question aussi élevée, 
nous aurions voulu rencontrer plus souvent la por- 
tée et les vues de l'homme d'état. 

En conséquence, votre commission a unanime- 
ment décidé qu'aucun des mémoires n'avait entiè- 
rement remph les intentions de bien public el de 


0 — 
philantropie que la Société avait eues en mettant la 
question du remplacement au concours. 

Toutefois, elle a été d’avis que les concurrens 
qui s'étaient livrés à un travail utile et qui présen- 
taient des vues d'intérêt général, ou qui avaient 
fait des recherches laborieuses, avaient mérité un 
témoignage de reconnaissance de la part de [a 
société, bien qu'ils n'eussent pas complètement 
atteint le but proposé; et, l’Académie , adoptant 
les propositions de la commission, a décidé qu'une 
médaille d’or serait accordée, à titre d'encourage- 
ment, à l’auteur du mémoire n° 8, qui porte cette 
épigraphe tirée de l’article 2 de la Charte: 


« Les Français contribuent indistinctement dans la pro- 


» portion de leur fortune aux charges de l'État. » 


Des pensées claires, un style aisé, correct, facile, 
des aperçus justes, des considérations générales 
bien développées, voilà ce qui distingue cet écrit. 
L'auteur expose les motifs d’une manière grande 
et logique et déduit ses conséquences avec méthode; 
il relève par fois ses propositions d’une teinte de 
philosophie qui plait parce qu'elle est sage et vraie : 
il s’est le plus rapproché du système propre à rem- 
plir le vœu émis par votre Société , système sans le- 
quel tous les moyens ne seront toujours que d’im- 
puissants palliatifs. Il a en partie compris ce qui 
manquait, ce qui était nécessaire, mais il n’a pas 
osé descendre sur le terrein de l'application. Votre 
commission n’a pas approuvé qu’il se servit du mot 


EE 


impôt pour représenter les mesures de participation 
qu’il a voulu établir entre tous les jeunes citoyens 
atteints paï la loi du recrutemént, elle a pensé que 
ce mot ainsi employé, pourrait faire naître une idéd 
fâcheuse, qui n'était ici ni méritée ni exacte; elle 
n'a pas compris pourquoi tet impôt; pour me servir 
de l'expression de l’auteur, ne s’attaquait qu’à cer- 
taines classes des mêmes jeunes citoyens, etnon pas 
à toutes ; elle a blâmé d’autres mesures que les 
bornes de ce discours ne me permettent pas de si- 
gnaler ici, 

Votre commission a encore pensé et la Société a 
décidé que les auteurs des mémoires présentés sous 
les numéros suivants étaient également dignes d’être 
mentionnés honorablement pour le mérite de leur 
travail et des idées d'amélioration qu'ils ont pré- 
sentées. Et tel est l’ordre qui a été établi : 

‘1, mention. , . . , . . n° 7: 
RU fie dre 'e à 5. 
Didi his Es 1, 

Enfin, et en outre, la Société a décidé qu'une 
inention particulière serait faite du mémoire n°, 5. 
Elle a entendu par là donner à l’auteur une preuve 
de satisfaction pour l'importance des recherches 
auxquelles il s’est livré, 

Tel est l’avis, Messieurs, de votré commission 
êt tels sont les motifs sur lesquels votre Société 
s'est basée pour établir son opinion et fixer ses 
décisions. | 


8. 


MÉMOIRE 


SUR 


LA QUESTION MISE AU CONCOURS 


ET POSÉE EN CES TERMES S 


PAR L'AGADÉDMIE D'ABRBAS 8 


« Indiquer les ‘bases d’une législation spéciale sur les 
» Remplacemens militaires, qui concilie à la fois la 
» sécurité des pères de famille, l'organisation de“l'ar- 
» mee et les intérêts des vieux soldats. » 


Par M. CARETTE, avocat à Paris, 


Les Francais contribuent indistinctement, dans ta 
proportion de leur fortune, aux charges de l’état. 
Charte const , art 3. 


Jamais question, je crois, n’a été posée avec plus 
dé netteté que celle dont l’académie d'Arras de- 
mande la solution. Assurer tout à la fois la sécurité 
des familles, la meilleure organisation possible de 
l’armée , et les intérêts des vieux soldats; tel est bien 
en effet le triple but que devrait attemdre une bonne 
législation sur les remplacemens militaires. 

I1 faut assurer la sécurité des familles , en per- 
mettant aux moins aisées de conserver dans leur 


—… 59 — 
sein, moyennant un sacrifice proportionné à leurs 
ressources, les jeunes hommes dont la présence 
et le travail leur sont nécessaires. 

Il faut songer à appeler, à retenir dans les rangs 
de l’armée cette foule d’excellens militaires, que l’on 
voit aujourd'hui s’empresser de les quitter, dès 
qu'ils ont satisfait à la loi, pour y laisser, en trop 
grand nombre, cette tourbe de remplaçans dont les 
détestables exemples exercent une si funeste in- 
fluence sur leurs jeunes camarades. 

I faut enfin s'occuper des intérêts des vieux 
soldats : homme, qui a passé la plus belle par: 
tie de sa vie sous les drapeaux, ne doit pas re- 
tourner dans ses foyers pour y lutter contre la mi- 
sère, pour y devenir l'objet de la pitié publique, et 
comme un vivant exemple de l'ingratitude de la 
patrie. | 

Honneur aux excellens eitoyens qui, appréciant 
les fâcheux résultats du remplacement militaire, 
tel qu’il est aujourd’hui toléré, ont appelé sur ce 
sujet important les méditations des hommes qui 
voudraient, en soulageant la population d’une par: 
tie du fardeau qu'elle supporte, ne point compro- 
mettre l'honneur national, dont l’armée est en 
quelque sorte gardienne et dépositaire, et améliorer 
le sort des braves qui se consacrent à la défense du 
pays: | | 
Pour nous associer à cette patriotique pensée, 
pour répondre à ce noble appel, nous exposerons 
les inconvéniens qui résultent des lois en vigueur; 


nous remonterons à. la source du mal, et nous en 
indiquerons le remède, 


PREMIÈRE PARTIE. 


ÉTAT ET VICES DE LA LÉGISLATION EN VIGUEUR, 


En déclarant la conscription abolie, la Charte 
avait seulement ajouté que le mode de recrutement 
de l’armée de terre et de mer serait réglé par une 
loi. 

Cette loi, celle du 10 mars 1818, posa en prin- 
cipe que l’armée se recrute par des engagements 
volontaires , et, en cas d'insuffisance , par des 
appels. 

La loi du 21 mars 1832, interverüssant cet ordre, 
dit, au contraire, que l’armée se recrnte par des 
appels et des engagemens volontaires. Les engage- 
mens volontaires, en effet, sont si peu nombreux 
qu'ils ne peuvent être considérés comme le mode 
principal de recrutement. 

Et, quant aux appels, c’est par la voie du sort que 
sont désignés les jeunes gens qui doivent composer 
le contingent assigné à chaque canton. 

Certainement, s’il s'agissait d'un impôt ordinaire, 
et qu'on laissât ainsi le sort désigner ceux qui de- 
vraient l’acquitter, il n’y. aurait point assez d’impré- 
cations contre l’iniquité d’un pareil procédé. Imagi- 
ne-t-on en effet l'assiette de l'impôt foncier, par 
exemple, établie de telle sorte que, chaque année, 
un certain nombre de départemens, ou bien un cer-. 


tan nombre de propriétaires par département, le 
supportâssent, tandis que les autres départemens 
ou les autres propriétaires en seraient, grâces au 
sort, totalement affranchis ? 

Eh bien! ce qui nous révolterait, s’il ne s'agissait 
que d’un impôt d'argent, est précisément ce qui 
existe pour cet impôt, qu’on a appelé l'impôt du 
sang , Mais qu'aujourd'hui on appellerait avec plus 
de raison l'impôt du tems, puisqu'il enlève, pendant 
un certain nombre d’années, à leur famille, à leurs 
études, à leurs travaux, à leur avenir une partie des 
hommes en âge de porter les armes. 

Je le demande, comment cet impôt ne serait-il 
pas le plus pesant de tous, lorsqu'il est le plus iné- 
galement réparti, lorsque la loi elle-même consacre, 
pour ainsi dire, en principe l'inégalité de sa répar- 
ütion, en abandonnant au hasard la'désignation de 
ceux qui doivent seuls en supporter tout le poids. 
Le mode actuel de recrutement n’est donc qu'une 
sorte de décimation qui constitue la violation la 
plus manifeste du principe que tous les Français 
contribuent indistinctement aux charges de l’état. 

Toute loi derecrutement, qui n’aura pas une autre 
base, ne pourra produire que de mauvais résultats : 
elle laissera subsister, avec l’iniquité de son prin- 
cipe, toutes les funestes conséquences qui en dé- 
coulent. 

Il est doux, il est glorieux de mourir pour son pays ! 
Ce bel axiôme des anciens, nous le prenons aussi 
pour devise, et, loin de nous la pensée d’atténuer 


— 69 — 

le mérite des hommes qui consacrent leurs jours à 
la défense de leurs concitoyens, qui les protégent et 
contre les ennemis du dehorset contre les attaques 
du dedans; qui sont toujours prêts à braver tous les 
dangers, à exposer leurs jours, à faire le sacrifice 
de leur vie; soit qu’il faille ou couvrir la frontière , 
ou porter sur de lointains rivages nos drapeaux et 
le nom français; soit qu'il faille ( mission plus pé- 
nible et non moins glorieuse) combattre les factions, 
rétablir l’ordre dans nos cités, protéger les person. 
nes et les propriétés; essuyer, souvent sans y répon- 
dre, le feu de concitoyens égarés; pousser enfin 
jusqu'aux dernières limites la patience et la longa- 
nimité..… C’est encore là sans doute bien mériter 
de la patrie. 

Ces devoirs, qui sont, pour l’armée, des devoirs 

de tous les jours et de tous les instans, les autres 
citoyens aussi peuvent être parfois appelés à les 
remplir : car tous peuvent être tenus de s'armer 
. pour la défense du territoire ou pour celle des ins- 
titutions et des lois. Mais ce sont là, heureusement, 
des circonstances rares et qui ne constituent point 
un état normal, 
. Grâce à l’adoucissement des mœurs et aux pro- 
grès de la civilisation , grâce aussi à l’affaiblissement 
des préjugés nationaux, et aux rapports multipliés 
qui se sont établis entre les différents peuples, rap- 
ports qui ,.en confondant les intérêts, ont rendu les. 
ruptures plus difficiles, cet étatnormal, aujourd'hui, 
c’est l’état de paix, et sans doute, il y a lieu de s'en 
féliciter, 


— 63 — 


Toutefois , il faut aussi le reconnaître, le gage le 
plus certain de sa conservation, c'est l'entretien 
d’une force mihtaire imposante, toujours prète, de 
quelque part que vienne l’aggression , à la repous- 
ser, et c’est là le moyen de n’en avoir à craindre 
aucune, | 

Dans cette situation, l’obligation de concourir à 
la défense du pays ne peut plus être considérée 
comme elle le serait, eomme elle devrait l’être si 
l'ennemi était aux portes et menacait de fran- 
chir la frontière. Oh ! alors, que tout cé qui peut 
porter une arme se précipite au-devant de l'é- 
tranger ! Hommes d’habitudes paisibles, quittez vos 
livres, désertez vos comptoirs, abandonnez vos tra- 
vaux; saisissez le mousquet ! Citoyens devenus sol- 
dats, unissez-vous aux soldats-citoyens; à leurs 
efforts joignez les vôtres; à leur sang mêlez votre 
sang ! Enfans de la même patrie, vous pouvez, vous 
devez réclamer tous l’henneur de la défendre et le 
droit de mourir pour elle. 

Le régime de paix armée sous lequel nous vivons, 
cet état d’hostilité défensive, dont les nations euro- 
péennes semblent avoir contracté l'habitude, habt- 
tude qui relègue désormais le désarmement général 
parmi les utopies politiques et les irréalisables vœux 
dela philantropie, cerégime, fort onéreux sansdoute 
pour les peuples, neleur impose pourtant pas cet en- 
tier sacrifice de leurs goûts et de leurs intérêts, cette 
abnégation d'eux-mêmes que leur commandent les 
circonstances extraordinaires dont nous venoris de 


= 64 — 

parler.La préparation à la guerre sera toujours certai- 
nement la plus sure garantie de la continuation de la 
paix. Mais, tant que cette situation se maintiendra, 
l'obligation de concourir à la défense de son pays ne 
sera pas ce devoir sacré que tous doivent remplir en 
personne. Ce sera simplement une des nombreuses 
charges qui résultent de l’état social, charge qui, de 
sa nature, pése sur la populstion virile ; ce sera enfin 
un véritable impôt qui pourra s'appeler l'impôt 
militaire. | 

La méthode, jusqu'ici employée, pour la répar- 
tition de cet impôt, est, il faut en convenir, d'une 
admirable simplicité : 1l faut tant d'hommes; le sort 
les désigne ; les autres sont quittes : voilà tout le 
système. 

Ainsi l'unique répartiteur de l'impôt, c’est le ha- 
sard : ceux qu’il désigne supportent seuls le fardeau, 
et rien pour eux n'en allège le poids. Les autres 
s’en trouvent affranchis sans acheter cet affranchis- 
sement par le plus léger sacrifice : première et frap- 
pante iniquité. | 

Ce n’est pas tout : le sort a prononcé; mais parmi 
ceux qu'il n’a point favorisés, les uns, riches, heu- 
reux, accoutumés à une vie de délices ou livrés à 
des occupations lucratives, n'ont garde de leur pré- 
férer les rudes travaux et les stériles fatigues de la 
vie militaire, surtout s’il ne s’y joint ni périls à bra- 
ver , ni lauriers à cueillir. Que font-ils donc ? Ils se 
font remplacer ; ils servent par procureur. Un man- 
dataire salarié porte pour eux le sac et la giberne, 


_— 65 — 


et, de cette manière, ils paient commodément leur 
dette à la patrie. LU 

Au contraire , celui qui ne possède que ses bras, 
qui vit chaque jour du pain de la journée, qui ne 
peut rien garder de la veille, et n'a rien à espérer 
du lendemain, celui-là devra servir en personne : 
pour lui, la faculté du remplacement est illusoire ; 
car sa pauvreté ne peut pas atteindre au prix que 
coûte un remplaçant: Ainsi, cette faculté, laissée par 
la loi, privilège exclusif des classes aisées, est abso- 
lument interdite aux autres. 

Et, pourtant, celui qui vit dans l'opulence, s'il lui 
fallait, quand le sort le désigne , payer de sa per. 
sonne , échangerait les jouissances du luxe pour les 
rigueurs de la vie militaire ; tandis que l’homme, 
accoutumé à une vie dure et laborieuse , pourrait 
trouver sous les drapeaux plus de bien-être matériel, 
L'ouvrier, qui n’a que ses bras pour toute fortune, 
qui, toujours et partout , doit gagner son pain à la 
sueur de son front, sentira moiïns de différence entre 
la vie des camps et sa vie habituelle que le citadin 
appartenant aux classes aisées ou opuleñites. L’habi- 
tant de la campagne vit certainement mieux au ré_ 

giment que dans son village : il est mieux logé, 
mieux nourri, mieux vêtu, et il a moins de mal. 
Qu'on examine les jeunes hommes que le recrute- 
ment amène tous les ans sous les drapeaux : ils pa- 
raissent exténués. Maïs bientôt la vie régulière à 
laquelle ils sont astreints, la nourriture saine et 
_ abondante qui leur est ässurée, leur procurent une 


9. 


— 66 — 

santé florissante. On ne trouve guères dans les caser- 
nes que des visages frais et colorés ; on n’y rencontre 
pas ces teinis Hiâves et flétris qu’on remarque avec 
peine en grand nombre parmi la population ou- 
vrière. 

Certainement donc l'obligation de servir est d’au- 
tant plus pénible qu’elle arrache celui qu’elle atteint 
à une existence plus douce et plus agréable. Et n’en 
devrait-on pas conclure que l’homme, destiné à vi- 
vre au sein du luxe et de la mollesse, s’il est appelé 
sous les drapeaux et qu'il ne veuille pas payer de sa 
personne, devrait acheter sa libération un plus haut 
prix que celui à qui l'appel de la loi ne fait perdre 
que sa liberté? 

Ce sont là des considérations dont la loi actuelle 
ne tient aucun compte : après avoir laissé le hasard 
désigner ceux qui doivent payer pour tous, elle dit 
au pauvre comme au riche : pars ou fournis un rem. 
plaçant! Nouvelle injustice : car leurs positions sont 
bien différentes, et ce qui est facile à l’un est tout-à- 
fait impossible à l’autre. 

Aussi, qu'arrive-t-il? La carrière militaire n'’of- 
frant ni chance d'avancement, n1 avantages d’aucune 
espèce à la plupart de ceux que le hasard des tira- 
ges et l'impuissance de se faire remplacer y font 
entrer, ce n’est qu'à leur corps défendant qu'ils se 
rendent à l’appel de la loi. Et, lorsqu'ils s’y sont 
rendus, ils supputent avec impatience les années, les 
mois , les jours qu’ils ont à passer au régiment et 
voient avec bonheur arriver l'instant de le quitter. 


— 67 — 

Avec de sembläbles dispositions peuvent-ils être 
d’excellens soldats? Il est difficile de le croire. Ils ne 
passeront sous les drapeaux que le temps nécessaire 
pour y contracter quelques mauvaises habitudes, 
pour y pérdre peut-être celle du travail, et ils ne 
rapporteront dans leur village, après trois ou quatre 
années de garnison , qué des penchans vicieux. Ne 
vaudrait-il pas mieux qu'ils ne l'eussent jamais 
quitté ? 

Voilà ce que pensent les pères de famille, et, IE 
qu'ils voient leurs enfans atteindre l’âge où la loi les 
force de quitter le toit paternel, ce moment est pour 
eux celui des plus pénibles angoisses. Il n’est point 
de sacrifices qu'ils ne s ‘imposent pour les soustraire 
à cette obligation. 

Malheureusement, s'ils Pont réunir F somme 
nécessaire , ils se trouvent livrés, à toutes les hon- 
teusés spéculations des marchands. d'hommes, et ils 
ont encore à craindre que ces sacrifices ne devien- 
gent inutiles par la désertion du remplaçant. 

Et puis, n'est-ce pas quelque chose de profondé- 
ment immoral que ce contrat par lequel l’homme se 
vend à l'homme; par lequel l'individu qui se soucie 
le moins des intérèts et de la gloire de son pays, se 
substitue, moyennant finances, à celui qui ne veut pas 
remplir le devoir imposé par la loi? Est-ce de 
lhôémme qui a pu s’aliéner ainsi lui-même, qu’on 
peut ètre en droit d’attendre ce sentiment. du devoir, 
cette abnégation de soi-même , cet amour du pays 
qui font les héros? Le remplaçant n’en sera jamais 


== GR: == 

un ; ilne fera jamais un bon soldat. Il n’en est point 
sans le sentiment de l’honneur, auquel est néces- 
sairement étranger l'homme qui se respecte assez 
peu pour se vendre. 

Le remplaçant arrive à son corps, déjà dégradé à 
ses propres yeux; il s'y dégrade encore davantage 
parce qu'il s'aperçoit qu'il y est mal vu, et que le 
titre auquel il sert est pour lui un titre de réproba- 
tion auprès de ses chefs et mème auprès de ses ca- 
marades. Enfin, pour se faire mieux venir au moins 
de ces derniers, il cherche à les entraîner dans les 
excès auxquels lui permet de se livrer l’argent qu’on 
lui fait parvenir : c’est la source des plus graves dé- 
sordres. 

Tous les ans , il entre dans l'armée de quinze à 
vingt mille de ces remplaçans , la plupart hommes 
sans conduite comme sans moralité. S'ils avaient le 
bon esprit de conserver les sommes qu'ils touchent 
pour les engagemens successifs qu'ils contractent, 
ils pourraient, après leurs trente ans de service, 
joindre à leur retraite un revenu presque équivalent. 
Mais ils ne savent, pour la plupart, que les dissiper 
en folles dépenses, et cet argent, perdu pour eux, 
ne sert qu'à multiplier dans les régimens les fautes 
et les punitions, et qu'à augmenter par suite le 
nombre des indisciplinés. 

Si la législation actuelle, dont les bases sont le 
tirage au sort et la faculté de se faire remplacer, 
n'est bonne ni pour les familles, ni pour l’armée, 
elle n’est rien moins non plus qu'avantageuse aux 


— 69 — 


vieux soldats. Pour avoir droit à une mince retraite, 
il faut qu’ilsservent trente ans. Ils n'auraient droit à 
rien s'ils quittaient le service un seuljour avant l’ac- 
complissement de ce terme. Est-ce done l’appât de 
cette faible rénumération qui pourra lesretenir sous 
les drapeaux PEtpourtant ilne faut pas songer à sur- 
charger les finances de l’état, soit en réduisant le 
nombre d'années exigé pour la retraite, soit en éle- 
vant les tarifs. 

C’est donc aïlleurs que dans le budget qu'il faut 
trouver le moyen de retenir, en améliorant leur 
sort, un plus grand nombre de soldats sous les dra- 
peaux. La retraite au bout de trente ans est incapa- 
ble d'atteindre ce but : la rénumération est trop 
minime et le terme en est trop éloigné. 

Quel intérêt un bon soldat a-t-il à rester au ser- 
vice? aucun, sil n’a pas l'espoir d’être nommé 
officier , et 1l peut n'être pas assez instruit pour le 
devenir. Il restera donc sous-officier ou soldat, et 
s'il n'atteint pas sa retraite, toutes les années pas- 
sées au service seront pour lui des années perdues. 
Aussi les jeunes soldats s’empressent-ils, dès qu'ils 
le peuvent, de retourner dans leurs foyers, et les 
rengagemens sont-ils peu nombreux. 

Or, bien que le tems de service soit de sept an- 
nées, les jeunes soldats ne passent même pas ce 
tems entier sous les drapeaux; ils n’y restent guères 
que trois ou quatre ans; puis ils sont envoyés en 
congé illimité jusqu’à l’époque deleur libération ; et, 
quand elle arrive, réaccoutumés à la vie civile, il 


— 70 — 
est bién rare qu'ils contractent un nouvel engage. 
ment, bien qu'ils püissent en contracter un même 
pour deux années : c’est à peine si trois mille soüs- 
efficiers ou soldats se rengageñt anhuellement. 

Cet envoi en congé illimité a sans doute l’avantage 
de répartir à peu près également sur toutes les clas- 
sés le fardeau du service effectif : mais il à l’incon- 
véhient de rendre les soldats à la vie civile au mo- 
ment où ils savent leur métier, qu'is lont bientôt dé- 
sappris, en sorte que, si l’on profitait de la faculté 
qu'on a de les rappeler , on serait obligé de recom- 
mencer sur nouveaux frais à les instruire. 

Si l’on réfléchit à l'influence que doivent exercer | 
sur les dispositions des soldats d’une part la désha- 
bitude de la vie militaire, résultat d’un long séjour 
dans leurs foyers, séjour qu'ils s’accoutument bien 
vite à regarder, tout provisoire qu’il est, comme 
défimtif ; de l’autre la déconsidération attachée à 
la qualité de remplaçant, on s’expliquera très bien: 
comment H y a un si petit nombre de rengagemens :: 
c'est que les bons soldats, ceux à qui il répugne dé 
se vendre, ne trouvent aucun avantage à en con- 
tracter, Gar ce ne sont pas eux qui profitent des. 
sommes considérables versées tous les ans par les 
appelés qu? voulent s'affranchir du service militaire. 
C'est aux hommes les moins estimables au contraire: 
qu'appartient presqu'exclusivement cet avantage. 

On aura beau faire : tant que le prix du repla- 
cement passera directement des mains du remplacé 
dans les mains du remplaçant, celui-ci subira tou- 


_ Ji — 


jours une sorte de flétrissure morale, à laquelle 
l’homme d'honneur ne voudra pas s’exposer. Il fau- 
drait donc que la somme que paie celui qui ne veut 
pas servir, entrât dans les caisses de l'état, pour en 
sortir, non pas comme le prix de la liberté vendue, 
mais comme la juste récompense des services ren- 
dus à la patrie. Quel est le militaire qui rougisse 
de recevoir du trésor la retraite que la loi lui ac- 
corde? C’est le prix du sang versé sur vingt champs 
de bataille; c’est la preuve plus encore que la ré- 
compense des services rendus au pays : car, hélas! 
l'état est forcément ingrat envers ceux qui l'ont 
seryi. Eh bien ! il faudrait que ce fut aussi de l’état 
que le mihtaire reçut la récompense qui lui aurait 
été assurée. Plus de honte alors à la recevoir, et l’on 
verrait entrer et rester au service, contracter des 
engagemens volontaires et des rengagemens des 
hommes qui, aujourd'hui, ne veulent ni servir 
parce qu’ils ne sont point disposés à faire en pure 
perte le sacrifice de leurs plus belles années, ni se 
faire remplaçans, parce qu’ils ne veulent pas entrer 
dans un corps avec le stigmate fâcheux que cette 
qualité leur imprimerait. | 

En résumé , rien de plus injuste que l'impôt mili- 
taire, tel qu'il est établi. Cet impôt, dont le hasard 
est seul chargé de faire la répartition, ne frappe 
d’abord qu'une partie de la population sur laquelle 
il pèse; et puis ensuite, parmi ceux que le sort a 
désignés pour le supporter, la faculté de se faire 
remplacer n'appartient réellement qu'aux jeunes 


— 72 — 
gens qui jouissent des avantages de la fortune , tan: 
dis que les autres en sont privés. Voilà donc une 
charge ,. et une charge bien pesante, qui n’est point 
supportée par tous indistinctement , et à laquelle 
tous ne contribuent pas dans la proportion de leur 
fortune. 

Et de là tous les inconvéniens que nous avons 
signalés : les familles, qui ne peuvent atteindre au 
prix des remplaçans, se voient avec douleur enlever 
de.jeunes hommes, qui leur font faute, et qui servi- 
raient peut-être plus utilement l'état en conduisant 
la charrue qu’en portant le mousquet. L'armée voit 
avec peine le remplacement amener dans ses rangs, 
en trop grand nombre, des hommes qui ne font qu'y 
porter le désordre : hommes que séduit l’appât de 
la jouissarice immédiate de quelques centaines de 
francs bientôt dissipés en orgies au détriment de la 
discipline. Les hommes enfin, qu'on aurait intérêt 
à conserver comme modèles, et qui ont assez d'élé- 
vation dans l'âme pour ne pas vouloir se vendre, 
s'empressent de quitter une carrière qui ne leur 
offre en perspective, qu’une insuffisante retraite, 
qu'une chétive et misérable existence. 

Ainsi le mode actuel de remplacement, consé- 
quence du faux principe qui sert de base au recru- 
tement, blesse tout à la fois la justice et les plus chers 
intérêts des familles, et affecte la composition de 
l’armée. Il ne sert qu’à alimenter le honteux com- 
merce qui introduit dans nos troupes des hommes 
indignes de porter l'uniforme français, et, au lieu 


TS + 

d'appeler sous les drapeaux la partie saine de la po: 
pulation, tout au contraire il l'en éloigne. 

Qu'on s'étonne donc maintenant du peu de goût 
que témoigne la jeunesse française pour l'état mil: 
taire! Ce n'est pas que ce sol, qu'il n'a si souvent 
fallu que frapper du pied pour en faire sortir des bat 
taillons, soit tout-à-coup devenu stérile. Ce n'est pas 
que notre belliqueuse jeunesse ait aujourd’hui perdu 
cette ardeur martiale qui l’a de tout temps carac- 
térisée. Non certainement, et nul doute qu’au pre- 
mier bruit de guerre, on ne vit, comme on l'a tou- 
jours vu , le chiffre des enrôlemens volontaires, si 
faible aujourd'hui, s'élever rapidement : mais c’est 
que la carrière militaire, il faut en convenir, offre 
aujourd’hui peu de chances brillantes aux courages 
les plus aventureux, Elle devrait donc au moins pré- 
senter quelques avantages positifs. Que le temps 
passé au service ne soit pas un temps entièrement 
perdu; que l’homme, qui aura coasacré à son pays 
dix ou vingt de ses plus belles années, ne rentre 
pas dans son village sans des ressources qui lui per- 
mettent au moins d'attendre, en la cherchant, l’oc- 
casion d'employer utilement son intelligence on sés 
bras. Qu'il ne soit pas forcé d'aller mendier le pain 
de la pitié chez celui-là même qui, plus heureux que 
lui, aura échappé aux chances du tirsge , et, en se 
hvrant à un travail fructueux, à une industrie lu- 
crative, d’ouvrier, de laboureur, sera devenu maître 
ou fermer, et puis enfin propriétäire ; tandis que le 
soldat, enlevé à ses foyers, n'y rappottera, après 

"40. 


ne 
xingt ans de fatigues, que sa veste et son maigre 
décompte ! 

Tant qu’un semblable contraste existera, lant que 
cette injustice frappante sera sanctionnée par la loi, 
les cadres ne se rempliront qu'avec peine, et le sol- 
dat, que la rigueur seule de la loi appellera et re- 
tiendra sous les drapeaux, n’aspirera qu'à les quitter. 

Il serait peut-être possible de concilier les divers 
intérêts que blesse l’état actuel de la législation; et 
il me reste à exposer quels seraient les moyens d'y 


parvenir. 
DEUXIÈME PARTIE. 


MOYENS DE RÉMÉDIER AUX INCONVÉNIENS 


DU SYSTÈME ACTUEL. 


Je n’ai pas, on le sent bien, la prétention d’im- 
proviser sur une matière aussi grave, aussi hérissée 
de difficultés, une législation complète. Ce n'est 
point d’ailleurs un projet de loi, avec toutes les dis- 
positions de détail qu’il pourrait comporter, qu'on 
demande. On demande seulement sur quelles bases 
devrait être assise la législation de la matière pour 
satisfaire aux conditions résumées, avec une préci- 
sion si remarquable, dans l'énoncé du problème 
que j'ai entrepris de résoudre. Cet énoncé m impose 
des limites que je ne dois point dépasser. 

Les bases de la législation actuelle sont : le tirage 
au sort, et la facullé , pour ceux que le sort a dési- 
gnés, de se faire remplacer. 


— 79 — 
| Ces bases sont tout à la fois injustes et funestes : 
j'ai cherché à le démontrer dans la premiére pain 
de ce mémoire. 

Maintenant, quelles bases plus équitables et Lie 
avantageuses tout à la fois aux familles, à l’armée, 
aux vieux soldats, serait-il possible de substituer aux 
premières ? | 

Le vice du remplacement est moins encore dans 
la loi qui l’autorise que dans celle qui le rend néces- 
saire, c’est-à-dire dans la loi du recrutement. 


L'armée se recrute au moyen de tirages au sort : 
de là le mal; de là l'inégalité; de là le remplace- 
ment et tous les inconvéniens qu’il entraine. 

La charge du service militaire pèse de tout son 
poids sur ceux qui la subissent : elle est nulle pour 
ceux que le sort a favorisés. 

Mais elle deviendrait effectivement plus légère, ré- 
partie, aussi également que possible, sur tous ceux 
qui doivent la supporter. 


Or, s’il est certain que tous ne peuvent pas servir, 
i ne l'est pas moins que tous peuvent contribuer au 
paiement de ce que j'appelle l’impôt militaire. 

Pour atteindre ce résultat, 1l faudrait aux princi- 
pes suivis jusqu'à présent, substituer un autre prin- 
cipe qui pourrait se formuler en ces termes : 

Tous les Français sont, à partir du 1° Janvier de 
l'année qui suit celle dans laquelle ils ont atteint l’âge 
de vingt ans, soumis au service militaire , et composent 
tous le contingent de cette année. 


= 760 — 


. Eu vertu de ce principe, s’il était une fois adopté, 
tous Les jeunes Français de vingt ans se trouveraient 
soumis à l'obligation de servir ; tous devraient payer 
leur dette à la patrie ; tous devraient concourir à la 
défense du territoire. | 

. Mais ils pourraient n'y pas concourir tous de la 
même manière. 

Ici, je suis forcé de prendre des chiffres qui, cer- 
tainement, sont sujets à contestation : mais je ne les 
présente, en ce moment, que comme des hypothe-+ 
ses, sauf à examiner plus tard si ces hypothèses s'é- 
joignent beaucoup de la vérité, 

Je pars d’abord d’une base certaine , du chiffre 
des naissances viniles annuelles, combiné avec la loi 
de la mortalité, | 

Sur un million ou à-peu-près de naissances an- 
nuelles, il se trouve en France 498,820 individus 
mâles. 

D'après les tables de mortalité, ce nombre se 
trouve, après vingt ans, réduit à moitié, c’est-à-dire 
à 249,410, 

Si, sur ce nombre, 49, bio étaient impropres au 
service, ou en deyaient être exemptés par diverses 
causes, il resterait une population militaire annuelle 
de 200,000 hommes. | 

Ce sont ces 200,000 hommes qui devraient tous 
supporter, aussi également que possible, la charge 
de l’impôt militaire. | 

Or, l'armée est composée de 500, 000 hommes. 
Pour la maintenir à ce chiffre élevé , 1l faut aujour- 


— 71. — 


- d'hui, d'après la loi qui fixe à sept ans Île temps de 
service, un recrutement annuel de 80,000 hommes. 
Mais ilest reconnu par les militaires les plus expé- 
rimentés que, si le temps de service était de huit ans, 

une levée annuelle de 65,000 hommes serait suffi- 
sante, (Ghambre des Pairs; séance du 18 juin 1855; 
discours de M. le Marquis Delaplace ). 

On peut en conclure que , si le temps de service 
était de dix ans, il suffirait d’une levée annuelle de 
50,000 hommes pour alimenter une armée de 
200,000, 

Qu'on nous permette ici quelques réflexions. 

Sous l’empire d’une loi qui ne frappe qu'une 
parlie de la population militaire, plus on augmente 
le nombre des années de service, plus l’injustice est 
grande envers ceux qui se trouvent forcés de servir. 
Pour alléger, dans ce système, le fardeau que sup- 
portent sans indemnité, ni compensation d'aucune 
espèce, ceux que ke sort a désignés, il faut donc né- 
cessairement diminuer, autant qu'on le peut, d'a- 
bord le temps légal du service, et puis le séjour 
effectif des appelés sous les drapeaux. 

. De là : 1° La fixation à sept années seulement de 
la durée du service ; 

2° La division des contingens en hommes présens 
sous les drapeaux, et en hommes laissés ou renvoyés 
dans leurs foyers; division au moyen de laquelle la 
durée effective du service se trouve réduite à trois ou 
quatre années : c’est le temps nécessaire pour ins- 
truire et former un soldat. 


= 7 — 

Il en résulte que l’armée est toujours composée 
en trop grande partie d'élémens nouveaux. 

Mais si une indemnité, dont il ne s’agit point 
encore de déterminer le chiffre, était assurée aux 
soldats après leur temps de service, on pourrait cer- 
tainement porter ce temps à dix années, et-l'on au- 
rait sinsi constamment sous les drapeaux , en im- 
mense majorité, des soldats parfaitement instruits, 
puisqu'un tiers seulement de l’armée aurait moins 
de trois ans de service. 

Que faudrait-il pour qu'il y eût justice complète 
dans la répartition del'impôt militaire ? Il faudrait, si 
cela était possible, que les 200,000 jeunes hommes, 
formant le contingent annuel, passâässent tous sous 
les drapeaux le temps nécessaire pour que la France 
eût toujours sur pied l'armée dont elle a besoin. Par. 
exemple, si l armée n'était que de 400,000 hommes, 
il faudrait que les 200,000 hommes de contingent 
annuel servissent tous seulement deux années. Avec 
un pareil système , l'impôt serait sans doute fort 
également réparti : mais il est évident qu’on aurait 
une fort mauvaise armée, puisqu'elle serait toute et 
toujou rs composée de nouvelles recrues. | | 

Cette hypothèse, toute inadmissible qu'elle est, 
nous fait voir, pourtant, comment on pourrait arriver 
à répartir équitablement la charge de l'impôt mi- 
litaire. 

Toute obligation de faire est susceptible, en cas 
d'inexécution , d’être traduite en un chiffre qui la 
représente. Ainsi l’obligation, que la loi imposerait 


— 79 — 
à tous les Français, parvenus à leur vingtième an- 
née, de servir pendant dix ans, par exemple, pour- 
rait être représentée soit par un capital, immédia- 
tement exigible, et dont le versement dans les caisses 
de l’état, libérerait immédiatement l'appelé, ou, 
pour mieux dire, le contribuable , soit par une an- 
nuité qui serait versée pendant les dix années con- 
sécutives de service exigées par la loi. Ce serait une 
sorte de contribution personnelle qui cesserait d’être 
exigible du moment que le contribuable aurait at- 
teint l’âge de trente ans. 

Appliquons maintenant ces principes, et voyons- 
en les résultats, sans attacher encore, nous le ré- 
pétons, une valeur absolue aux Cr EeSe sur lesquels 
nous allons raisonner. 

La population , qui atteint tous les ans l’âge mi- 
litaire , et qui est capable de servir, s'élève donc, 
comme on l’a vu, à 200,000 hommes, et 50,000 
seulement doivent être, chaque année, appelés sous 
les drapeaux. Restent donc 150,000 soumis, en vertu 
du principe qui doit servir de base à la perecption 
de tout impôt, à la même obligation, et qui doivent 
concourir à l’acquitter, en allégeant, pour ceux qui 
la supportent personnellement, la charge du service 
militaire. | | 

C'est-à-dire que , pour un homme qui sert, il y 
en a trois qui reslent dans leurs foyers... Eh bien! 
ce sont ces trois hommes, laissés dans leurs foyers, 
qui doivent contribuer à indemniser celui qui s’est 
rendu sous les drapeaux. 


— B6O — 


Or, les remplaçans sont aujoutd’hui payés 1,000, 
1,200 , 1,500 fr. (1) C’est une somme à laquelle ne 
peuvent atteindre la plupart de ceux qui voudraient 
ne point servir. Mais si l’on admet le principe de 
toute justice que l'impôt militaire doit être supporté 
par toute la population militaire, comme l'impôt 
foncier par tous les propriétaires fonciers, comme 
l'impôt personnel par tous les Français, on trouve 
dès-lors le moyen, d’une part, d’affranchir du ser. 
vice, moyennant un sacrifice à leur portée, ceux 
qui he voudront pas entrer dans la carrière mili- 
taire ; et, d’un autre côté, d’assurer à ceux qui l’em- 
brasseront une juste indemnité. 

Si nous prenons, en effet, pour base de cette in- 
demnité, le prix moyen à peu près que coûte aujour- 
d’huiun remplaçant, c'est-à-dire mille francs, ils’en- 
suivra que , celte somme devant être fournie par les 
trois hommes laissés dans leurs foyers, chacun d’eux 
aura, pour obtenir sa libération, à verser immédia- 
tement dans les caisses de l’état une somme de 
335 fr. 33 c.; ou bien à payer annuellement, pen- 
dant dix ans, une contribution personnelle de 
33fr. 35 c. 

Ce n’est pas tout. De cette manière, l'impôt serait, 
il est vrai, supporté par tous indistinctement, comme 
le veut l’article 2 de la Charte ; mais il ne serait pas 
supporté par tous, dans la proportion de leur fortune, 
comme le veut le même article. Or, comme nous 


(4; Méme 2,400 fr., après le tirage. (Prospectus de la Caisse 
Militaire. ) 


— Bi — 

l'avons établi, cette seconde régle est, ainsi que la 
première, applicable à l'impôt militaire, aussi bien 
qu’à tous les autres. Il serait d’une injustice révol- 
tante que deux hommes, dans les positions de for- 
tune les plus dissemblables, fussent soumis au paie- 
ment de la même somme pour être dispensés de 
l'obligation de servir, lorsqu'il est bien certain que 
cette obligation, si l’exécution réelle en était exigée 
d'eux, serait infiniment plus pénible pour le riche 
que pour le pauvre. Le premier doit donc payer 
une plus forte indemnité que le second, d’abord 
parce qu'il est riche, et puis ensuite parce que, lui 
c’est la faculté de se livrer à ses plaisirs qu’il achète, 
tandis que l’autre n’achète que le droit de conti- 
nuer ses pénibles travaux, 

Toutefois, il serait important de prendre quelques 
mesures pour éviter des fixations tout-à-fait arbitrai- 
res. Par exemple, on pourrait établir un maximum 
et'un minimum entre lesquels se trouverait un cer- 
tain nombre de classes intermédiaires. Si donc les 
limites adoptées étaient, je le suppose, 50 et 2500 f. 
de l’une à l’autre de ces limites se trouveraient des 
cathégories dans lesquels tous les appelés seraient 
* réparlis. 

Cette répartition offrirait sans doute da graves 
difficultés. Cependant on conçoit parfaitement qu'il 
serait possible d'établir une progression ascendante 
depuis le simple manouvrier , vivant de son travail, 
jusqu'au propriétaire ou rentier vivant de ses reve- 
nus et ne s’occupant que de ses plaisirs. Dans les 


11. 


— 89 — 


intermédiaires se trouveraient les élèves des diverses 
écoles appelés à exercer un jour des professions plus 
ou moins lucratives. Il ne faudrait pas cependant 
prétendre à une justice rigoureuse, ni vouloir exer- 
cer une sorte d'inquisition sur la fortune de chacun. 
D'ailleurs c’est ici un impôt tout personnel, qui, le 
plus souvent, il est vrai, sera acquitté par les parens 
des appelés, mais qui pourtant doit être établi plutôt 
d'après la position que chacun d'eux, suivant le 
genre de travail auquel il se livre, paraît devoir 
occuper un jour, que d’après la fortune dont peut 
jouir sa famille, fortune qui serait très difficile 
à évaluer et que mille circonstances peuvent l’em- 
pêcher de recueillir ; tandis que l'éducation qu'il 
reçoit, pour entrer dans une carrière, que l’acquit- 
tement de l'impôt militaire lui permettra de suivre 
sans interruption, est une ressource qui ne lui 
échappera jamais. 

Ge n’est, au reste, ici le lieu n1 d'entrer dans les 
immenses détails du système dont je viens d'exposer 
la double base, ni de résoudre toutes les questions 
qui se rattacheraient à l'exécution d’un plan dont j je 
n'avais à présenter que l'esquisse. 

Ce qu'ils’agirait maintenant d'examiner, ce serait 
si le système, fondé ainsi sur le principe d’une égale 
et proportionnelle répartition de l'impôt, satisferait 
à toutes les conditions exigées, s’il serait à la fois 
dans l’intérèêt des pères de famille, de l’armée, des 
vieux soldats. | Co 

Je le demanderai d’abord, quel est le père de 


— 83 — 


famille qui ne s'eslimerait heureux de pouvoir,. 
moyennant une somme qui ne dépasserait pas les 
facultés les plus résireintes, soustraire son fils aux 
chances du tirage, et se soustraire lui-même à la 
chance d’être obligé d’acheter un remplaçant une 
somme trois ou quatre fois plus considérable ? Quel 
est le jeune ouvrier, qui, depuis Fâge de quatorze 
ou quinze ans jusqu’à celui de vingt, né pourra lui- 
même , s'il le veut, gagner, par son travail et son 
économie, le prix de sa libération? Ainsi la mesure 
proposée serait éminemment morale : elle exciterait’ 
les jeunes gens au travail; ellé leur en ferait con- 
tracter l'habitude; elle multiplierait le nombre des 
citoyens livrés à d’utiles occupations. Aa lieu que 
l'obligation de passer, ne fût-ce qué trois ou quatre 
années sous les drapeaux, apporte, dans la carrière 
des jeunes gens, une perturbation dont ils peuvent 
se ressentir toute leur vie : car ils passent inutile- 
ment dans les garnisons l’âge le plus favorable pour 
se perfectionner dans l'état qu’ils avaient entrepris. 

En second lieu , est-ce qu’une armée composée de 
soldats, ayant la plupart six à sept ans de service, 
ne serait pas une excellente armée? Or telle serait 
précisément celle qui se recruterait par dixième tous 
les ans. | 

Et puis, le prix du tems passé au service de l'État 
pe pourrait plus dévénir une source de désordres 
dans les corps, puisque ce ne serait qu'après l’ex- 
piration de ce tems qu'il appartiendrait et serait re- 
aus. aux militaires. Aujourd’huk, au contraire, c’est 


— 8h — 


pendant qu'il est au corps que le remplaçant reçoit 
le prix de l'engagement qu’il a contracté, et, le plus 
souvent, il le gaspille. Alors, n’ayant plus rien à 
attendre, il ne marche que par la crainte des puni- 
tions ; il trouve bien pesans les devoirs qui lui sont 
imposés, et, pour s’y soustraire, il déserte. 

C'est aussi ce qui arrivait à une époque, où, par 
des primes élevées, on cherchait à déterminer les 
soldats à se rengager par anticipation. «Les hommes 
» qui avaient contracté ces engagemens, avaient 
» plutôt consulté les besoins qu'ils éprouvaient que 
» leur volonté de rester long-tems au drapeau. Plus 
» tard ils reconnaissaient toute la gravité du nouvel 
» engagement qu'ils avaient pris, et la désertion en 
» était souvent la conséquence. » (Compte rendu 
au roi par le ministre de la guerre sur l’exécution de 
la loi du 21 mars 1832, relative au recrutement de 

l’armée, p. 80.) 

Aussi avait-il fallu apporter àcet état de choses duel 
ques dispositions restrictives qui eurent pour'effet de . 
diminuer considérablement le chiffre des rengage- 
mens. | 

Il faut donc que la récompense soiten Drespecties 
alors, pour l’obtenir, il faudra la mériter, et le cou- 
rage sera tenu incessamment en haleine par la 
crainte d’en être frustré. Que le soldat voit chaque 
année augmenter le petit capital qui devra lui être 
remis aprèsses dix années de service, et il parcourra, 
sans une trop vive impatience, le cercle dont il aura. 
la certitude de ne pas sortir entièrement dénué 
de ressources. 


_— 85 — 
Quelques idées d'ordre et d'économie pourront 
ainsi peut-être germer dans la tête du soldat et pro- 
duire d’heureux effets. L'homme qui possède quel- 
que chose, ne fût-ce que le plus mince capital, ne 
fût-ce que la plus misérable chaumière, surtout si 
ce capital, prix de ses sueurs, lui est d'autant plus 
précieux qu'il aura eu plus de peine à l’acquérir, 
offre à la société des garanties que ne présente pas 
celui qui ne possède absolument rien. | 
Non seulement donc l'espoir dela récompense pro- 
mise fera de ceux qui embrasseront la carrière mili- 
taire de bons soldats, mais encore la récompense 
obtenue fera de ces bons soldats de bons citoyens. 
Actuellement, au contraire, l’armée les rend à la 
société sans le moindre pécule, et, tout-à-la-fois, dés- 
habitués du travail et sans moyens de s'en procurer. 
Faudrait-il donc s'étonner si quelques-uns, qui peut- 
être , si on les eût laissés se livrer à leur industrie, 
eussent été d’excellens et paisibles ouvriers, se li- 
vrent au désordre au sortir des rangs de l’armée , 
et, s'ils tombent entre les mains des agioteurs de 
profession, deviennent des artisans de troubles. 
Enfin , trois ou quatre années de service militaire 
sont trop ou trop peu : c’est trop pour ceux qui ne 
veulent pas suivre la carrière ; c’est trop peu pour 
avoir des soldats parfaitement disciplinés. | 
Voilà donc pour les familles, pour l’armée et 
même pour la société tout entière bien des avanta-” 
ges qui résulteraient du système proposé. Quant 
aux vieux soldats, il serait facile aussi de faire voir 


— 86 — 


combien ce système leur serait favorable, et quelle 
heureuse influence, par suite, il exercerait encore 
sur la composition de l'armée. 

D'abord, ceux même qui ne voudraient servir que 
dix années, n'auraient pas entièrement perdu leur 
tems , puisqu'ils auraient acquis une somme de 
mille francs. | 

Mais ce n'est pas tout : si dix années de service 
donnaient droit à mille francs, il arriverait que beau 
coup de soldats, qui auraient déjà servi dix ans, ne 
demanderaient pas mieux que de servir dix années 
encore , et l’on devrait naturellement les préférer à 
de nouvelles recrues. Ainsi l’armée pourrait compter 
dans ses rangs un grand nombre de militaires ayant 
déjà servi dix ans ; et, certes, ce ne serait pas un mal. 

De cette manière, aux premiers mille francs qu’il 
aurait reçus, le soldat, en se réengageant pour dix 
années encore, pourrait ajouter d’abord les intérêts 
de ces mille francs pendant les dix années de son 
nouvel engagement, et, de plus, les mille francs qui 
lui seraient encore assurés au bout de cette seconde 

période. ‘Il se trouverait donc à quarante ans, en 
possession d’un capital de 2500 francs. 

Il pourrait enfin servir dix autres années encore : 
mais ces dix dernières années ne lui donneraient: 
point droit à une nouvelle somme de mille francs : 
elles lui serviraient seulement à compléter le tems 
de la retraite. | | | 

La raison en est que, si l'Etat a intérêt à re- 
tenir des soldats qui aient déjà servi dix ans, x 


07 


n'en à pas à en conserver qui aient servi plus de 
vingt ans. Passé l'âge de quarante ans, le soldat est 
fatigué. Il faut, disait le général Foy, que, dans une 
armée, la masse des soldats soit moins âgée que la 
masse des officiers. Ce serait un inconvénient d'avoir 
_ trop de vieux soldats, comme c’en est un d'en avoir 
un trop grand nombre de jeunes. Il serait donc juste 
de ne rien allouer pour ces dix dernières années, et 
ce serait même une faveur accordée aux plus mé- 
ritans que de leur permettre de les faire pour com- 
pléter leurs droits à la retraite qui en serait la récom- 
pense. 

Il est clair d’ailleurs qu'il faudrait déterminer dans 
quelles proportions l’armée devrait être composée 
de jeunes soldats, ayant moins de dix années de ser- 
vice ; de réengagés, ayant servi dix ans, et de vétérans, 
ayant servi vingt ans. 

Mais comme, pendant ces dix dernières années, 
courraient et s’accumuleraient les intérêts des 2500 
francs, dont le soldat, après vingt ans de service, se 
trouverait propriétaire, ce serait encore 1250 francs 
à ajouter aux 2500; en sorte que le militaire, ayant 
trente ans de service posséderait un capital de 
5750 francs , susceptible de produire soit une rente 
perpétuelle de 187,50, soit une rente viagère d’à-' 
peu-près 300 francs, à laquelle viendrait s’ajouter 
la retraite. | | | 

Certes, dans ce système, le bénéfice de ces trente 
longues années ne serait pas encore bien considéra- 
ble, puisqu'il ne s’éleverait pas même à 4000 fr. : 


= 88 — 
miais enfin ce sérait quelque chose. Il n’est point de 
si humble domesticité où l’on né puisse, avec une 
sévère économie, parvéñir à un semblable résultat, 
aujourd’hui surtout qué cette vertu (si l’on peut, 
avec Courrier, lui donner ce nom) est encouragée 
par l’établissermient des éaisses d’épargnes, belle et 
philanthropiqueinstitution qui, touten se bornant à 
recevoir et conserver les deniers du pauvre, se mon- 
tre envers lui plus bienfaisante que l’aumône : car, 
en lui apprenant à être économe, elle lui apprend à 
être rangé et moral; tandis que, trop soùvent, 
l’aumône, faite sans discernement, alimente Ia pa- 
resse et contribue à la dégradation de humanité. 


Et, qu'est-ce que nous demandons aujourd’hui, 
si ce n’est une grande caisse d’épargnes pour l’ar- 
mée, caisse dans laquelle seraient déposées , pour 
être distribuées à ceux qui auraient intégralement 
acquitté leur dette, les sommes que devraient verser 
tous ceux qui ne serviraient pas. 


Abandonner, comme on le fait, à l’insouciance 
du soldat le soin de conserver lui-même les ressour- 
ces qu'il peut trouver dans la faculté de se faire 
remplaçant, c'est méconnaître son caractère fort 
peu soucieux de l'avenir, et ne point tenir compte 
de la fougue de l’âge et des passions qui lui feront 
toujours tout sacrifier au plaisir du moment. Il faut 
donc que l'Etat se fasse tout-à-la-fois et le collec- 
teur, et le consignataire et le répartiteur des sommes 
versées par les jeunes Français qui préfèrcraient 


— 89 — 
acquitter ainsi l'obligation que la loi imposerait à 
tous de concourir à la défense du pays. 

Un système, dont les bases seraient celles que je 
viens d'exposer , satisferait donc à toutes les condi- 
tions exigées. | 

Il assurerait la sécurité des familles : car celles 
qui le voudraient conserveraient leurs enfans mo- 
yennant le paiement d’une somme qui ne dépasse- 
rait pas leurs facultés ; et celles, dont les enfans vou- 
draient suivre la carrière militaire, les verraient 
volontiers entrer au service, certaines qu'en le quit- 
tant ils ne se trouveraient pas tout-à-fait dénués de 
ressources.  ” | 

Il assurerait à l’armée une meilleure composition, 
en faisant disparaître la classe des remplaçans : les 
hommes qui ne veulent que de l’argent, qui se ven- 
dent pour en avoir, ne trouveraient pas leur compte 
à une institution qui leur imposeräit préalablement 
dix années de bons services. Mais on verrait entrer 
dans l’armée des hommes honnètes qui seraient 
heureux, en servant leur pays, de s’assurer quelques 
ressources, | 

Ïl retiendrait aussi dans les rangs de l’armée un 
‘grand nombre de militaires, qui, après avoir servi 
dix ans, voudraient servir dix autres années pour 
ajouter une seconde indemnité à la première. D’au- 
tres enfin pourraient vouloir servir dix ans de plus 
pour obtenir leur retraite. 

Et ilen résulte que le système proposé ne serait pas 


moins avantageux aux vieux soldats, à qui il assure- 
492. 


=. 00 
tait une récompense proportionnée au tems qu'ils 
‘auraient passé sous les ne ds qu'aux familles et 
à l’armée. 
‘Il satisferait donc à toutes les conditions si bien 
- déterminées dans la question que j'ai tenté de ré- 
soudre. 

Je ne me flatte pourtant pas, on le croira faci- 
lement, qu'il ne soit susceptible d'aucune objection: 
H est de nature, au contraire, à en soulever de nom- 
breuses et de graves. Je n’oi nullement la prétention 
‘de les prévoir et de les réfuter toutes. Mais il me 
semble qu’elles devraient tendre à établir : 

Ou que le système est injuste dans sa base; 

“Ou qu'il ést d’une exécution impossible. : 

‘Je crois doné pouvoir me borner à établir qu'il 
est fondé sur un principe de rigoureuse justice, et 
assis sur des-doünnées positives, qui ne laissent porn 
prévoir d'obstacles insurmontables. 

1°. Ce principe de rigoureuse équité, quel est-il? 
je lai inscrit en tête de ce mémoire; il est le pivôt de 
imon argumentation : c’est l’article 2 de la Charte qui 
veut que les Français contribuent indistinctement, dans 
la proportion dé leur fortune, aux charges publiques. 

L'impôt mihtaire, n'est-ce point une des charges 
publiques? N'est-ce point la plus lourde de toutes ? 
Pourquoi serait-elle la plus inégalement répartie ? 
Pourquoi ce mode vraiment barbare de faire peser 
l'impôt sur quelques têtes seulement, désignées par 
le sort? Pourquoi ceux que le sort a désignés ne peu- 
vent-ils tous s’y soustraire qu’au mème prix quand 


— JE — 


ils se trouvent tous dans des positions si diverses ? 
- Disons-le : notre mode de recrutemeut est une 
iostitution de l'enfance des sociétés humaines. Il 
accuse une ignorance révoltante de la théorie de 
impôt. Si l’habitude me nous avait dès longtems 
blasés sur le vice radical de ce vieux système, quin'est 
autre que le tirage à {a milice, nous ne compren- 
drions pas comment un si criant abus a pu se perpé- 
tuer jusqu’à nos jours, 

… Ah ! quand Ja patrie est en danger, qu'elle fn 
un appel général à tout ce qui peut porter un mous- 
quet, une pique, une arme quelconque : elle en a 
ke droit, et, en l’exerçant dans toute son étendue, 
elle ne blesse en rien la justice. Mais la justice est 
profondément blessée , si quelques-uns, de quelque 
manière qu'ils soient désignés, fut-ce mème par la 
voie du sort, supportent seuls une charge dont cha- 
eun. devrait supporter sa part. 

« Le souverain, dit l’auteur du contrat social, n' . 
» nul droit de toucher ay bien d’un particulier ni de 
» plusieurs : mais il peut légitimement s'emparer du 
» bien de tous. » C'est ma thèse : je conçois très 
bien qu’on puisse appeler aux armes toule la jeu- 
nesse enétat de les porter : maison ne peut pas, sans 
la plus manifeste injustice, forcer quelques-yns 
d’acquitter la dette de tous. 

.dJ' invaquerais enfin, sil en était Besoin, et les 
principes du droit, public et les principes du droit 
sivik, et je demanderais si le tems, dont on prive 
ceux qu'on force de servir, n'est pas leur propriété, 


— 9 — 
et si, en les en expropriant pour cause d'utilité pu- 
blique, on ne leur doit pas une juste indemnité. 

Si tous ces principes sont incontestables, de 
de notre base ne peut être méconnue. | 

4° Mais, maintenant, le plan proposé est-il d'une 
exécution possible ? 

H y a sans doute ici une partie hypothétique : ce- 
pendant il faut remarquer que nous nous appuyons 
sur une base certaine, sur le chiffre des naissances, 
dont nous avons déduit, conformément à Ja loi de 
la mortalité en France, le chiffre annuel des hom- 
mes de vingt ans. : 

Eh bien! prenons maintenant une base encore 
plus sûre, le chiffre mème des dénombremens mi- 
litaires : nous le trouverons encore plus élevé que 
celui donné par la science. 

En effet, la force moyenne de chacune des classes 
de 1816, 1817, 1818 et 1819 était de 298,850. 
( Compte rendu en exécution de la loi du 10 mars 
1818, publié en 1821, p. 96 et 97.) 

De ce chiffre il faut déduire les exemptions et les 
réformes, dont la moyenne, pour les mêmes années, 
avait été de 72,990, c'est-à-dire, en comparant ce 
chiffre à la force des classes, de 1 sur 4. 

La proportion est à peu près la même aujour- 
d'hui : car la force totale des classes de 1831, 1852 et 
1835 a été de 859,260, ce qui donne pour moyenne 
de ces classes 286,420, et la moyenne des exemp- 
tions et réformes pour les mêmes années a été de 
89,474. 


= — 
© D'où l'on peut conclure que le chiffre des exemptés 
et réformés est entre le tiers et le quart du chiffre 
total de la classe, | 
Il faut ajouter encore, que, lorsque l'obligation 
du.service militaire se résoudra dans le paiement 
d’une contribution proportionnée aux ressources de 
chacun , il y aura infiniment moins d’exemptions, 
et l’on ne verra plus exemptés pour prétendues in- 
firmités une foule de jeunes gens qui ne s’en livrent 
pas moins à des professions tout aussi pénibles que 
celle des armes. On ne verra plus recourir à de hon- 
teuses simulations de maladies ; on trouvera juste 
de payer l'impôt militaire etonle paiera avec la même 
facilité que tous les autres. Nul doute que le chiffre 
des exemptés ne diminue considérablement. Ainsi | 
notre chiffre de 200,000 contribuables peut être consi- 
déré comme aussi certain que le chiffre 286,000 qui 
représente lenombre brut des hommesde 20 à 21 ans. 
Quant aux chiffres de l’indemnité et de la contri- 
bution, j'ai peu de chose à en dire, parce qu’ils sont 
nécessairement variables, Toutefois, le chiffre de 
1,000 francs, pour l’indemnité militaire, devrait être 
considéré sans doute comme un minimum au-des- 
sous duquel il ne serait pas possible de descendre, 
surtout si le temps de service était de dix ans. 
… À l'égard de la contribution militaire, on concevra 
facilement qu'elle serait susceptible d’augmenter-ou 
de diminuer suivant qu’on admettrait plus ou moins 
d'hommes sous les drapeaux. Si l’effectif de l’armée 
était diminué, il faudrait moins d'hommes, et dès- 


— % — 


lors il y aurait, d’une part, moins d’indemnités à 
payer, et, de l’autre, plus d'individus qui en paie: 
raient; par conséquent la contribution devrait êtré 
moindre : elle serait plus forte dans le cas contraire. 

11 y aurait enfin des calcals à faire pour établir la 
division en classes, de manière à ce que le produit 
de toutes donnât, pour chaque homme laissé dans 
ses foyers, la moyenne nécessaire pour assurer , à 
ceux qui serviraient de leur personne, l'indemnité 
déterminée, | 

Mais l'énoncé du problème, dont je propose une 
solution, n’exige pas que j’entre dans ces détails, non 
plus que dans l'examen de toutes les questions qui 
se ratiachent à celle qui fait l’objet de ce mémoire. 
J’en indiquerai seulement une, celle de savoir si, 
tout en laissant dans ses foyers la majeure partie de 
la jeunesse, il ne conviendrait pas de la soumettre, 
comme dans quelques pays voisins, à des rassem- 
blemens périodiques ; de former tous les ans soit 
dans chaque département , soit dans chaque divi- 
sion militaire, des camps de manœuvres, où l'on 
enverrait seulement des cadres d'officiers et de sous- 
officiers tirés des régimens voisins, cadres que vien- 
draient momentanément remplir tous les jeunesgens 
de 18 à 25 ans, organisés, pour quelques semaines, 
en compagnies, bataillons et régimens. Ne restas” 
sent-ils que quarante ou cinquante jours chaque an” 
née, pendant quatre ou cinq ans, à vivre la vie mili- 
taire, ce serait assez pour qu'ils fussent au besoin 
tout prêts à rendre d'immenses services. 


— 95 — 

Et puis, là se développerait sans doute chez quel- 
ques-uns le goût pour la carrière militaire , et l’on 
attirerait sous les drapeaux des hommes aimant leur 
état et voués tout entiers à la défense du pays. 

Aucun Français ne serait ainsi étranger au manie- 
ment des armes et aux habitudes militaires, et tous 
seraient toujours prêts à échanger leurs instrumens 
de travailcontre ceux de la guerre : comme cesadmi- 
rables soldats-travailleurs, qui, le fusil en bandou- 
hère , creusent la tranchée sous le feu de l’ennemi : 
l'assiégé vient-il à les troubler, ils laissent un instant 
la pelle et la pioche, saisissent le sabre ou le mous- 
quet; puis, quand ils ont repoussé l’assaillant, ils re- 
prennent leurs outils et poursuivent leur travail avec 
autant d'intelligence et d’ardeur qu'ils viennent de 
montrer, dans le combat, de courage etd’intrépidité. 

La France ne serait-elle pas bien forte, couverte 
ainsi d'un million de défenseurs, les uns consacrant 
une partie de leur existence , ou leur existence tout 
entière à leur pays, vivant , sous la tente , et ne se 
séparant de leur drapeau qu’au moment où la dimi- 
nution de leurs forces et le progrès des années ne 
leur permettent plus de le suivre ; les autres, livrés 
aux occupations de l’état qu'ils ont embrassé ; mais, 
chaque année , pendant leur jeunesse, essayant la 
vie militaire, apprenant le fait des armes, et toujours 
prêts ainsi à répondre à l'appel de la patrie, à voler 
à sa défense. 

J'ai dû me renfermer dans les limites qui ro CS 
taient tracées. 


Îl s'agissait seulement d'indiquer les bases d’une lé- 
gislation spéciale sur les rempläcemens militaires. 

J’ai établi qué le vice du mode actuel de rempla: 
cement était dans la base même du recrutement de 
l’armée, dans le tirage au sort. 

J'ai prouvé que ce mode; injuste dans son prin- 
cipe, funeste dans ses conséquences, enlève aux fa- 
milles peu aisées des jeunes gens qui leur seraient 
nécessaires, rend la faculté de se faire remplacer le 
privilège extlusif des familles favorisées de la fortune; 
entretient dans les corps une classe d'hommes faisant 
métier de se vendre, dont les mauvais exemples ten- 
dent à démoraliser l’armée , et qui; seule pourtant, 
reçoitet gaspille des sommes considérables qui pour- 
raient et devraient servir à récompenser les militai- 
res qui se consacreraient au service de leur pays. 

J'ai indiqué enfin les bases d'un système qui au- 
rait pour résultat de rendre l'impôt militaire moins 
onéreux en en répartissant la charge sur tous ceux 
qui doivent la supporter, c'est-à-dire en le rendant 
tout à la fois, comme doit être tout impôt, général 
et proportionnel : général dans son application , et 
proportionnel aux avantages dont l'obligation de 
servir priverait celui qui voudrait s’en dispenser. 

Si un autre, plus heureux et plus habile que moi, 
est parvenu à élever, sur une base plus équitable en- 
core, un édifice plus solide, je suis prèt à m'en fé- 
liciter et à joindre mon obscur suffrage au suffrage 
glorieux qu'il aura mérité. 


ee ee 


a ee 


RAPPORT 


SUR LE 


CONCOURS DE POÉSIE DE 1835, 


Par M. LUEZ, avocat, membre résidant. 
"DM QE en 


MEsstEuRs , 


Pour que votre concours de poésie fut constitué, 
cette année, sur la première de toutes ses condi- 
tions, sur celle qui lui donne son véritable carac- 
tère, et sans laquelle il n'aurait qu’une forme vague 
et insaisissable, vous en avez désigné le sujet. Vous 
avez voulu que tous les concurrents fussent émus 
de la même idée inspiratrice, afin que le plus heu- 
reux d’entre eux se reconnût à la plus vaste sphère 
d'images dont ses perceptions poétiques l’auraient 
entourée et embellie. C’est bien là l'essence de 
toute lutte scientifique, littéraire ou artistique , qui 
n'éveille et ne provoque, il est vrai, qu’un petit 
nombre de sympathies, mais qui les concentre 
sur une lacune des conceptions humaines, et les 
appelle à en remplir le vide de leurs plus belles 
inspirations. | 

Dans cette forme de contrat littéraire, qui n’est 
presque plus aujourd'hui qu’une exception parce 


153. 


_ 98 — 
qu'on s'en est trop souvent écarté, les obligations 
ne tombent pas seulement sur ceux qui l’acceptent; 
il en est une principale, qui devait vous atteindre 
comme un devoir rigoureux et que vous ne pouviez 
négliger sans rendre le contrat stérile pour les con- 
currents et pour vous, c'était de désigner un sujet 
qui fut réellement poétique. Cette obligation aurait 
pu paraître imparfaite, si vous vous étiez contenté, 
comme au bon tems des luftes académiques, de 
proposer aux méditations des jeunes poëtes une 
simple abstraction morale ou philosophique ; mais 
vous avez compris que le drame qui anime l'élan 
actuel de notre littérature, qui en est même le ca- 
ractère presque symbolique, nous éloigne peut être 
pour toujours de l’école des abstractions; vous avez 
compris qu'il ne suffit plus de généraliser les véri- 
tés pour aider à la civilisation et qu'il faut les ap- 
pliquer à des situations sociales pour rendre leur 
action plus sensible, | | 

Cette modification de l’art, sur laquelle on a 
tant discuté, n’est pas l'effet d'une simple affecta- 
tion d'école; les preuves sont trop nombreuses et 
trop fortes pour qu’on puisse nier qu’elle n’ait sa 
cause naturelle dans la destinée de l'intelligence 
humaine. L’objection tirée de ses abus ne suffisait 
pas pour la faire proscrire. Sans doute elle devait 
perdre de sa puissance en descendant à ces études 
imprudentes dessensationsles plus vulgaires etles plus 
hideuses. Cette profanation était inévitable. Le gro- 
tesque altère la ligne la plus pure comme le sophis- 


— 99 — 


me la vérité la plus puissante; mais il fallait recon- 
naître que le développement du cœur de l'homme 
dans ses agitations les plus fugitives, et la recherche 
de l'infini dans le monde moral comme dans le 
monde réel, est un instinct de notre nature aussi 
intéressant que le sentiment de la beauté pure du 
génie antique ; et que si les anciens , régis par le 
dogme souverain du fatalisme devaient avoir pour 
type de leur art le principe d’une universalité ma- 
jestueuse uniquement applicable à l’homme mo- 
dèle , à l’homme illustré, les modernes, placés sous 
l'influence de la loi chrétienne, devaient y puiser 
le sentiment exquis de l’individualité, et s'attacher 
aux traits caractéristiques et personnels qui diver- 
sifient leurs penchants et leurs passions. Remontez 
jusqu’au jour où commence à briller la loi chré- 
tienne, vous verrez le fatalisme disparaître pres- 
qu'aussitôt ; l’âme commence à s’émouvoir, à se 
recueillir ; elle conçoit et admire les pressentiments 
de Socrate et de Platon sur la doctrine évangélique, 
elle embrasse un plus vaste horizon, l'humanité 
semble douée d’une nouvelle vue; les méditations 
bibliques répandent partout les premières fleurs 
de la nouvelle poésie, et conduisent chaque individu 
à rêver sur ce qu'il est pour lui, pour ses sem- 
blables et pour la divinité. La chasteté de la pen- 
sée, la pudeur du langage, ignorées des anciens, 
deviennent les premières règles de l’enseignement 
évangélique. Le type de l'individualité se marie à 
l'idéal antique dans les œuvres du Dante , dont 


— 100 — 


toutes les figures grandioses , reproduisent sous des 
traits particuliers les mouvements de l'ame person- 
nelle; mais ce même type domine seul dans les 
œuvres de Shakspeare, de Cervantes, de Richar- 
dson , de Fielding, de Corneille, de Molière, de 
Lafontaine, et même de Racine qui n’hésite pas à 
déposer son respect pour les traditions antiques 
quand il doit peindre , comme dans Berenice, les 
mystérieuses douleurs de l'amour. 

Le principe de l’individualité a même cet avanta- 
ge immense sur l'idéal antique, que bien loin de 
former une seule classe d'hommes de l'humanité 
toute entière, il s'adapte diversement au caractère 
des peuples, à leurs mœurs, à leurs intérêts positifs, 
à leurs traditions, à toutes leurs croyances. C’est à 
lui que nous devons la poésie bouillonnante et exal- 
tée de l'Espagne ; la poésie molle et voluptueuse de 
l'Italie; la poésie orgueilleuse et passionnée de l’An- 
_ gleterre ; la poésie contemplative et métaphysique de 
l'Allemagne; et c'est à lui que la France, après avoir 
vécu si brillamment pendant plusieurs siècles de 
l'idéal antique, devra ce caractère dramatique qui 
distingue sa littérature actuelle, et sans lequel sa 
poésie manquerait de cette nationalité nécessaire à 
une société qui, comme la nôtre, est devenue nou- 
velle par ses transformations politiques. Ù 

Aïnsi le christianisme ne poursuit son œuvre 
émancipatrice qu'en developpant le type de l’indi- 
vidualité, c’est-à-dire le principe dramatique le plus 
fécond des littératures modernes ; et l'évènement le 


ë rie. ne 


— 101 — 


plus remarquable de notre époque, que la philoso- 
phie devra plus tard expliquer, c’est que le type de 
l’individualité, par un retour vers sa source, par une 
sorte de reconnaissance pour son origine, puise au- 
jourd’hui ses plus grandes forces dramatiques dans 
les exigeances de la morale évangélique. Il faut 
même noter que cette fois la France n'attend plus 
l'impulsion des littératures étrangères , elle la leur 
donne au contraire, et l’école de Châteaubriand est 
maintenant celle du monde littéraire. 

_ Eh ! bien, cette double source de l’individualité 
épurée par la vertu évangélique est celle où vous 
avez puisé le drame de votre sujet de poésie, et en- 
core, n'est-ce pas un cadre de pure invention, dont 
les données sont presque toujours incomplètes, que 
vous avez imposé aux concurrents : non, c'est une 
des plus intéressantes réalités du siècle, c’est une 
longue et vive douleur, d’une définition impossible, 
supportée avec une résignation plus qu'humaine, et : 
révélée à l'univers par l’une des muses chrétiennes 
les plus touchantes de l'Italie. Silvio Pellico ne vient 
pas, après dix ans de la plus horrible captivité, nous 


raconter ses souffrances avec la colère du citoyen ; - : 


« son livre, comme le dit son traducteur, eut été élo- 
» quent, mais vulgaire, l’ame du poète et la douceur 
» du chrétien l’ont rendu sublime, savez-vous beau- 
» coup d'invectives qui parlent plus haut que cette 
» chrétienne modération ? » | 

Et dans les dix années de ce martyr continuel et 
de cette angélique résignation, il existe un jour où 


— 102 — 


la douleur s'est élevée, pour Silvio Pellico, au-dessus 
de toutes les douleurs, c’est le jour où il apprend 


que sa plus jeune sœur, celle qu’il a le plus tendre- . 


ment-chérie, qu'il avait laissée près de son père et 
de sa mère pour soutenir et consoler leur vieillesse, 
s'est enfermée dans un cloître. Cette nouvelle jette 
dans son esprit une lumière affreuse , il ne doute 
plus de l'étendue de son malheur, et désormais l’a- 
mour de la famille n’aura plus dans son cœur, 
comme l'amour de la patrie, que l'aliment du sou- 
venir ! quel nom donner à ce tourment qui vient s’a- 
jouler aux tourments de sa prison ? 

Mais tout près du captif, tout près du poète, dans 
le même cachot, sous les mêmes verroux, il y a un 
autre captif, un autre poète, aussi résigné, plus cou- 
rageux peut être, dont la muse ingénieuse sait trou“ 
ver des consolations jusque dans le malheur qu'il 
partage. Le sacrifice d’'Angiola ne peut être à ses 
. yeux l'acte d’une abnégation commune, il y voit une 
élévation de pensée si vertueuse, un mouvement de 
l'ame si fervent, une croyance religieuse si profonde 
qu'il cède à ses inspirations, et Silvio Pellico nous 
apprend. qu'il en résulta un délicieux petit poème 
qui respirait la mélancolie et la douceur. Et ce poëme, 
gravé sur les murs du cachot, et qui devait proba- 
blement durer plus que la pierre du Spielberg, Ma- 
roncelli l’efface, uniquement pour ne pas compro- 
mettre le geôlier! Certes, si quelque chose peut 
consoler les muses de cette perte, c’est le motif dé- 
licat du sacrifice. Une bonne action vaut toujours. 


ms 


— 103 — 


quelques vers, elle vaut mème toujours mieux, et s’il 
ne nous est plus permis de juger le talent de Maron+ 
celli dans cette composition, nous pouvons au moins 
apprécier la pureté de sa morale et sa généreuse pitié. 

Voilà donc la formule du sujet de votre concours, 
c’est le poème de Maroncelli, ce délicieux petit poë- 
me effacé, perdu, que vous avez voulu faire revi- 
vre, que vous avez redemandé aux muses françaises 
comme solidaires de leurs sœurs d'Italie tant en 
poésie qu’en vertus chrétiennes et patriotiques. Ah! 
ne doutez pas que ce sujet ne fut réellement poéti- 
que , à l'examen des compositions qui vous ont été 
adressées, votre commission a même senti qu’il l’é- 
tait trop. Sur les neuf poëmes que vous avez reçus, 
elle n’en a pas trouvé un seul qui ait indiqué com- 
plètement toute la poésie qu’il renferme. Aucuri des 
concurrents n'a compris que, dans ce tableau de 
douleur, de misère, de courage et de vertu, il'fallait 
opposer la foi virginale d’Angiola à la douce rési- 
gnation de son frère et que c'était dans l’indivi- 
dualité de leur position, de leur organisation, de 
leurs idées qu’il fallait chercher les contrastes de 
leurs sentiments et de leurs émotions; aucun des 
concurrents n'a senti que pour rendre ce tableau 
complet, 1l fallait combiner ces premières données 
avec la participation de Maroncelli, si non commé 
poëte, quoique rien ne lui défendit d'y paraître à ce 
titre, du moins comme compagnon de l’infortuné 
Pellico, comme un tendre ami qui oublie ses pro- 
pres angoisses pour faire descendre dans l’ame d’un 


— 104 — 


frère désespéré l'espoir d’une clémence divine que 
la pureté de son cœur lui a déjà méritée et que le 
dévouement et l'intercession d’un ange ne peut que 
lui faire obtenir. Oui, votre commission vous l’a dit 
avec un grand regret, aucun des concurrents n’a 
compris le sujet proposé, n’a même compris les pa- 
roles de Silvio Pellico qui étaient cependant le déve- 
loppement le plus naturel de votre programme. 
« Parmi tant de milliers de vers, dit-il, qui jusqu’a- 
»lors avaient été composés pour des religieuses, 
» ceux-là probablement étaient les seuls composés 
» dans une prison pour le frère de la religieuse, par 
» un de ses compagnons de captivité. Quel rappro- 
» chement d'idées saintes et pathétiques! » 

Sous le rapport de l’exécution, votre commission 
n’a pas eu plus d’éloges à donner aux concurrents, 
cependant s'il fallait soumettre leurs ouvrages à une 
analyse particuliére, il serait facile de recueillir çà 
et là quelques pensées, quelques images qui ne 
manquent ni de méditation ni de vérité. Il est même 
juste de reconnaître qu’en général leur versification 
est correcte et même expérimentée, mais sans frai- 
cheur et sans charme. Toute fois ce jugement n'at- 
teint qu’en partie le n° 8 qui, quoique défectueux et 
incomplet dans sa distribution, est néanmoins re- 
vêtu de formes assez gracieuses qui le seraient en- 
core plus si elles n'étaient trop négligées. Votre 
commission a pensé que ce travail méritait une dis- 
tinction, et vous a demandé, pour son auteur, une 
mention honorable que vous lui avez accordée. 


LA SOEUR DU PRISONNIER. 


# 


(POEME MENTIONNÉ HONORABLEMENT. ) 


Pauvre feune fille ! elle n’a pas voulu que 
je fusse séul à souflrir les rigueurs de la pri- 
sun. EMe aussi à voulu s'enfermer. 

{Mémoires de Sicvio Parico. | 


x. 


Quel est dans le saint lieu cette vierge modeste 

Au front candide et pur, au visage céleste ? 

Est-ce une simple femme ? est-ce un ange du ciel 
Qui voilant son regard éclatant de lumière 

Pour mieux prêter l'oreille à quelqu'humble prière 


Est descendu près de l’autel ? 


Ah! quelle est belle ainsi! que de grâces et de charmes ! 
Mais ses yeux tout-à-coup se sont inouillés de larmes ! 
Elle semble à la terre adresser un adieu : 

Au milieu des parfams que l’on sème autour d'elle, 
Colombe d'espérance elle entrouvre son aile 


Comme pour s'envoler vers Dieu ! 


14. 


— 106 — 
Toutefois, en voyant sa brillante parure, 
Ses fleurs, son voile blanc, sa belle chevelure 
Qui de son cou d’albâtre ombrage le contour ; 
Et tout près de l’autel où la vierge s'incline 
En entendant les sons d’une lyre divine 


Se mêlant à des chants d'amour. 


Vous diriez : n’est-ce pas pour un beau jour de fête 
Que cette jeune fille a couronné sa tête ? 

C’est sans doute un hymen que le ciel va bénir ? 

Fleur sans tâche, elle exhale un parfum d'innocence ! 
Où donc l’heureux époux ? qu’il vieune, qu'il s'avance 


Sa bouche va le recueillir! 


Mais que dis-je 2... Un époux! inutile parole ! 
Comme elle dépouillons tout ornement frivole.… 
Sa maiu au fer sacré livre ses blonds cheveux; 
Pauvre enfant ! la voilà ta couche nuptiale, 

C'est le linceul de mort qui couvre ton front pâle, 


Et ton époux est dans les cieux! 


Te voilà maintenant solitaire, voilée; 

Loin d’un monde brillant à jamais exilee ! 

Pour toi plus de famille, et ta patrie est là *.. 
Epouses du seigneur, en cette augustc enceinte, 
Ouvrez vos rangs sacrés, place à la vierge sainte, 


Place à l’ainable Angiola! 


| —.107 — 
Enfant, dans ton ciel bleu passa quelque nuage ! 
Car l'oiseau voyageur n'abandonne la plage 
Et le nid où sa mêre a chanté ses amours 
Qu’au moment trop rapide, où l'hiver triste et sombre, 
Vient avec les frimats, et couvre de son ombre 


L'azur et l'éclat des beaux jours ! 


Captive désormais sous ces voûtes funèbres 
Dont une faible lampe éclaire les ténèbres, 
Révant toute la nuit à d'anciens souvenirs, 
La pauvre jeune sœur, à genoux sur la pierre; 
Semble à quelqu’exilé consacrer sa prière, 


Ses vœux ardens et ses soupirs ! 


O Silvio! bannis tes secrètes alarmes, 

Qu'un éclair de bonheur brille à travers tes larmes, 
C'est un ange de plus qui pour toi vient prier; 
Écoute, et reconnais dans cette voix si tendre, 
Cette voix qui du ciel saura se faire eutendre, 


La sœur da pauvre prisonnier. 
117. 


Dieu de bonté! qui prends sous ta tutelle 
L'oiseau timide et l'enfant sans appui, 
Faible comme eux à l’ombre de ton aîle, 


Je viens, Seigneur, V'implorer aujourd’hui. 


— 108 — 
Je suis tremblante, et ma bouche craintivé 
T'oflre ma vie et mon cœur tout entier, 
Oh! que le deuil de la jeune captive 


Soit la rancon du pauvre prisonnier ! 


Pâle et glacé dans sa triste demeure, 
Levant au ciel ses bras chargés de fers, 
Mon Silvio souffre, gémit et pleure, 


Sa voix plaintive a traversé les airs. 


Par ton aspect, Ô toi qui nous consoles 
Ciel, viens sourire à travers ses barreaux ! 
Zéphir léger, porte lui mes paroles, 


Et l'espérance adoucira ses maux. 


Rends-lui, Seigneur, sa riante Îtalie, 
Son ciel d’azur, son horison vermeil! 
Mon Silvio, reviens dans ta patrie 


Te réchauffer à ton premier soleil : 


Jadis heureuse, empressée, attentive; 
Prêétant l’oreille au bruit de tes concerts 
Je t’écoutais, et d’une voix naïve 


Je répétais quelques-uns de tes vers. 


Puis, aux lauriers qui couronnaient ta lyre 
En me jouant, je mélais quelques fleurs, 
Je souriais en te voyant sourire, 


Et j'iguorais qu'on pût verser des pleurs { 


— 109 — 


Seigneur, je tremble, et ma bouche craintive 
T'offre ma vie et mon cœur tout entier, 
Oh! que les pleurs de la jeune captive 


Soient la rançon du pauvre prisonnier ! 


Hélas! pour lui, j'ai délaissé ma mère, 
Et les rameaux de notre arbre chéri! 
Et faible ainsi qu’une plante éphémère 


J'ai dit : mon Dieu, tu seras mon abri! 


Seigneur, je tremble, et ma bouche craintive 
T'offre ma vie et mon cœur tout entier, 
Ah! que les pleurs de la jeune captive. 


Soient la rançon du pauvre prisonnier } 


Ji, 


Silvio ! dans ton cœur, crois à ta délivrance : 
Le Dieu qui nous châtie est le Dieu d'espérance... 
Envoyé par le ciel, plus d’un ange autrefois, 
Semblable dans la nuit au flambeau tutélaire, 
Visitant du captif le réduit solitaire, 


Brisa ses fers plus d’une fois : 


Plus d’une fois aussi dans ta prison obscure, 
Dans un songe riant, aimable, jeune et pure, 
Tu verras près de toi cette chaste beauté, 


Sa voix tout has murmure une douce parole, 


— 110 — 


Et son front rayonnant d’une sainte auréole, 


Répand dans l’ombre sa clarté. 


Tu crois, pauvre exilé, sentir sa main chérie 
Détacher tes liens en montrant la patrie. 

Ton cœur bat! tu revois ton horizon vermeil! 
Lorsque le bruit des pas du geôlier qui s’avance 
Emporte tout-à-coup ton rêve... et l'espérance 


Tu reste seule à ton rêveil. 


Garde-la, Silvio, Dieu rendra, je l’espère, 

Tous les petits oiseaux à l’aîle de leur mère 

Tous... moins Angiola, reverront leur foyer. 

Mais elle, heureuse aussi , dans ce jour plein de charmes 
Pourra sourire encore, en songeant que ses larmes 


Sont la rancon du prisonnier ! 


LES DERNIERS MOMENS 


D'UNES JEUNE MILLE, 


Par M. Timothée DEHAY, (*) membre correspondant. 


I. 


Elle vit encore, mon amie , je suis arrivé assez à 
temps pour l’embrasser; pauvre Cécile, elle vit, mais 
quel spectacle et quelle affreuse certitude! que je 
plains ta malheureuse sœur... Sa fille condam- 
née, mourante d’une maladie qui ne pardonne 
jamais ; à peine dix-huit ans et déjà plus d'espoir ! 
Tous les médecins ont prononcé, chacun ici attend 
le terrible moment; pauvre mère, elle seule semble 


(4) M. Timothée Dehay, secrétaire général de la Société de 
Statistique universelle de Paris, avait élé chargé d'apporter à 
l'Académie une médaille d'honneur en argent, que cetle Société 
Jui a décernée dans sa séance générale tenue à l'Hôtel de-Ville 
de Paris le 4 jain 1835, sous la présidence de M, le duc de Mont- 
morency ; avant de commencer sa lecture il a cra devoir pro- 
noncer quelques mots à ce sujet et remercier l'honorable M. Du- 
douit des choses flatieuses qu'il a bien voulu lui adresser au 
cominencement de la séance en faisant, en son now, la remise 


de la médaille. 


— 112 — 


encore espérer ; inutilement on a essayé de lui faire 
pressentir son malheur , elle n’a rien voulu com- 
prendre; inutilement on l'a préparée à cette af- 
freuse séparation, la nature parle à son cœur de 
mère, elle ne peut croire que son enfant la précé- 
dera dans la tombe !... Depuis deux mois, Eugénie, 
elle est au chevet du lit de sa chère malade, depuis 
vingt jours elle n’a pas voulu se coucher ; en vain 
le sommeil l’accable, elle veut rester sur pied toutes 
les nuits; en vain la fatigue lui enlève toutes ses 
forces , l'amour maternel les lui rend ; si quelque- 
. fois elle cède sur ce point, si elle n’ose pas toujours 
résister aux supplications de Cécile, aux larmes d’E- 
lisa, aux prières d'Alfred, ce n’est que pendant le 
jour qu’elle se rend à leurs vives instances, et qu’elle 
consent enfin à prendre quelques heures de repos. 
La santé d’Elisa se ressent vivement de toutes ces 
secousses ; la pauvre enfant a voulu revoir sa sœur 
et elle est revenue de sa pension ; pendant quelque 
temps sa mère avait eu la prudence ct le courage de 
s'y refuser, je regrette qu'elle ait enfin cédé, les 
souffrances de Cécile feront sur son jeune cœur une 
bien vive impression. 
Alfred semble sentir le rôle que lui impose la 
mort de son père ; il a dix-neuf ans et c'est en 
homme qu'il se conduit ; on nous avait écrit que 
lui seul était calme, qu’il voyait approcher l'instant 
fatal d’un œil tranquille, on ne l'avait pas deviné ; 
un instant m'a suffi pour le juger ; il sent vivement, 
autant que toute sa famille il gémit de son malheur, 


— 113 — 
imais il comprend que c’est à lui à consoler; il cher- 
che à calmer la douleur de sa mère, à retenir leë 
larmes d’Elisa, les sanglots de la vieille Marguerite 
qui les a tous élevés; il s'efforce ensuite de sourire 
à la malhéureuse Cécile, et cependant, ô bizarrerie 
de ce mal cruel! son frère, l’ami de son enfance, 
le compagnon de ses jeux, son frère qu'elle a tou- 
jours aimé, qu’elle chérissait tendrement , elle ne 
le voit plus qu'avec peine, elle repousse ses soins, 
on dirait même qu'ils lui sont à charge; s'il pré- 
sente quelques boissons, elle les trouve mauvaises ; 
si, la voyant fatiguée ; il veut l'aider à changer de 
position, elle prétend qu'il est brusque et qu’il lui 
fait mal: est-il triste, elle dit qu'il s'ennuie près 
d’elle et voudrait aller à ses plaisirs ; feint-il un peu 
de gaîté, « il pense bien à mes maux, dit-elle, il rit 
et moi je souffre ! » — Le bon Alfred semble ne s’a- 
percevoir de rien et redouble de soins; — «il y a 
de l’ingratitude de sa part, » lui disait hier la vieille 
Marguerite ; — « non, ma bonne, répondit-il, il y 
a de la maladie ; » — et il retourne près de son lit, 
et au lieu de reproches il lui adresse des excuses ; 
pour la distraire comme elle il parle de projets, il 
adopte tous ceux qu’elle ne cesse de faire; des pro- 
jets. peut-être que demain !.. et elle parlait tout à 
l'heure de l'aller voir au printemps, de passer le temps 
de sa convalescence dans notre maison de campagne; 
pauvre amie, elle se voit déjà courant dans le jardin, 
cucillant des fleurs avec sa bonne Emma;... Emma! 
6 mon Eugénie , veille bien sur notre enfant : que 


15. 


— Ml — 


notre fille chérie recoive toujours tes tendres soins, 
que les veilles, que les bals si funestes aux jeunes 
personnes !... ô pardonne, mon amié, je connais 
ton amour pour elle, ta vigilance, ta tendre sollici- 
tude, pardonne , ces lignes ont pu te faire de la 
peine, mais l'image cruelle que j'ai devant les yeux 
me rendra sans doute excusable aux tiens! 

Toute la matinée la malade a eu des visites ; des 
amis, quelques parens de son père ; ton vieux père 
Jui-mème qui depuis un an n’était pas sorti de chez 
Jui : il a voulu revoir encore sa petite fille; — * elle 
» m'a prodigué des soins si touchans pendant ma 
» dernière maladie, répétait ce vénérable vieillard, 
» mes amis, je suis bien faible, bien vieux, mais 
» vous allez me soutenir , je veux aller la remercier 
, de ses bontés: mon grand âge ne peui m'en dis- 
» penser ; quoique sur le bord de ma tombe, elle 
» quittera ce monde avant moi, mes cheveux blancs 
» doivent du respect à son malheur ! » 

Vint ensuite madame de Belmont dont la fille, la 
jeune Lucie a toujours été intime avec Cécile ; ins- 
truite du sort qui attend son amie, quelque temps 
elle hésita à venir l'embrasser; la crainte de ne pou. 
voir retenir ses larmes devant elle l’a jusqu'à ce 
jour empècaée de la voir ; cependant , être accusée. 
d’ingratitude , cette idée tourmente Lucie, elle ras- 
semble ses forces, elle arrive croyant pouvoir sou- 
tenir ce spectacle, et dissimuler sa douleur sous des 
traits demi-riants ; mais depuis quinze jours elle ne 


l'avait pas vue, quinze jours d'une maladie dévo+ 


— 115 — 


rante, quinze jours de ravages sur une figure de 
dix-huit ans! En entrant elle ne peut retenir un 
mouvement: Cécile a vu sa surprise ; — « tu me 
trouves bien changée , » lui dit - elle ; — « mais... 
non... un peu cependant,» répond Lucie en bal- 
butiant ; une larme s'échappe ; encore Gécile l'a 
aperçue, mais prenant le change sur le motif qui la 
fait couler , et éloignée qu’elle est de se croire en 
si grand danger... — « Que tu es bonne, ma Lucie, 
dé regretter pour moi un peu plus, un peu moins 
de beauté. » — Bah, dit-elle ensuite en caressant sa 
chatte favorite qui sur son lit ronfle près d'elle, 
« tout cela reviendra, n'est-ce pas ma Ketty, n'est- 
» ce pas, ma fidèle chérie, que tu m'aimeras tou- 
x jours en dépit des petits accidens de la maladie, 
. que c'est ta maitresse que tu aimes, que tu l’ai- 
» mes pour elle, et qu’un peu plus, un peu moins 
» de fraicheur ne t'empêcheront pas de venir en- 
» core te mettre à ses côtés. » — La bête dormait 
toujours , plus sensible à Ja mollesse et à la chaleur 
du Jit qu’à ces douces paroles, mais dans un coin de 
la chambre je crus entendre un soupir. 

Dépuis un quart-d’heure, un jeune homme, mon- | 
sieur Ernest de P*** élait entré avec Alfred, avait 
salué Cécile qui avait répondu par un sourire, et, 
Le dé avoir pressé la main de sa mère, était allé 
s'asseoir absorbé et dans le plus morne silence ; les 
paroles adressées à Ketty venaient de réveiller sa 
douleur , il n’osait encore rompre ce silence, peut- 
être n’avait-il pas la force de le faire, mais l'inten- 


— 116 — 


tion de Cécile ne lui avait pas échappé ; — «tu ne 
» me réponds pas, ma Ketty, ajoute la pauvre en- 
» fant, tu ne m'aimes donc plus ; » — «mademoiselle, 
» dit alors en tremblant monsieur Ernest de P***, 
» c'est à tort que vous l'accusez, elle ne peut ou 
»* n'ose probablement pas s'exprimer, mais qui ne 
» dit rien... » — Pauvre Cécile, lincarnat même le 
plus pâle ne peut plus colorer {a figure , mais tu 
‘goûtes encore un moment de bonheur lorsque, sans 
mème attendre la fin de cette phrase, tu ajoutes 
avec une nouvelle caresse, mais en dirigeant ail- 
leurs ton regard languissant, « c’est bien, ma Ketty, 
» réponds-moi toujours comme cela. » 

Le docteur vient de sortir ; — « du courage, a-t-il 
dit à Alfred qui lui recommandait de venir demain 
de bonne heure, du courage, mon ami, préparez 
votre mère , il vous reste à peine une nuit, ma vi- 
site, je le crains, sera inutile demain. » — Demain, 
à nature !... aujourd’hui touté sa connaissance, des 
paroles raisonnables, des pensées justes, des actions 
calculées , et demain!... à l'instant encore elle sen- 
tait l'amitié, exprimait son amour, respirait la ten- 
dresse filiale !.. dans quelques heures, sans idée , 
sans mouvement ! 

Alfred rentrait dans la chambre; — « ferme done 
la porte , lui dit-elle avec aigreur ; —ah! pardon, 
mon amie, tu as raison, j'étais un peu distrait, mais 
j'étais content, le docteur vient de me dire que tu 
‘allais mieux. » — «Ce n'est pas à tes soins que je le 
dois , répond - elle , et elle se retourne ; » — Alfred 


— 117 — 


se tait, il vient à moi, et me serrant la main, — « le 
docteur ne m'a pas trompé, mon oncle, puisque ma 
bonne Cécile me parle ainsi, il faut qu'elle soit bien 
malade » — et un instant après il vint encore lui 
offrir avec bonté des fruits qu'elle avait plusieurs 
fois demandés dans la matinée, qu'il avait eu beau- 
coup de peine à trouver, et que, par un caprice si 
commun dans ces sortes de maladies, elle refusa 
avec indifférence comme tout ce que journellement 
elle semble d'aborddésirer avec ardeur, et qu'elle ne 
regarde même pas lorsque l'on vient le lui apporter. 
Déjà, mais inutilement, j'ai essayé de m’acquitter 
près de ta sœur de la triste commission donnée à 
Alfred ; il est cruel, et il est difficile de détruire chez 
elle la dernière espérance , je tâche de l’avertir , je 
vois qu'elle me comprend, et malgré cela je vois 
qu'elle espère encore ! — Ce courrier, mon amie, 
sera donc l’avant-coureur de la triste nouvelle, ne 
te flatte pas, aucune crise n’est possible, déjà en me 
lisant tu as brisé le cachet de la lettre de mort. — 
«quel spectacle, répéterai-je, et quelle affreuse 
certitude , je viens de la voir me sourire , tout-à- 
l'heure en l’abordant elle va me sourire encore, et 
déjà je t'écris : Eugénie, Cécile est morte! !»..., 
Adieu, presse notre fille sur ton cœur ; notre fille !.. 
je ne peux plus prononcer ce mot sans trembler !! 


IT. 


Il avait dit vrai, Eugénie, il vient d'arriver, sa vi- 
site a été inutile! mais déjà comme moi tu savais 


— 118 — 


le malheur, je t'ai écrit hier que Cécile était morte 
ce matin ! — Il est huit heures, tout est morne dans 
cet appartement tout à l'heure si agité, bientôt je 
vais commencer avec Alfred les tristes démarches 
que nécessite l'enterrement, mais avant je remplis 
ma promesse; quoique pénibles à raconter, je te 
fais connaître les détails de ses derniers momens. 

La soirée fut assez calme; quelques amis sont 
encore venus pour la voir, mais nous ne les avons 
pas admis dans sa chambre ; elle commençait à 
concevoir de l’étonnement de ces nombreuses vi- 
sites , 11 fallait éviter de l’éclairer et de rendre ses 
derniers instans plus amers; à onze heures ton 
père s’est retiré ; Cécile un moment avait fermé les 
yeux, sa mère était dans la chambre voisine ; avant 
de partir le vieillard étend ses bras décharnés sur 
les restes vivans de sa petite fille, et lui donnant sa 
bénédiction. « Repose en paix, mon enfant, lui dit- 
il] d'une voix basse et presque éteinte qui cependant 
fut entendue ; » — « merci, grand-papa, répond Cé- 
cile en ouvrant faiblement les yeux, je suis can- 
tente de vous avoir vu, cela va me faire passer une. 


bonne nuit. » 
Monsieur Ernest de P*** serait volontiers resté. 


plus long-temps, il n’osa pas le demander; la ma- 
nière dont il dit adieu à ta sœur, le regard qu'il 
adressa à Alfred, prouvaient bien qu'il savait ne plus 
revoir la malheureuse Cécile, mais en lui disant « à 
demain, mademoiselle, » il savait aussi que ces pa- 
roles menteuses ne seraient pas inutiles et qu'elles: 


— 119 — | 
devaient procurer un dernier battement de bonheur 
à ce cœur encore chaud quoique ne palpitant déjà 
plus que dans un sang glacé ! Elles lui valurent cet 
adieu ; — « bon soir, monsieur Ernest, Ketty a en 
vous un bon avocat, elle vous chargera encore de 
répondre pour elle. » L | 

À minuit ta mère revint; elle avait reconduit son 
mari et voulait assister aux derniers momens; — 
«mon ami, dit-elle à Alfred en rentrant, enlève 
cette lampe , elle doit gêner ta sœur;» Alfred veut 
obéir : — « Laisse-la donc sur cette table, dit Cécile 
avec impatience et elle avance le bras pour la re- 
tenir ; dans ce mouvement elle rencontre le verre, 
il est brisé, la main de la malheureuse est atteinte, 
le sang ne peut plus sortir, la douleur n’en est que 
plus vive et la malade jette un cri aigu; sa mère alar- 
mée se retourne brusquement; —«ce n'est rien, 
bonne mère , dit aussitôt Cécile, redevenant douce 
pour elle, cet Alfred est si maladroit, ses soins me 
feront mourir ;» la mère regarde son fils, comme 
pour s’excuser de la réponse qu'elle va adresser à 
une tête malade; «eh bien moi, ma Cécile, j'ai 
bien plus soin de toi, sois tranquille , je ne te quit- 
terai plus ; — non, ma bonne mère, tu as déjà passé 
bien des nuits près de moi, il faut te reposer; si 
vous vous rendez tous malades qui me soignera 
alors, car je le vois, je dois vous occuper encore 
bien long-temps, vous donner encoré bien de la 
peine, il faut donc vous partager les fatigues, cetté 
nuit tu te coucheras ; — elle a raison, maman, dit 


— 190 — 

aussitôt sa jeune sœur, — Cécile l'interrompt :« to; 
aussi, Elisa, tu as besoin de repos, il faut ménager 
ta santé délicate , si à ton tour tu fais une maladie, 
tu veux donc que je passe le temps de ma conva- 
lescence à te soigner. » — La mère , la sœur veulent 
insister — c’est arrêté, dit Cécile, avec tette dou- 
_ ceur qui laissait percer toute l'autorité de la mala- 
die, grand-maman veut bien me veiller cette nuit, 
et si elle est un moment trop fatiguée, eh bien toi, 
bonne Marguerite, tu ne me quitteras pas ;» — 
pour la contenter chacun promit de faire ce qu’elle 
désirait ;— Alfred se dit— «et de moi, pas un mot!» 

Satisfaite d'avoir ainsi tout arrangé elle tâche de 
dormir; l’action qu'elle a mise a témoigner sa vo- 
lonté semble avoir encore diminué le peu de forces 
qui lui restent; dès ce moment sa tète commence à 
faiblir, sa respiration devient plus gênée, ses yeux 
qu'elle rouvre de temps en temps sont plus fixes; 
toujours bonne elle nous adresse encore quelques 
sourires, mais sans paraître apercevoir ceux que 
nous lui rendons ; elle passe ainsi plusieurs heures, 
conservant encore sa ralson, mais sans avoir au- 
cune idée bien fixe; « j'ai soif, j'ai froid, je suis 
mal couchée ; » et ne voulant ni recevoir les bois- 
sons qu'on lui présente , ni permettre qu'on la re: 
couvre ou qu’on arrange son lit; — à quatre heures 
elle est très agitée — « quelle douleur affreuse, dit- 
elle tout d’un coup, mais ce n’est pas possible au- 
trement , je vais mourir; — on se presse autour 
d'elle, on rejette au loin cette idée; — « mais vous 


— 191 — 


pleuréz, je crois, cela est donc vrai, quoi si jeune 
et il faut que je meüre ! » — On veut la rassurer, 
mais comment porler.la conviction dans son âme 
lorsque tous sont en pleurs; — « ah vous m'avez 
trompée! j'allais mieux, disait le médecin, » — 
« ma Gécile, ma fille, tu te tourmentes inutile- 
ment » — la malheureuse ne croit plus à ces paro- 
_ les; — «ah, je ne vous en veux pas, vous vouliez 
m'éviter de cruels momens; — déjà mourir, répé- 
tait-elle, quitter de si bons parens, de si bons 
amis ; .…. Dieu que je souffre... quelle torture !..….. 
Ab rapprochez-vous, serrez-vous autour de moi, que 
je vous voye tous encore une fois ;.... embrasse-moi 
ma bonne mère :.... traîne-toi jusqu’à moi, grand- 
maman, .. approche-toi ma vieille Marguerite. .… 
Elisa tu auras soin de notre mère!..….. Vous aussi | 
venez mon oncle... pour me voir un instant vous 
avez quitté ma bonne tante , vous avez affligé votre 
Emma !!.... et regardant autour d'elle... je ne vois 
pas tout mon monde ici...» — Le bon Alfred est 
là, mais 1] n’ose d’abord se montrer, il craint de 
troubler ce dernier accord par sa présence ; . 
cependant il approche en tremblant ; ... — Cécile 
le voit, et détournant les yeux sans même lui adres- 
ser la parole... « maïs il me manque encore quel- 
qu'un ;... puis tout d’un coup » — ah ! Ketty liés 
tu ne me consoles pas toi, mais maintenant je sais 
faire parler ton silence , tu m’aimeros encore que 
je serai morte ! 

Après celle scène éhiranle ses forces sont épui- 


16. 


| — 122 — 
sées ; elle dit encore quelques paroles sans suite, 
quelques autres plus expressives « Marguerite..., un 
dernier service.., toi seule... tu veux bien ; .... » 
alors sa raison l’abandonne, elle est tout à - fait 
abattue et dans cet état qui n’est ni la vie ni la mort, 
quelques sons encore qui ne sont plus des paroles, 
quelques plaintes, qui n’expriment plus de désirs : 
un rire forcé qui annonce des convulsions, des con- 


plus de mouvements !.... — « Ciel ! dit la mère = 
ce cri, ce bruit plutôt, agit sur le corps que l’on 
appelle encore Cécile; il reprend quelque mouve- 
ment, un son creux, précipité se fait entendre de 
nouveau ; — » elle respire , s’écrie avec une espèce 
de joie la mère qui venait de perdre toute espé- 
rance , ma fille respire ! Le râle de la mort, elle 
appelle cela respirer ! 

Son espoir fut de courte durée ; d’horribles souf- 
frances recommencent., de nouvelles convulsions se 
succèdent avec une effroyable rapidité, tous les 
muscles se contrecient, les jambes se roidissent, 
le corps se dresse, les bras se tendent, les mains se 
joignent; ..….. « mon frère! pardonne mon frère !..» 
Le cadavre retombe... profond silence !!... à, bonne 
Cécile, que ces dernières paroles prouvent la beauté 
de ton âme; tu avais dit adieu à tout ce que tu ai- 
mais, ton frère seul n’avait pas eu de part dans tes 
regrets, ton inal l’empêchait de le reconnaitre, 
mais déjà Lu es morte, la maladie a disparu, le 


— 193 — 


bandeau vient de tomber, et tu sembles revenir un 
instant pour lui dire « embrasse-moi, mon frère, 
je l'avais oublié ! » 


Peins-toi, mon amie, la douleur de ta sœur; cette 
pauvre mère était retombée sur le corps de sa fille; 
je veux l’en arracher, elle résiste ; ta mère est éga- 
lement repoussée ; Elisa se jette à ses pieds; — 
« Ô ma mère, calme-toi, conserve nous notre bonne 
maman, nous te chérirons davantage; nous tàche- 
rons de te rendre ta Cécile; Elisa, je le sais, ne 
la remplacera pas, mais je t’aimerai tant, je serai 
si soumise , si fidèle à exécuter le dernier vœu de 
ma sœur, Alfred et moi nous ferons tout pour cher- 
cher à te consoler ; — Elisa, Alfred ; ... à ces noms 
elle. sort de sa stupeur ; une mère qui vient de per- 
dre un de ses enfans éprouve un vif besoin de serrer 
Jes autres sur son cœur!» Alfred, Elisa, répète-t- 
elle, où sont mes enfans ?... un seul a répondu ; — 
où est Alfred , dit-elle en se retournant ; le malheu- 
reux était tombé sans connaissance ; jusque-là il 
avait montré de l'énergie , une énergie au-dessus de 
son âge ; mais que de senlimens venaient de se croi- 
ser dans son âme ! que de sensations différentes et 
subites il venait d’éprouver; était-il étonnant que les 
forces lui aient manqué en voyant retomber sa 
sœur et qu'il n'ait pu supporter à-la-fois son pro- 
fond dédain, sa tendresse et sa mort! — Heureu- 
sement cette faiblesse dura peu de temps, nos soins 
k firent promptement revenir, et dès que ses yeux 


— 1924 — 
furent ouverts, il retrouva son courage , il ne vit 
plus que la douleur de sa mère! 

Il l’engage aussitôt à quitter ces tristes lieux pour 
se rendre chez ton père, elle refuse et veut rester 
près du corps de son infortunée fille ; tous nous 
prions , nous insistons, elle finit par céder; mais 
avant de partir elle veut absolumentla revoir ; —elle 
serrealors affectueusement la mainde la vieille bonne, 
lui montre Cécile et lui dit tout en pleurs : — « ma 
» vieille Marguerite , tu l'as vu naître, tu l’aimais 
» comme ton enfant, tu as entendu sa prière, je 
» compte sur toi, toi seule, je te la confie. » — Puis 
en tremblant elle s'approche une dernière fois de 
sa malheureuse enfant, l’embrasse avec résignation, 
baisse elle-même ses paupières, la recouvre de son 
drap , attire doucement Alfred et Elisa près de la 
couche mortuaire , se met lentement à genoux, lève 
avec confiance les yeux vers le ciel, et ajoute avec 
calme : ... « Mes enfans, nous ne verrons plus votre 
sœur, prions pour elle !! 


RAPPORT 


SUR LE PROJET 
DE CANAL D’ARRAS A BOULOGNE, 


Par M. BILLET , avocat, membre résidant. 


Le 25 avril dernier, l'académie d'Arras ayant 
nommé une commission pour s'occuper du projet 
de l'établissement d’un canal d'Arras à Boulogne, 
_je viens aujourd'hui vous faire un rapport sur cette 
belle et vaste conception (1). | | 

Une vérité proclamée depuis long - temps. , non 
contestée aujourd’hui mais qui. est loin d’avoir reçu 
dans la pratique l’application qui lui ferait porter 
ses fruits, c’est que les voies de communication, les. 
routes, les chemins de fer et les canaux sont les pre- 
miers élémens de la prospérité d’un pays. 

Peut-être le plus grand honneur de notre époque 

(4) Membres de la commission, MM. Raffeneau de Lite, direc- 
teur des ports-et-chaussées ; bamarle, ingénieur; Harbaville, con- 


seiller de préfecture; Larzillière, professeur de mathémaliques, et 
Billet avocat. 


— 126 — 
doit-il être de traduire en réalité les principes posés 
par les hommes avancés des autres siècles. 

Nous savons ce qui peut nous rendre plus riches 
et plus heureux ; nous serions sans excuses si nous 
n'avions pas le sens et le courage de mettre en 
œuvre les élémens d'amélioration sociale, que nous 
avons sous la main. 

Il est déplorablé de penser combien la France, 
que son climat, sa position géographique, le carac- 
tère de ses habitans appellent à tenir le premier rang. 
dans la civilisation, est en arrière de plusieurs peu- 
ples pour l'exploitation des richesses de tous genres. 
qu’elle renferme dans son sein, 

Le département du Pas-de-Calais ‘peut être cité 
parmi les plus importans pour son agriculture et 
l'abondance de ses produits. 

Il prend chaque jour un essor remarquable sous. 
le rapport industriel. 

Cependant qu'on jette les yeux sur la carte de ce. 
département, que l'on parcoure toute sa partie occi. 
dentale dans un espace de 20 lieues, et l’on verra 
combien de vastes plaines en culture, des masses. 
profondes de bois, d'immenses marais sont privés. 
de moyens faciles de communication avec les cen- 
tres de consommation ou de commerce. 

. Pour mieux juger du préjudice énorme qui en ré- 
sulte pour la fortune publique comme pour les for- 
tunes particulières, il suffit de comparer la valeur 
vénale et le produit de toutes choses dans ces con- 
trées ainsi isolées avec ce qu’elles sont dans ces ar- 


— 1927 — 
rondissemens limitrophes où les productions de Îa 
terre s’écoulent facilement au dehors et se trans: 
portent à peu de frais là où elles trouvent des ache- 
teurs et des capitaux. 

Pour favoriser l'essor de l'industrie agricole dans 
un pays, les routes, quelleque soit leur utilité, sont 
un moyen insuflisant. 

Excellentes pour les rapports et les communica- 
tions, à petites distances, elles entraînent des frais 
énormes quand il y a de longs trajets à parcourir 
ou des masses considérables à transporter, tels que 
matériaux, combustibles, engrais. 

_ Les routes ne sont aussi, en général, si onéreuses 
pour les transports que parce qu'elles sont mal tra- 
cées ct encore plus mal entretenues. 

Il est évident que si elles n’avaient que des pentes 
faibles et que les chaussées fussent suffisamment ré- 
sistantes, les vitesses seraient accrues considérable- 
. ment et les poids transportés, doubles et triples. 

Les canaux ont donc sur les routes une supério- 
rité bien marquée, 

Eux seuls peuvent facilement lier les extrémités 
d’une contrée au centre et répandre la vie et la ri- 
chesse sur d'immenses surfaces, 

C'est un canal qui manque à cette vaste portion 
de notre département qui s'étend depuis Arras jus- 
qu'à la mer. — C’est la réalisation de ce canal de- 
puis long-lemps projeté que nous demandons à la 
sollicitude d’une bonne administration départemen- 
lale, | 


— 128 — 

Hätons-nous dé dire qu'indépendamment des con- 
sidéralions générales que nous venons de ‘faire va- 
loir, le canal d'Arras à la mer présenterait pour le 
département un avantage tout particulier, celui de 
lier son chef-lieu, Arras, le centre du Pas-de-Calais, 
avec la mer et d’assurer à une ville de notre dépar- 
tement, Boulogne, dont l’importance s’accroit tous 
les jours , une communication avec l’intérieur qui 
Jui ouvrirait, comme à Arras, un magnifique ave- 
nir commercial. 

L'idée première d’un canal d'Arras à la mer, ap- 
partient à un homme dont le nom seul est une ga- . 
rantie et qui consacrait son génie, non pas seule- 
ment à environner son pays de formidables boule- 
vards, mais encore à rechercher toutes les sources de 
prospérités qu'il renfermait. 

C'est Vauban qui étudia le projet de la canalisa- 
. tion de la Canche, et les Etats d'Artois, aidés de quel- 
ques sommes que Louis XIV leur accorda, donnè- 
rent un commencement d'exécution à ce projet, en 
nettoyant l'embouchure de cette rivière depuis Eta. 
ples jusqu'à Montreuil. 

Montreuil reçut alors sous ses murs des vaisseaux 
d'un tonnage assez élevé, et on voit encore aujour- 
d’hui les radiers de quelques unes des écluses qui ont 
été construites sous Vauban pour rendre la Canche 
navigable depuis Montreuil jusqu’à Hesdin. La pre- 
mière était placée à l'entrée du marais du Bouquin, 
un autre à Brimeux , une troisième à Beaurainville, 
etenfin un quatrième à Marconnelle, près Hesdin. 


— 1929 — 

Vers le milieu du dernier siècle, en 1765, un mié- 
moire fut présenté aux Etats d'Artois par M. Linguct, 
avocat célèbre, qui s occupait aussi d'économie pu- 
blique; et qui signala la canalisation de la Canche 
comme un moyen assuré d'augmenter la prospérité 
de l’Artois. 

Avant de publiér son mémoire, M. Linguet vou- 
dut conüaître la vallée dont il allait parler, et c’est à 
cette fin qu'il vint s'établir avec des ingénieurs à 
Estruval; près Hesdin, chez M. de Salpervick, d’où 
il se rendait dans la vallée de la Ganche, pour y 
prendre des nivellemens et y faire des études sur le 
terrain. 

D'autres préoctupations et le vague qui régnait 
daris les moyens d'exécution indiqués firent qu’on 
ne donna aucune suile aux vues de cet économiste, 

Après le grand mouvement révolutionnaire, en 
l'an 5, le gouvernement, dont l'attention avait été 
appelée sur ce point par l’administration munici- 
pale de Montreuil, qui, à toutes les époques, a 
compté dans ses rangs des hommes éclairés, ordonna 
que le projet d'un canal d'Arras à Etaples par la 
vallée de la Canche, de la Ternoise ct de la Scarpe fût 
étudié. | 

En 1797, M. De Grandclas, ingénieur en chef des 
ponts-et-chaussées du département du Pas-de-Calais, 
examina la demande de la municipalité de Montreuil 
et en émettant l'opinion que la jonction de la Ter- 
noise avec la Scarpe présenterait de graves obstacles, 
il déclara qu'il fallait s’attacher à la direction par le 

17. 


— 130 — 
Gy et la Canche en passant par Aresnes-le-Comte et 
Frévent. | 

En 1798, un citoyen, connu par la multiplicité 
de ses entreprises, M. Leflon, d'Hesdin, soumit à 
l'administration du département un projet dont le 
but principal était de canaliser la Canche depuis Eta- 
ples jusqu'a Hesdin. 

À celte époque, M. Leflon assurait que d’Etaples 
jusqu'à Montreuil la Canche était presque navigable, 
que parmi les faibles travaux qu’elle exigerait on 
devait principalement compter la disparition des 
trois sinuosités du bac d’Attin, de Beutin et d’E.:- 
nocq; que de Montreuil à Brimeux la rivière de 
GCanche était encore navigable, qu’ainsi il n’y avait 
récllement à canaliser que l’espace de cette rivière 
compris entre Brimeux et Hesdin, en faisant ce bout 
de canal à neuf jusque sous les forüfications de cette 
ville. | 

La demande de M. Leflon à laquelle s’'associa la 
municipalité d'Hesdin qui alors, comme depuis, a 
toujours manifesté l'intention de s'imposer des sa- 
crifices pour l’établissement d’une voie de navigation 
entre Arras et la mer, soit par le Gy uni a la Canche, 
soit par la Ternoise réunie a la Scarpe. Cette demande, 
disons-nous , fut encore communiquée à M. l’ingé- 
nieur en chef De Grandelas, qui proposa au gouver- 
‘nement : 

1° D'accorder un crédit de 6,000 fr. pour qu'on 
püt se livrer à des opérations préliminaires, comme 
levée de plan, sondages, nivellement, etc., etc. 


— 131 — 


2° Que ce crédit obtenu, des ordres seraient 
donnés à MM. les ingénieurs pour examiner le ter- 
rain et faire des rapports détaillés au soerne 
ment (1). | 

En 1799 le conseil municipal de St.-Pol voulant. 
démontrer la possibilité d'établir le canal d'Arras à 
La mer en passant par St.-Pol. en opérant la jonction 
des sources de la Scarpe à celles de la Ternoise, en fit 
dresser le plan par M. Branquart, géomètre aussi 
modeste qu'’instruit. | 

Aujourd’hui que l'attention publique a été fixée 
de nouveau sur la création d’un canal d'Arras à 
Boulogne, que d'un autre côté les ingénieurs qui 
jusqu'à présent se sont expliqués sur la meilleure 
direction à donner à ce canal, ont signalé la jonc- 
tion du Gy à la Canche par Avesnes-le-Comte et Fre- 
vent, comme étant la ligne à suivre qui présentait le 
moins d'obstacles, nous considérons comme un de- 
voir de notre part, de reproduire ici en abrégé, mais 
avec exactitude, ce qui a été exposé en 1799 dans 
l'intérêt de St.-Pal. 

Nous parlerons aussi des délibérations prises par 
: l'autorité municipale de cette ville qui, en 1820 et 
1835, combat la préférence accordée par M. Martin 
à la direction du capal par Avesnes-le-Comte et Fré- 
vent. | | 

D'après M. Branquart, la portion de la Scarpe, 

(t) Le couseil municipal d'Hesdin a encere pris récemment, 
une délibération relative à l'établissement d'un canal sur la pro- 
position de, M. T'évonane, notaire, l'un de ses membres. 


— 132 — 


rivière qui prend sa source à Vandelicourt et qui 
coule jusqu’à Louez ou elle reçoit le Gy, pourrait re: 
fluer vers St-Pol en baïissant son lit en raison de la 
pente qu’on aurait besoin de lui donner pour obli- 
ger l'eau à prendre son eours de ce côté, au moyen 
d’une éeluse qu’il faudrait poser à ce point de jonc- 
tion, les bateaux pourraïent’aller vers Arras sur les 
_eaux qui passent à Louez et vers St.-Pol, sur la partie 
de la Scarpe qui passe à Aubigny, Savi, traversant 
la route d'Arras à St.-Pol au pont de Berlette, en se 
dirigeant ensuite sur Vandelicourt. | 

De ce village, ajoute M. Branquart, le canal pro- 
jeté couperaît de nouveau la mème grande route 
vis-à-vis Bethencourt, passerait derrière Tinques et 
Tinquette, allant à Roellecourt, où après avoir aussi 
traversé la grande route, il irait se réunir aux eaux 
de la Ternoise, rivière qui aujourd'hui prend sa 
source à St-Michel, contre les murailles du château 
de St.-Martin, d’où il se dirigeait sur St.-Pol pour 
de là en suivant le cours de la Ternoïse joindre la 
Canche sous Hesdin en passant par Anvin et Auchy- 
lez-Moines. | 

Telle est l'analyse du projet de M. Branquart, on 
voit de suite qu’il n'indique aucune difficulté pour 
opérer la jonction des sources de la Scarpe à celles 
de la Ternoise ; cependant M. De Grandclas avait 
dit avant lui : | 

« La Ternoise coule dans la Ganche et court avec 
» cette rivière à l’ouest. La Scarpe court à l'est. Les 
» sources des deux rivières sont adossées et diver- 


— 133 — 
» gent. L'élévation qui les sépare peut être de 26 à 
» 50 mètres. L’ascension et la descension des ba- 
» teaux demandera plusieurs écluses qui, avec celles 
» intermédiaires entre ce point de départ et les 
» points d'arrivée comprendront bien des chütes, 
» pour racheter la hauteur totale ! La Ternoise et la 
» Scarpe étant prises à leur source, ne fourniront 
» pas assez d'eau pour la navigation au départ du 
» partage, et même assez loin au-delà, conséquem- 
» ment il faut qu'on se procure un volume d’eau 
» suflisant pour alimenter ce point. Le trouvera-t- 
» on? Il est permis d’en douter. » 

En 1805, M. Rossignol, ancien officier de la 
marine, commandant le Vigilant, présenta à M. le 
préfet du Pas-de-Calais, par l’entremise de M. Eude, 
homme illettré, qui n’était dirigé que par un sens 
droit, un projet de navigation d'Arras à Etaples 
par la Ganche en opérant la jonction des sources de 
cette rivière avec celles du Gy. | | 

Le projet de M. Rossignol nous parait avoir une 
grande importance, car pour opérer la jonction 
proposée il ne dit pas comme M. Martin l’a écrit 
plus tard, en 1820 et 1821, qu'il soit indispensa- 
ble d'établir un canal souterrain de Noyelle-Vion 
à Barlencourt pour réunir les sources du Gy à celles 
de la Canche. | 

M. Rossignol déclare au contraire, que le point 
le plus élevé, à Avesnes-le-Comte ,"ne l’est que de 
26 mètres au-dessus des sources de la, Scarpe ct 
de 34 mètres au-dessus de celles de la Canche. 


| — 194 — 

Pour franchir ce point culminant, voici le moyen. 
qu'il indique. 

Le Gy, dit-il, prend sa source au marais de. 
Noyelle-Vion, à côté de la route départementale 
n° 11, d'Arras à Auxi-le-Château fx). 

Au marais de Noyelle, on remarque en se diri-. 
geant d'Arras sur Avesnes-le - Comte, qu’on laisse. 
un peu à main droite, un vaste et large vallon qui 
s'étend au-delà d'Avesnes où il est traversé par la. 
route départementale, 

Ce vallon est mdiqué dans l'excellente carte de 
Cassini, et s'étend jusque sur le territoire de Bla- 
vincourt et même au-delà (2). 

Entre Avesnes-le-Comte et le bois Amanri, il 
existe une élévation de terrein qui n’est que de 
34 à 26 mètres au-dessus des sources de la Can- 
che et dont la _——. ne saurait excéder 1309 
pieds. 

Pour avoir une connaissance exacte du bon 
désigné par M. Rossignol, on peut consulter le 
plan dressé par lui et qui est déposé aux archives 
du département , ainsi que le’ profil développé de- 
puis Arras jusqu’à Frévent , sans jamais oublier que 
les sources de la Canche sont plus élevées que celles 
du Gy. 

(4) Il auraitmême pu diresur le territoire d'Avesnes-le- Comte. 

(2) Noas avons cependant entendu dire il y a peu de tems, par 
M. de St.-Pol, maréchal-de-camp du génie en retraite, à Barly, 
que sur ce polnt la caite de Cassini n'était pas d'anc exactitude 


parfaite. 


— 135 — 


D'après le tracé de M. Rossignol, on pourrait 
au moyen d’une écluse placée à Berlencourt et une 
autre construite aux sources du Gy, soutenir l’eau 
en équilibre à la jonction de ces deux rivières ; 
et quand ce canal serait percé à sa profondeur, il 
s'y trouverait des sources qui produiraient assez 
d’eau pour entretenir son lit à une hauteur conve- 
nable; cette eau se trouvant à peu près au niveau 
des puits d’Avesnes-le-Comte. 

Le sol est d’argile et de pierre blanche. 

Enfin d'Arras jusqu’à près d’'Avesnes il n’y a 
qu’à élargir la rivière du Gy en y faisant des digues 
comme aux aufres rivières ou canaux navigables, 
- ainsi que depuis Dénier jusqu’à FRISRl et de Fré- 
vent à Etaples (1). 

M. de Grandclas a examiné le projet de M. Ros- 
signol, et il déclare que comme homme de l’art il 
Jui semblait. — 1° Que ses plans et nivellement 
n'offraient pas assez de certitude pour qu'il pût 
donner un avis. 2° Qu'ils lui paraissent impar- 
faits. 3° Que des ingénieurs seulement peuvent être 
crus en fait de nivellement , parceque par état leur 
honneur est attaché à la justesse de ces observations. 

M. De Grandclas ajoute, que, d’après le projet 
de M. Rossignol, les sources de la Canche et de la 
Scarpe ne paraissent différencier de niveau que de 
deux mètres ; avec cet avantage, que la différence, en 
plus , se trouve du côté de la Canche; qu'il paraîtrait 


(4) Un canal latéral dispenserait de l'acquisition des nsines 
établies sur la rivière. 


— 136 — 
aussi qu’au point culminant, le côteau qui sépare les 
scurces adossées du Gy et de la Ganche, n’oblige- 
rait qu’à un déblai de 24 à 26 mètres, disposition 
locale qui faciliterait extrêmement le travail du point 
de partage (1). 

On comprendra donc de quelle nportinees il 
est de vérifier la mise en fait de M, Rossignol qui 
est d'accord avec beaucoup de renseignemens que 
nous avons obtenus de plusieurs citoyens honora- 
bles du canton d’Avesnes-le-Comte. | 

On désirerait que la direction indiquée par lui 
füt étudiée, et dût-on faire un canal souterrain pour 
franchir le point culminant qu'il indique comime 
n'étant que de 1,300 pieds de long, on aperçoit de 
suite l'économie immense que ce projet présente- 
rait dans son exécution si of le compare surtout à 
celui de M. Martin dont nous allons parler dans un 
instant, et qui comprend dans son développement 
un souterrain de 8,900 mètres pour jomdre les 
sources du Gy à celles de la Canche (2). 


L'avant dernier projet proposé pour établir un ca- 
pal d'Arras àla mer émane de M. Legressier, qui, en 


(t} On nous assure même qu'en éloignant à une très-petite 
distance d'Avesnes la ligne tracée par M. Rossignol, le point cal- 
minant disparaît entièrement. Cela demando à être vérifié. 


(2) Nous avons vu il y a peu de jours M. Rossignol, et il nous 
a déclaré qu'il procurerait sur la canalisation de la Canche et 
les travaux de jonclion des sources de cette rivière à celles du 
Gy, les documens qu'il possède. 


— 137 —: 
1780, époque à laquelle il se présenta au gouver- 
nement habitait Montreuil. 

M. Legressier, adoptant le tracé de M. Rossignol, 
divisait ce canal en quatre parties, la première de- 
puis l’emibouchure de la Ganche jusqu’à Montreuil, 
la deuxième de Montreuil à Hesdin, la troisième 
d'Hesdin jusqu’à Frévent, la quatrième de Frévent 
à Arras, 

Le but de M. Legressier, en présentant sor pro- 
jet au gouvernement était d'en obtenir une con- 
cession. 

Déjà même de nombreux actionnaires s'étaient 
réunis, parmi lesquels figuraient les hommes les 
plus honorables de l’arrondissement de Montreuil. 
Les sociétaires avaient obtenu la coopération des 
généraux Marmont et Mortier qui s'étaient rangés 
parmi les souscripteurs. Ces actionnaires souscrip- 
teurs avaient reçu les encouragemens de tous les 
hommes éclairés de notre département, notamment 
de M. Courtalon, ingénieur des ponts-et-chaussées, - 
et de M. Noïzet de St.-Pol, alors colonel du génie, 
et qui aujourd’hui, malgré son grand âge, s'occupe 
‘encore d'économie publique dans sa retraite de 
Barly. 

Arrivons au projet de M. Martin. 

En 1821, cet ingénieur, dont les lumières éga- 
laient le zèle pour le bien public était intimement 
convaincu qu'on ne pouvait dôter le département 
du Pas-de-Calais, d’un ouvrage d'art plus utile, que 
le canal intérieur d'Arras à la mer. 


48. 


— 138 — 

Il donna tous ses soins à l'étude de cette voie 
de communication par eau, en la dirigeant par St.- 
Pol ou par Avesnes-le-Gomte, double direction qui lui 
était indiquée par la nature des lieux. 

Si nous éprouvons un regret, c'est que M. Martin 
ne se soit pas occupé du projet de jonction des 
sources du Gy, à celles de la Canche, indiquée en 
1805, par M. Rossignol, afin de reconnaître si ce 
projet était d’une exécution aussi facile qu’on se 
plait à le dire généralement. 

Ce point était d'autant plus utile à examiner, 
qu’il est en ce moment certain pour ceux qui pen- 
sent que la direction du canal projeié par la Can- 
che et le Gy est préférable à celle par la Scarpe et 
la Ternoise, que le seul obstacle naturel, qui n’est 
cependant pas insurmontable, que puisse rencon- 
trer ce canal par Avesnes-le-Comte et Frévent, ne 
consiste qu'à indiquer le moyen à employer pour 
franchir le point culminant d’Avesnes-le-Comte, si- 
gnalé par M. Rossignol, comme étant de 1300 pieds 
environ , soit celui dont M. Martin parle dans le 
rapport qu'il a adressé à M. le directeur général des 
ponts - et - chaussées en 1820, et qui serait d’une 
étendue de 8900 mètres. | 

Les questions traitées par M. Martin sont au 
nombre de quatre. 

Elles forment un ensemble complet. 

Nous les énoncerons successivement en indiquant 
pour chacune d'elles, les solutions auxquelles M. 
Martin est arrivé. 


— 139 — 


PREMIÈRE QUESTION. 


Y a-t-il possibilité d'établir un canal d’ Arras 
a Etaples. 

Oui, l’on peut, en réunissant la Scarpe et la Can- 
che, établir un canal d'Arras à Etaples et deux di- 
rections se présentent, l’une par St.-Pol au moyen 
de la Ternoise, l’autre par Avesnes-le-Comte et Fré- 
vent au moyen du Gy. 

La première de ces deux directions est vivement 
réclamée par la ville de St.-Pol, — Dès 1820 son 
conseil municipal, ainsi que nous l'avons dit plus 
haut, connaissant les conclusions du rapport de M. 
Martin qui écartait cette direction, l’a combattu : 
et lout récemment encore , le 6 mai dernier, elle a 
aussi fait publier une délibération motivée, dans 
laquelle elle demande que si le projet d’un canal 
d'Arras à Boulogne est adopté , sa direction par St- 
Pol soit étudiée. Dans un instant nous présenterons 
une courte analyse des observations faites par la 
ville de St.-Pol en réponse à celles de M. Martin. 

Mais poursuivons : | 

La deuxième direction du canal projeté , c’est-à- 
dire celle par Avesnes-le-Comte et Frévent est ré- 
clamée d’une manière non moins vive par les habi- 

tans de la vallée du Gy, du canton d’Avesnes-le- 
Comte, et de toute la vallée d’Étrée-Wamin à à Hes- 
din en passant par Frévent. 

Pour opter entre ces deux directions, il suffit de 
considérer d’une part l'étendue et l'élévation du plu- 


— 140 — 


teau qui sépare la Ternoise de la Scarpe, de l’autre 
l'exiguité à toutes les époques des sources de ces 
deux rivières, 

On reconnait dès lors que la jonction de la Scarpe 
et de la Ternoise, nécessiterait la construction d’un 
canal souterrain sur quatre à cinq lieues de lon- 
gueur. 

La jonction du Gy etde la Canche ne peut égale- 
ment être effectuée qu’au moyen d’un canal sou- 
terrain, mais ce canal dirigé de Noyelle- Vion sur 
Denier pourrait n'avoir que 8900 métres de lon- 
gueur, 

Il serait creusé dans un banc calcaire, tendre, 
très-compacte et non sujet à s’effeuiller. 

M. Martin, observe d’ailleurs que la profondeur 
des puits ouverts dans la partie supérieure étant de 
18 mètres, la couche d’eau qui les alimente se trouve 
à 14 mètres 50 centimètres au-dessus de la source 
la plus élevée de la couche, de telle sorte que l’exis- 
tence de cette couche paraît trouver à la fois et l’im- 
perméabilité du banc inférieur dans lequel serait 
creusé le canal souterrain, et la possibilité d’ali- 


menter ce canal sans recourir aux eaux de Ja Can- 
che. 


En conséquence, M. Martin, n'hésite pas à adop- 
ter la direction par Avesnes-le-Comte et Frévent, et 
regardant la Canche comme navigable dans son 
propre lit, depuis Montreuil jusqu’à Etaples, il pro- 
pose d'établir un canal souterrain de Denier à 


— Ali — 


Noyelle-Vion (1), de descendre par un canal latéral, 
d’un côté la Canche depuis Didier jusqu’à Montreuil, 
et de l’autre le Gy et la So depuis Noyelle-Vion 
jusqu'à Arras. : 
DEUXIÈME QUESTION. 
Quels avantages pourrait-on retirer de l'établissement 
du canal d'Arras à Etaples ? 


Ces avantages dépendent d’une manière essen- 


(4) La’ principale et peut-être la seule difficulté sérieuse que 
rencontre l'exécution du canal d'Arras à Boulogne, est le pla- 
teau ou terre plein qui se trouve entre la source de la Canche 
et celle du Gy, c'est-à-dire entre les marais de Noyelle- ion, et 
le village de Dénier. La distance intermédiaire n'excède pas 
40,000 mêtres, et le point le plus élevé ou culminant au-dessus 
des sources des deux rivières, est de 25 métres environ. Serait-il 
besoin d'un canal souterrain ? On ne le croit pas. L'ouverture à 
ciel ouvert n'aurait 25 mêtres qu'au point culminant, qui a peu 
d'étendue; la rencontre du versant dans l'une et l'autre vallée, 
dimiouerait progressivement cette profondeur, dont le canal de 
St.-Quentin offreuu exemple avant de pénétrer dans le souterrain. 
Deux écluses à Dénier et à Noyelle-Vion feraient refluer Îles eaux 
destinées à alimenter cet intervalle, et l’on conçoit que la portion 
du canal n'aurait d'autre cours que celui que lui imprimerait le 
jeu de ces écluses. Il est néanmoins probable que le percementà, 
une telle profondeur ferait découvrir des sources même au-des- 
sus du niveau des deux rivières : on sait que presque toujours et 
faute d'autres issues , les sources jaillissent au pied des côleaux. 
C’est ainsi que les fontaines sont, dans certains endroits, d'un 
grand secours au canal d'Aire à St.-Omer. La vérification de ces 
données n'est pas difficile. En effet, des puits percés, dans le 
terrain que doit traverser le canal, ferait canuaître d'ane ma- 
nière bien certaine, la profondeur des déblais à opérer et le ni” 
veau deslieux. — (Boulonnaise du 27 juin 1835.) | 


— Ah — 

tielle du commerce extérieur qui pourra s'établir 
d'Arras à la mer par une ligne de 22 lieues de navi- 
gation intérieure tandis qu'on en compte 48 par 
Dunkerque. — Tout nous dit que pour la ville 
d'Arras ces avantages seraient considérables, elle 
servirait d'entrepôt pour les marchandises qui arri- 
veraient de Boulogne, comme la ville de Lille sert 
d'entrepôt à Dunkerque.On arriverait ainsi au canal 
de la Sensée, puis au canal de St.-Quentin en ayant 
16 licues de moins à parcourir. 

À ces avantages principaux, il faut ajouter ceux 
résultans de la plus value des propriétés riveraines 
du dessèchement de la vallée comprise entre Hesdin 
et Montreuil, et enfin l'exploitation de 8,000 hec- 
tares de bois qui dépérissent faute de débouchés. 


TROISIÈME QUESTION. 


Quelle pourra être approximativement La dépense que le 
canal exigerait ? 


M. Martin estime que cette dieu s'élèvera à 5 
millions en y comprenant les travaux à faire au port 
d’Etapies pour un million, les indemnités de ter- 
rain pour 636,000 fr., et la construction du canal 
pour 903,000 francs. 

Il réduit d’ailleurs cette somme à 4,500,000 fr, 
en déduisant 500,000 pour la plus value des ma- 
rais desséchés. 

QUATRIÈME QUESTION. 
Quel pourrait être le revenu du canal ? 


L'établissement d’un canal ne saurait être envi- 


— 113 — 

sagé à part d'un ensemble général de navigation 
dont le plus ordinairement il n'est qu’une ra- 
mification. Souvent il existe entre les parties de 
cet ensemble des relations qui sont essentielles : 
ainsi l'ouverture d’une nouvelle communication 
exerce une grande influence sur celles qui déjà exé- 
cutées s’y rattachent soit directement , soit par l’in- 
termédiaire d’une autre ligne. 

Voilà pourquoi il est souvent difficile de prévoir 
quelle sera la circulation qui s’établira sur un nou- 
veau canal et d'apprécier la quotité du produit. 

Pour évaluer le revenu du canal projeté, M. Martin 
observe d'abord qu'il arrive annuellement à Arras 
environ 600 bateaux (1) de 70 tonneaux chacun; re- 
gardant ensuite Arras comme point de départ, et 
_ Avesnes-le- Comte, Frévent, Hesdin, Montreuil et 
Etaples comme constituant autant de dépôts où vien- 
draient s’approvisionner les villages environnans. 

De ces diverses considérations il conclut, eu égard 
à la population respective de chacun de ces bourgs 
ou villes qu’ils nécessiteraient annuellement l’arrivée 
de 500 bateaux qui se répartiraient comme il suit: 


Pour Avesnes-le-Comte. . . . . .  5o 
Frévent . . . . . . . . ... 100 
Hesdin, . . . . . . . . . . 150 
Montreuil. . . . . ,. . . . . 160 


Etaples . . . . . . . . . .  6o 
Total. . . 520 


EE 
(4) Aujourd'hui il en arrive 800, sans y comprendre ceux 


qu'on décharge depais Blangy jusqu'à Arras. 


— Ah — 

M. Martin estime d’ailleurs qu’enitre Arras et Eta- 
ples, le commerce extérieur d'importation et d’ex- 
portation aura ‘une importance “en à celle du 
commerce intérieur. 

Ceci posé, il suffit dans l’hypothèse d’une con- 
cession, d'établir un droit de 0,06 par kilomètre et 
par tonneau, pour que le concessionnaire puisse 
réaliser chaque année 10 pour oo de bénéfice pour 
rentrer dans ses capitaux aux termes de la conces- 
sion, si la durée était fixée à 99 ans. 

Ce droit de 6 centimes étant trop élevé à raison 
de ceux établis sur les autres lignes navigables du 
département, M. Martin propose de le réduire à 0, 
03 ou 0, 04, et pour ne rien changer à la position du 
cessionnaire, il pense qu’il y a lieu de mettre 1° à 
la charge du gouvernement la dépense des indem- 
nités évaluées à 636,000 fr.; 2° à la charge du dé- 
partement et des villes intéressées, une somme de 
2,000,000 fr. payable en 10 ans, moitié par ces 
villes et moitié par le département. 

Pour apprécier le mérite de ces conclusions et 
juger en conséquence de la possibilité d'exécution 
d'un canal d'Arras à Etaples, il ne faut pas perdre 
de vue que le travail de M. Martin, que nous ve- 
nons d'analyser avec exactitude, est le résultat d'une 
étude spéciale faite par un homme de l’art. 

Il faut observer en outre que cet habile ingénieur 
attachait une grande importance à l'exécution de ce 
projet de canalisation. 

En envisageant la question sous ce double point 


— 115 — 


de vue on est naturellement conduit à supposer, 1° 
qu'entre les diverses directions qui se présentaient, 
M. Martin a choisi et déterminé la plus avantageuse; 
2° que dans l’aperçu des dépenses et des recettes in- 
diquées par approximation, cet ingénieur a pré- 
senté les évaluations les plus favorables au projet. 

Un examen plus approfondi de l’état des lieux et 
du travail de M. Martin justifierait probablement 
celte double supposition. 

En effet, on conçoit d’abord qu’au moyen d’un 
canal souterrain entre Noyelle - Vion et Dénier, on 
évile la construction d’un nombre considérable d’é- 
cluses. 

On échappe en même temps à la nécessité de faire 
remonter artificiellement jusqu’au point de partage 
les eaux nécessaires à la navigation et qui devraient 
être empruntées à la Canche : enfin on s'établit sur 
un sol qui présente sous le rapport essentiel de l’im- 
perméabilité, beaucoup plus de garanties que celui 
existant à la surface sur les revers des côteaux. 

L'autorité municipale de St.-Pol sentant com- 
bien l'opinion d’un homme aussi instruit que M. 
Martin, qui n’a rien jugé sams avoir examiné, pouvait 
exercer d'influence sur la résolution que pourrait 
prendre le gouvernement, quant à la direction à 
donner au canal d'Arras à la mer en le faisant passer 
par Avesnes-le -Comte et Frévent, s’est attachée à 
combattre le rapport de M. l'ingénieur Martin. 

En 1820 comme en 1835, la ville de St.-Pol a 
soutenu que le canal présenterait plus de facilité 


19. 


— 116 — 


dans son exécution par St.-Pol que par Avesnes-le- 
Comte et Frévent, la ligne culminante à franchir 
n'étant que d’un espace d'environ 1200 mètres, et 
d’une élévation de 16 mètres au-dessus et au-des- 
sous de Tincques, pour arriver au point du territoire 
de cette commune entre Tinquette et le bois du Bar- 
let d’où les eaux ont leur cours naturel vers St.-Pol. 

Après avoir observé que la direction du canal en 
projet par St.-Pol est la plus avantageuse pour le 
département; que la Lys au-dessus de Verchins n’est 
éloignée que de 5000 mètres du point de la Ternoise 
au-dessus d’Anvin, et que dans la suite la prospérité 
du département augmentant comme sa position et 
l'industrie de ses habitans le font espérer, on pour- 
rait former et réaliser le projet d'opérer la jonction 
du canal d'Arras à Boulogne actuellement projeté 
avec celui de St.-Omer. 

Le conseil municipal de St.-Pol ajoute : 

1° Que la ligne d'Arras à St.-Pol est plus directe 
que celle par le Gy et la Canche qui se rapproche 
du département de la Somme. 

2° Que la vallée de Scarpe, et celles entre la Scarpe 
et la Ternoise sont plus larges que celle du Gy, celle 
à sec entre le Gy et la Canche et que la vallée de 
Canche, de Berlencourt à Frévent. 

3° Que, si M. Martin juge nécessaire de former 
quatre réservoirs sur le seul point entre les sources 
du Gy et celles de la Canche, deux et peut-être une 
seule suffiront pour alimenter le canal entre les 
sources de la Ternoise et celle de la Scarpe. 


— 147 — 


2° Que si d’après les calculs de M. Martin, la ligne 
culminante à franchir du Gy à la Ganche exige des 
travaux considérables et dispendieux, soit que l’on 
construise le canal à ciel ouvert, soit qu'il aït lieu 
souterrainement. La ligne culminante entre la Scarpe 
et la Ternoise n’exigera au plus que deux écluses, 
que la dépense ‘pour le déblai à ciel ouvert, n'est 
pas considérable, vu le peu d’élévation et la lon- 
gueur de cette ligne, qu’enfin la quantité de déblai 
sera également peu considérable et n'embarassera 
pas vu la largeur de la vallée. 

5° Que, si M. l'ingénieur Martin appréhende que 
le terrain sur lequel on devrait élever les eaux entre 
la Canche et le Gy ne soit perméable et qu’ainsi on 
ne puisse les retenir, cet inconvénient n'existe pas 
sur la ligne culminante entre les sources de la 
Scarpe et Tinquette, puisque des versans de ce der- 
nier point, les eaux pluviales viennent inonder 
St.-Pol lorsqu'il y a un orage un peu considérable. 

Enfin le conseil municipal de cette ville entre 
dans des développemens où il rappelle de nouveau 
que St.-Pol est plus central qu AYeneprie Vonne et 
Frévent. _ 

Nous dirons qu’en admettant les faits établis par 
M. Martin, on reconnait : 

1° Que la ligne à suivre pour l'ouverture d’un ca- 
nal d'Arras à Etaples est celle indiquée par le cours 
de la Scarpe, du Gy et de la Canche, le Gy et la 
Canche étant réunis par un canal souterrain de 
8,900 mètres entre Noyclle-Vion et Dénier, 


— 118 — 


9° Qu'’aux avantages commerciaux que produirait 
l'ouverture du canal, se joindraient dans cette di- 
rection ceux résultant non seulement du dessèche- 
ment et de l'assainissement de la vallée comprise 
entre Hesdin et Montreuil, mais encore d'immenses 
améliorations pour la contrée entre Arras et Fré- 
vent. | 

3° Que les frais d'établissement seraient de 
4,500,000 y compris un million pour la mise en 
état de la baïe d’Etaples et déduction faite de 500,000 
fr. à imputer sur la valeur des marrais desséchés. 

4° Qu'en faisant participer à cette dépense le 
gouvernement, le département, et les villes intéres- 
sées pour une somme de 2,636,000 f. dont 636,000 
fr. seraient payés par le gouvernement et le reste, 
moitié par le département, moitié par ces villes, 1l 
sufhrait d'un droit de o, 03 ou o, 04 par kilomètre 
et par tonneau pour que le revenu du canal indem- 
nisât complètement le concessionnaire chargé d’exé- 
cuter les travaux à ses charges et périls. 

Si l’on observe ensuite que les indemnités de ter- 
rain ont été calculées par M. Martin, à raison de 
2,000 fr. l’hectare, et que les sas, estimés chacun 
30,000 fr. ne sont autre chose qu’une portion ordi- 
naire du canal, fermée par deux portes d’écluse, ne 
reconnaîtra-t-on pas d’une part que les terrains à 
acquérir ont une valeur beaucoup plus élevée, et de 
l’autre que la construction des sas en maçonnerie 
peut ètre impérieusement commandée par la né- 
cessité d'économiser l’eau ? 


— 149 — 


Qu'on ajoute à ces considérations celles des diffi- 
cultés imprévues que peut offrir la construction du 
canal souterrain évaluée seulement à 100,000 fr., 
par kilomètre, et ne sera-t-on pas forcé d'admettre 
que ces diverses dépenses , comptées d'environ 
2,500,000 fr., pourront en réalité s'élever à peu 
près au double, c’est-à-dire à 5,000,000 fr. 

Des détails plus précis et plus circonstanciés se- 
raient sans doute indispensables pour établir rigou- 
reusement l'importance du chiffre auquel nous ve- 
nons d'arriver. 

Quoiqu'il en soit, il paraîtra probable que les 
prévisions de M. Martin en ce qui concerne les frais 
de constructions, peuvent être dépassées, et pour 
fortifier une opinion à cet égard, on peut invoquer 
l'avis d’un des hommes les plus expérimentés que 
possède le corps des ponts-et-chaussées ; nous vou- 
lons parler de M. Gayant, auquel on doit les tra- 
vaux du canal de St.-Quentin, qui, consulté sur la 
possibilité d'exécuter le canal d'Arras à Etaples par 
le Gy, la Scarpe et la Canche, évaluait la dépense à 
huit millions (1). 

(4) Pour arriver à une évaluation rapprochée du minimum de 
dépense nous supposerons : 

4° Qu'il s'agisse d'un canal de grande navigation qui doive ad- 
meltre des bateaux de 5 mètres de largeur sur 40 de longueur. 

2° Que ce canal soit établi latéralement aux rivières de la Can:- 
che, da Gy et de la Scarpe dans l'intervalle d'Arras à Montreuil. 

3° Que l'on puisse éviter la construction d'une partie souter- 
raine et remonter , sans obstacle, jusqu’au point le moins élevé 
du faite à franchir entre Noyelle-Vion et Dénier. 


— 150 — 


On a pu se convaincre par l'analyse à laquelle 
nous venons de nous livrer de tous les projets rela- 
tifs à l'établissement d’un canal d'Arras à la mer, 


4° Enfin que ce point le moins élevé soit seulement à 26 mètres: 
en contrenants des eaux du Gy prises à leur source. 

Ces hypothèses sont suivant nous, les plus favorables qu'il soit 
possible d'établir et cependant elle ne rédairait pas le chiffre de 
ka dépense à moins de 8 ou 9 millions. 

En effet, on aurait alors 309 hectares 17 ares de terrain à ac- 
quérir, 2,887,880 mêtres cubes de terre à déblayer, et 52 écluses 
à construire dont chacune auraïît 3 mêtres dechûte. Ces données, 
résullant de nivellemens authentiques, ne peuvent pas être con- 
testées. 

Or, les terrains à acquérir ve coûteraient guère moins de 
4,000 fr. l'hectare (lerme moyen) chaque mêtre cube de terre 
ezigerait pour les fouilles et le transport uue dépense de 40 cen- 
times au miuimum, et chaque écluse ne pourrait être bien établie 
pour moins de 60,009 fr. | 

Il viendrait donc: 

4° Acquisition de terrain 309 hectares 17 cen- 


tiares à 4,000 fr. l'hectare . . . . . . . . . 4,236,680 f. 
2° Mouvement de terre 2,887,889 mètres . 
cubes à 40c..,......... .. . . . .4,155,152 


3° 52 écluses à raison de 60,000 fr. l'une. . 3,120,000: 
À quoiil faut ajouter, lant pour 8 puntsà cons- 

truire sous les routes royales et départementales 

que pour des ponceaux sur les chemins vicinaux, 

des aquédues, des contrefossés elc. . . . . . . 300,000 


Ce qui denne an total de. . . . 5,8414,832 £. 
Des 


C'est à dire environ 6 et 4 10 — en réservant 1[40 pour les dé- 


penses imprévues. 
Si l'on obserse maintenant que ce chiffre ne comprend ab- 


— 151 — 


et notamment de l’étude qui en a été faite par M. 
Martin, l'importance qu'on attache depuis un grand 
nombre d'années dans notre département à voir 
établir cette communication. 

Mais depuis peu, l’idée de M. Martin, et de tous 
ceux qui se sont occupés de cette grave question a 
été agrandie , et la ville de Boulogne en réclamant 
la continuation de ce canal depuis Etaples jusqu’à 
son port a ouvert une perspective nouvelle à cette 
grande entreprise (1). 

Par là, non seulement, le canal aurait l’avantage 
de vivifier par le commerce le pays qu'il traverse- 
rait, mais il aiderait encore une ville dont les déve- 
loppemens sont chaque jour progressifs à alteindre 
à une prospérité dont on ne saurait assigner les li- 
mites. 

Boulogne, depuis quinze ans, est devenue une 
ville d’une haute importance , le caravanserail de 
l'Angleterre dans ses continuelles excursions sur le 
continent. 

Mais il lui manque pour décupler les avantages 
de son port, pour entrer en rivalité avec Dunkerque 


solument, que les travaux à exécuter d'Arras à Montreuil, ct que 
la partie de la Scarpe située entre Arras et Douai, exigcrait pour 
être mis eu rapport avec le nouveau canal une dépense de 
6,000,008, on concevra de suite que fixer à 8 ou 9 millions le total 
de la dépense dont il s’agit peut s'évaluer le plus bas possible. 
(Note communiquée par M. l'ingénieur Lamarle). 
(4) Proposition de M. Leroi-Mabille , à la société royale de 


Boulogne. 


| — 152 — 
et le Hâvre un débouché, un canal qui mette ses 
entrepôts en communication avec l'intérieur. 

Ce canal, elle le trouverait, on doit l’espérer, 
dans l'exécution de celui proposé depuis long-tems, 
étudié par M. Martin, et dans la continuation des 
travaux depuis la Canche jusqu’à la Liane. 

Les lieux ont été vus, les niveaux consultés par 
des hommes habiles, et, nulle part, ils n’ont ren- 
contré, dit-on, de sérieux obstacles. 

Une seule objection, mais capitale, il est vrai, 
peut être faite sur tout l'ensemble du projet, c’est 
celle de la dépense. | 

Nous sommes disposés à reconnaître ce qu'il y a 
toujours de hasardé dans de pareils calculs quant à 
l'exactitude des chiffres, et il faudrait pour être à 
l'abri d'erreurs graves, avoir pu se livrer à une étude 
plus approfondie des travaux nécessaires, non seu- 
lement pour la réalisation du projet de M. Martin, et 
de ceux qui l’ont précédé, mais encore pour la con- 
tinuation du canal depuis la Canche jusqu’à Bou- 
logne. 

Mais, dès à présent, ne pouvons-nous pas entre- 
voir que la dépense serait couverte : 1° Par le pro- 
duit du canal; 2° par la fécondation de tous les élé- 
mens de richesse du pays qu’il traverserait ! 

Nous avons déjà des données précieuses sur les 
produits, dans le travail de M. Martin, et quelques 
indications dans les documens publiés avant lui. 

Cet honorable citoyen a trouvé qu'il suflirait d’é- 
tablir un droit de 6 cent. par kilomètre et par ton- 


— 153 — 

heau, pour que le concessionnaire püût réaliser 
chaque année 10 pour oço de bénéfice et rentrer 
dans ses capitaux au terme de la concession fixé à 
99 ans. Il a même réduit ce droit au 4 c. Tous ces 
calculs sont établis dans l'hypothèse d'une dépense 
de 2 à 3 millions, dépense qui, selon nous, doit 
s’accroître. 

Pour atteindre ce résultat, M, Martin, suppose 
l'arrivage annuel de 520 bateaux pour tout le pays 
depuis Arras jusqu’à Etaples seulement. Ce nombre 
est loin d’être exagéré ; il peut être considérable- 
ment augmenté. | 

D'abord il faut le compléter en tenant compte de 
la prolongation du canal jusqu’à Boulogne, à tra- 
vers un pays où les travaux d'art seraient moins 
coûteux, le canal étant partout à ciel ouvert. 

D'un autre côté, il faut bien reconnaitre que de- 
puis 1821, époque à laquelle M. Martin a terminé 
son travail, l’industrie et l’agriculture ont pris dans 
notre département un essor remarquable; que pour 
ne parler que d’une branche de commerce, celle de 
la fabrication de sucre de betterave, elle seule pour 
le transport des charbons, engrais, machines, formes 
en terre cuite, ossemens pour la fabrication du noir 
animal, sucre, matériaux de construction de toute 
espèce, nécessiterait chaque année plusieurs cen- 
taines de bateaux, puisqu'il n’est pas de fabrique 
en ce genre qui ne consomme annuellement de 
1,900 à 2,000 hectolitres de charbons, la charge de 
: près de deux bateaux. | 


20. 


— 154 — 


L'extension donnée à la fabrication des apparcils, 
dans notre département même, la construction des 
machines navales, influerait aussi beaucoup sur 
l'importance des transports. 

Enfin, ce n'est pas tant sur l’état actuel de l’in- 
dustrie dans les contrées que le canal devrait par- 
“courir, qu'il faut établir les calculs des produits, 
que sur le degré de prospérité où elle arriverait in- 
failliblement lorsqu'une voie de communication 
‘par eau, son premier et son plus indispensable élé- 
ment, lui aurait été donnée. 

Pour s’établir dans une localité, l'industrie qui 
ne prospère que par l'économie, veut avant tout 
des transports faciles et peu dispendieux pour les 
malières premières qu’elle absorbe, et pour les De 
duits qu'elle a besoin d’écouler, 

C'est ce qui explique la supériorité industrielle 
des départemens sillonnés par de nombreux canaux, 
notamment du département du Nord sur les traces 
duquel le nôtre ne tarderait pas à marcher (1) dès 
qu'une ligne de canaux aurait établi entre le centre 
du département, la mer d’une part, et de l’autre le 
bassin houiller de Mons, Anzin et Denain, une com- 
‘munication prompte et économique. 

Un canal, au reste, ne borne pas ses avantages à 
favoriser l’extension du commerce et le développe- 
ment de l’industrie ; il intéresse puissamment la 
propriété elle-même, et celui d'Arras à Boulogne, 

(4) Le développewent des canaux dans le département du 
Nord, forme le 6° de la longueur totale des canaux de la France. 


— 1955 — 


dont nous nous occupons, mérite bien, sous ce 
rapport, toute la sollicitude de l’administration dé- 
partementale et des propriétaires territoriaux. 


La réflexion et plus. encore l'expérience démon- 
trent que la création de ce canal donnerait en peu 
d'années une valeur double à des terres qui, fer- 
tiles par elles-mêmes, ne sont cependant que fai- 
blement productives, par plusieurs raisons qui tien- 
gent au défaut de communication. 

La rareté des engrais, une population faible, des 
transports coûteux, l’absence de l’industrie et de 
circulation, sont pour les régions centrales du dé- 
partement du Pas-de-Calais, des causes de dépré- 
ciations des propriétés. 


Ces causes disparaîtraient en peu d’années si un 
canal, venant traverser ces contrées, y amenait lout 
ce qui leur manque, appelait sur ses bords l’indus- 
trie et la populalion, y naturalisait les bonnes mé- 
thodes de culture et le progrès agricole par la pers- 
pective de débouchés certains et lucratifs. | 

Nous pensons aussi que les propriétaires des ter- 
rains avoisinant le canal projeté comprendraient 
leur véritable intérêt , qu'ils sauraient souscrire 
dans le présent à quelques sacrifices pour lesquels 
un avenir prochain leur promettait d'amples dé- 
dommagemens. Il ne faut pas croire que le com- 
_merce, tout perfectionné qu'il est, soit à son der- 
nier période. Combien ne reste-t-il pas encore de 
moyens pour l’étendre! 


— 156 — 


La question dont on s ‘occupe depuis MH 
a été celle des communications. 

Sans doute qu'il y a encore opportunité d'en par: | 
ler, car nous avons beaucoup à faire avant que toutes 
nos communes rurales puissent être mises comme 
elles doivent l'être, en relation avec nos routes 
royales et départementales, | 

Mais l'amélioration des routes de terre ne suffit 
plus aux besoins nouveaux, il faut perfectionner le 
lit de nos rivières, 1l faut canaliser celles qui en 
sont susceptibles et y employer l’armée. 
| L'emploi de l’armée aux travaux d'utilité publi- 
que n’est plus aujourd'hui une question d'avenir, 
elle est résolue par le gouvernement lui-même. La 
lettre du 29 juillet dernier, de M. le général De- 
jeon, commandant par intérim la 4° division mili- 
taire , indique les travaux exécutés par les déta- 
chemens des 3°, 4°, 36° régimens d'infanterie de 
ligne, et du 11° léger aux routes stratégiques de St.- 
Poix à St.-Berthevin et de Nantes à Ançenis. Ces tra- 
vaux ont été couronnés des plus heureux succès. 

L'académie d'Arras en mettant au concours de 
1834 la question de l'emploi de l’armée aux travaux 
d'utilité publique, n’a pas peu contribué à la faire 
accueillir, en couronnant le bel ouvrage publié sur 
cette importante matière, par un officier du génie, 
M. Houbre, qui a long-temps habité l'Afrique, à 
Oran et à Alger. 

C’est au conseil général, et aux conseils munici- 
paux du Pas-de-Calais, échos de la pensée publique, 


— 157 — 


que nous croyons devoir nous adresser aujourd'hui 
pour qu’ils accordent tout leur intérêt à la création 
du canal d’Arras à Boulogne. 

Leur position acluelle circonscrite dans des ques- 
tions d'intérêt matériel leur offre un large champ à 
parcourir dans la carrière des améliorations. 

C’est par des allocations de fonds distribués avec 
_ discernement qu'ils faciliteraient une entreprise qui 
répandrait la vie et la prospérité dans quatre des 
arrondissemens de notre département. 

Ils permettraient ainsi à l'arrondissement de Bou- 
logue d’exploiter avantageusement ses richesses mi- 
nérales, à celui de Montreuil, de rendre à la vallée 
entre Hesdin et Montreuil, sa fécondité naturelle, à 
l'arrondissement de St.-Pol d'exploiter ses bois et 
d'améliorer la culture des terres, enfin à l’arrondis- 
sement d'Arras de développer plus encore dans ses 
belles plaines l’industrie agricole et manufacturière. 

Nous croyons avoir établi dans ce rapport que la 
dépense au minimum pour la création d’un canak 
d'Arras à Boulogne, s’éleverait à la somme 


de jé 4 à . + + + 8,500,000f. 
“ses un intérêt à raison de 5 pour oo, 
de. … + + + + 425,000 f, 


à quoi il faut oué pour les dépenses d'entretien 
annuel et le salaire des divers agens employés sur 


le canal une somme d’au moins. . 75,000 f. 
Le produit du canal devrait donc être 
de. . ee + + à + |  D00,000 f: 


or, ce chiffre à raison d’un droit de 5 fr. 24 c. par 


— 158 — 


- tonneau pour le parcours d'Arras à Boulogne sup- 
pose un mouvement de 154,321 tonneaux, ou de 
2,205 bateaux de 70 tonneaux chacun. 

Ïl resterait donc à savoir, si les relations com- 
merciales qui s’établiront sur la ligne d’Arras à la 
mer auront une si grande importance que celle 
qu'on leur suppose. 

Ceux qui sont le plus capables d'apprécier l'é- 
tendue de ces relations sont sans contredit, MM. les 
membres du conseil général et des conseils muni- 
Cipaux à qui nous nous adressons. 

Ici, nous terminons le rapport que nous avons été 
chargé de faire. La création d’un canal d'Arras à 
Boulogne méritait de fixer toute notre attention, de 
faire naître loute notre sollicitude; nous savons que 
l’un des moyens les plus puissans de lier entre eux 
les deux points les plus éloignés de notre départe- 
ment, Arras et Boulogne, est de contribuer à la ri- 
chesse des arrondissemens qui se trouvent entre ces 
deux cités; c’est de créer un canal qui servira à l’ar- 
rivage des marchandises à leur destination, sans re- 
courir aux transbordemens qui entraînent à la fois 
leur détérioration, de la dépense, et une grande 
perte de temps. | 

En émettant le vœu qu’un canal existe désormais 
entre Arras et Boulogne, en demandant au conseil 
général et aux conseils municipaux de voter un cré- 
dit en 1836 pour en étudier la direction, nous avons 
voulu faciliter sans ostentation et surtout par le 
concours de l'intérêt public et de l’intérèt privé la 


— 159 — 


réalisation d’un projet utile en écartant les obstacles 
qui s’opposeraicnt à son exécution. 

2° Toutefois, en raisonnant pour le cas où la dis- 
tance à parcourir d'Arras à Boulogne, ne donnerait 
pas lieu à une perception de droit de navigation 
aussi élevé que celui que nous payons sur la ligne 
des canaux d'Arras à Dunkerque et Calais, comme 
il est indispensable dans toute grande entreprise de 
se livrer à des travaux préléminaires à des essaïs pré- 
paratoires, afin de ne pas compromettre les plus 
graves intérêts. La commission a l’honneur de vous 
proposer de demander au conseil général du Pas- 
de-Calais, et aux conseils municipaux de plusieurs 


de nos villes, de voter un crédit dans leur budget 
de 1836. 


Afin d'obtenir : 

1° Qu'une étude soit faite par des ingénieurs pour l’é- 
tablissement d'un canal d'Arras à Boulogne. 

2° Que ces ingénieurs examinent les deux directions 
par la réunion des sources du Gy à la Canckhe et de 
la Scarpe à la Ternoise. 

9° Qu'en ce qu concerne le point caiénat d’A- 
vesnes-le-Comte, ils recherchent principalement , s'il ne 
serait pas possible de suivre une autre direction que celle 
souterraine de Noyelle-Vion à Berlencourt en suivant 
la ligne tracée en 1805, par M. Rossignol, en y appor- 
tant quelques améliorations, si cela est reconnu utile. 


— EE ————— 


MANUEL 


ÉLÉMENTALIRE D'AGRICULIUEE, 


APPROPRIÉ 


A LÉCONOMIE RURALE DU NORD DE LA FRANCE, 
Par M. THIBAULT , membre résidant. 


6! 


L'agriculture est sans contredit, l’un des arts les 
plus utiles à l’homme; et pourtant c’est celui pour 
lequel il existe peut être le moins d’écrits propres à 
en retracer les principes et les préceptes élémen- 
taires à la jeunesse des campagnes. Ne soyons donc 
pas surpris de la puissance de la routine sur leurs 
esprits, puisqu'elle est leur seule règle. On ne sau- 
rait trop redoubler d'efforts pour extirper ce qu’elle 
peut avoir de contraire à l’améhoration des prati- 
ques rurales ; mais ce n’est que par l'instruction 
qu’on peut espérer de pouvoir parvenir à la com- 
battre avec succès. Eclairer les jeunes adeptes en 
agriculture, leur donner d’utiles conseils, mettré 
à leur portée et offrir à leur méditation, les prin- 
cipes et les préceptes élémentaires établis et avoués 
par les auteurs les plus estimés en économie rurale. 
Tel est l’objet et le but de cet ouvrage. 


— 161 — 
CHAPITRE !°, 


DE LA CULTURE DES TERRES. . 


Si 
De la connaissance, du choix, et de l’examen des Terrains. 


Le premier soin auquel doit se livrer un cultiva- 
teur, c’est de s’étudier à bien connaître la nature du 
terrain qu’il se propose de cultiver, de bien se pé- 
nétrer de ses différentes qualités, et de ce qu'il peut 
produire avec le plus de facilité et d’abondance, afin 
de ne lui imposer que des plantes les plus appro- 
priées à sa nature, et par conséquent les plus sus- 
ceptibles de bien y fructifier. | 

Les terres propres à la culture sont en général de 
trois espèces : 1° Les terres argileuses, 2° les terres 
sablonneuses, 3° les terres marneuses ou crayeuses. 

On donne encore différentes dénominations aux 
terres d’après leur qualité ; ainsi, on appelle terres 
fortes, celle où l'argile domine et terres légères, 
celles qui, étant principalement composées de sable 
et de gravier, sont les plus susceptibles de se laisser 
diviser et ameublir par le travail de la charrue, et 
de donner un accès facile à l’infiltration des eaux 
pluviales. Ces connaissances sont nécessaires et 
utiles au cultivateur, mais il lui est fort facile de les 
acquérir. Il lui suffit pour cela, de voir, d'examiner 
et de toucher le terrain. 

On parvient à modifier et à améliorer favorable- 
ment une terre de qualité médiocre, par le mélange 
et la combinaison qu’on en fait avec une autre terre 


24. 


— 162 — 


dans de justes et sages proportions; ainsi, on don- 
pera plus de fertihté à un sol argileux et compacte, 
en y déposant des terres sablonneuses, qui, étant 
naturellement sèches et friables, auront la propriété 
de tempérer et de corriger l’état d'humidité natu- 
relle de la substance argileuse. De même, cette 
dernière substance répandue avec discernement sur 
un terrain sablonneux, contribuera à lui donner et 
à lui conserver un état de moiteur et d'humidité, 
qui lui est nécessaire pour faciliter le travail de la 
. végétation. | 

La terre a besoin d’être retournée et délitée par 
l'effet des labours et autres pratiques aratoires, parce 
que de céttemanière la couche végétable, c’est-à-dire, 
la partie de la terre qui est seule propre aux plantes 
étant exposée à l'action de la chaleur, de l’air et de 
la lumière peut se pénétrer plus facilement des prin- 
cipes végétatifs que l’atmosphère lui fournit pour 
servir à la nourriture et à l’accroissement des végé- 
taux. Les météores ont en effet la vertu de diviser, 
d’ameublir et de dilater la terre, mais ce n’est que 
lorsqu'elle est remuée par le travail de la charrue 
qu'ils peuvent exercer sur elle leur action fertilisante. 
On peut donc considérer les labours comme un des 
principaux amendements, qui, selon l'expression 
des cuhivateurs, ont la propriété de mürir la terre. 


6 2. 
Des labours et autres travaux aratotres. 


Le labourage est une des opérations les plus 1m- 


— 163 —. 


portantes de l’agriculture. Son action exerce la plus 
grande influence sur la beauté des productions. On 
ue saurait y donner trop de soins ni d'attention. 

L'objet de cette opération est de diviser, d'ameu- 
blir et de pulvériser la terre, de la renouveler en 
ramenant à sa surface la couche végétale propre à la 
production. Enfin de favoriser l'infiltration des prin- 
cipes de fertilité, que l'air, le soleil, la rosée, la pluie 
et les brouillards ne cessent d'y déposer comme des 
agents vivifiants. nécessaires à la fécondation et au 
développement des végétaux. 

Ïl existe en matière de labourage plusieurs pra- 
tiques vicieuses qu’il n’est pas inutile de signaler 
pour d'autant mieux mettre à même de pouvoir les 
éviter. | 

Les labours ne doivent point en général être trop 
multipliés ; ce serait surtout une erreur de les prodi- 
guer sur les terres légères. Ces sortes de terrains en 
exigent ordinairement fort peu et ceux qui leur con- 
viennent plus particulièrement sont des labours su- 
perficiels et peu profonds. Il ne faut pas oublier que 
dans les terres de cette espèce. la. couche végétale est 
souvent peu épaisse; on conçoit dès lors que, si les 
Jlabours étaient trop profonds, il en résulterait que 
la charrue ne ramènerait point à la surface du sol la 
terre féconde et fertilisante, mais une terre, qui, n’é- 
tant point propre à la végétation, exposeraitle champ 
à tomber dans un état d’infertilité momentanée. Cet 
inconvénient n’est point à craindre dans les terres 
fortes et argilcuses où la croûte végétale est épaisse 


— 164 — 

et peut supporter des labours d'autant plus pro- 
fonds , qu'ils servent à faire pour ainsi-dire, surna- 
ger la bonne terre, celle qui est empreinte des sucs 
et des principes végétalifs qu'y ont déposé les fu- 
miefs. 

® [n'y a pas, à dire vrai, de saison fixe pour effec- 
tuer les labours ; on en voit quelque fois pratiquer 
vers la fin de l'été, mais le plus souvent c’est en au- 
tomne et au printemps. Les plus efficaces et les plus 
ütiles sont sans contredit ceux qui sont faits immé.- 
diatement après l'enlèvement de la récolte, lorsque 
la terre fraîche encore est susceptible de bien s’a- 
meublir et de mieux se diviser. 

Le temps n’est pas non plus sans influence sur 

l'efficacité des labours, il faut profiter d’un moment 
de pluie pour travailler une terre sèche et sablon- 
neuse afin de la pénétrer des principes d'humidité 
dont elle a besoin. Par une raison contraire, une 
terre imprégnée d’eau ne devrait, autant que possi- 
ble , être manutentionnée que par un temps sec et 
beau ; aussi est-il passé en proverbe que labour fait 
à temps vaut un bon amendement. 
‘l'est reconnu que les labours qui sont pratiqués 
avant l’hivér ont plus de succès que ceux qui ne sont 
faits qu’au printemps, par la vertu qu'ils ont de 
rendre la terre plus meuble et plus friable et de l’a- 
méliorer d’une manière sensible en la disposant à 
pouvoir se pénétrer plus facilement des principes 
fertilisants que lui procurent les pluies, le soleil, les 
brouillards, la neige, et les gélées. 


= 165 == 

* Il est à remarquer aussi, notamment en ce qui 
concerne les terres fortes qui sont destinées à être 
ensemencées en mars, que les labours qu'elles re- 
coivent dans l’arrière-saison en facilitent singulière- 
ment la culture au printemps et les rendent beau- 
coup plus meubles et plus friables en ne leur lais- 
sant d'humidité que ce dont elles peuvent avoir 
besoin. | | | | 

Quant au nombre des labours et hersages à effec- 
tuer on ne peut indiquer de règle fixe à cet égard 
— c’est à l'intelligence du cultivateur à y sappléer, 
parce que cela varie selon l’état du terrain, du temps, 
de la saison et encore d’après la nature de la plante ; 
en effet, on sait que tel labour qui suflira à tel ter- 
rain, ne suffira pas à tel autre, enfin que par sa 
nature une terre pourra être convenablement dé- 
foncée avec un seul labour, tandis qu'une autre ne 
pourra quelque fois pas l'être assez au moyen de 
plusieurs. Il est donc impossible de donner des rè- 
gles fixes sur des choses qui sortent du domaine des 
prévisions humaines; tout ce que l’on peut faire, 
c'est de recommander la pratique de ce précepte de 
sagesse et de prudence qui indique au cultivateur la 
nécessité de donner tous les labours nécessaires 
pour parvenir à rendre sa terre nette, bien légère, 
bien unie, bien friable et bien divisée. 

S 3. 
Des principaux instruments propres à la culture 
des terres. 
Les instruments destinés et employés à la culture 


— 166 — 

proprement dite, sont de plusieurs sortes. Les uns 
sont susceptibles de ne pouvoir être utilisés qu’à la 
main pour la petite culture, tels sont la houe , la 
bêche , la houette et le sarcloir; les autres ne peu- 
vent fonctionner qu'avec le secours et à l’aide des 
chevaux , tels sont principalement la charrue , vul- 
gairement dite harelle, le binot, la herse, le rouloir 
et le semoir. Tous ces instruments sont en général 
assez connus à la campagne pour que nous puis- 
sions nous dispenser d’en donner la description. 

Lorsque le travail du labourage est terminé, on se 
sert, pour donner la dernière préparation à la terre, 
de la herse et du rouloir, qui sont employés pour. 
briser les mottes, niveler la surface du terrain et y 
maintenir mieux la semence, par la pression que la 


terre en reçoit. 
| CHAPITRE II. 


DES AMENDEMENTS ET ENGRAIS. 


S 1%, 
Apperçu sur lutilité des engrais en général. 

Amender et engraisser un terrain, c’est y répan- 
dre des substances et des matières qui contiennent 
des sels, des sucs et des principes nourriciers dont 
les vertus fertilisantes contribuent à développer et à 
accélérer la végétation des plantes. Les cultivateurs 
ne doivent donc jamais négliger de pourvoir leurs 
terres d'engrais analogues aux productions qu'ils se 
proposent d’y recueillir. C’est en général la princi- 
pale base de toute bonne culture. 


— 107 — 


Ce n’est point seulement sur les plantes que les 
engrais agissent. Leur action s’exerce aussi sur la 
terre par la vertu qu’ils ont d'en dissoudre les par- 
ties graisseuses et onctueuses et de les rendre solu- 
bles, c’est-à-dire , susceptibles de pouvoir s'unir et 
se mêler avec l’eau. Ainsi, par la puissance des prin- 
cipes que contiennent les engrais, une terre argil- 
leuse et compacte, parviendra à se diviser et à s’a- 
meublir, c’est-à-dire qu’elle se pulvérisera et ne 
restera pas en masse. Les engrais redonnent aussi 
à la terre plus de ton et d'énergie; ïls la soutien- 
pent, l’améliorent et la rétablissent quand elle est 
appauvrie ; enfin, ils ont la vertu de procurer aux 
terrains arides un état de moiteur et d'humidité né- 
cessaire et indispensable au succès de toute végéta- 
tion. | 

Pour tirer un parti avantageux des engrais, il faut 
savoir les employer à propos et en temps convenable, 
C’est un soin qui est important. Tel engrais qui est 
répandu et dissiminé sur la terre à une époque où 
l'état pluvieux et humide de l’atmosphère lui don- 
nerait une puissante énergie, perdra la plus grande 
partie de sa force et de ses effets, par un temps sec 
et serein ou par son exposition à un soleil ardent 
qui le desséchera. 

Les engrais consistant en fumier, compots, urate 
ou en toutes autres matières végétatives quelcon- 
ques , ne sont pas les seuls agents de fertilisation, 
puisque les faits et l'expérience démontrent que les 
travaux du labourage et du hersage sont aussi à con- 


— 168 — 


sidérer comme de véritables amendements. Les la- 
bours et les engrais sont donc, en agriculture , les 
deux plus précieuses ressources dont le cultivateur 
puisse faire usage pour améliorer ses champs, mais 
il convient qu’il sache appliquer ses engrais conve- 
nablement selon l’état, le besoin, la situation et les 
diverses qualités de son terrain ; or, comme iln'ya 
que lui qui puisse bien le connaitre et dès lors bien 
apprécier ce qui peut le mieux lui convenir, on ne 
peut lui tracer des règles précises et invariables à 
cet égard. Tout ce que l'on peut faire, c’est de lui 
apprendre qu'il est de principe en agriculture , de 
considérer les engrais de bestiaux comme convena- 
bles à toutes sortes de terrains, excepté les terres 
pures sablonneuses et essentiellement arides, où ce 
serait infructueusement et en pure perte qu'on les 
emploierait. La raison en est que : les sables ne sont 
que des molécules ou des parcelles très minimes des 
pierres et que chaque grain formant lui-même, pour 
une petite pierre, il est bien évident que 


ainsi dire, 
il n’en pourra jamais sortir au- 


quoi que l’on fasse, 
cune substance fécondante qui puisse être propre et 
favorable à la végétation. | 

IL est des cultivateurs qui sont dans l’usage d’en- 
terrer profondément le fumier avec la charrue, 
d'autres au contraire, se contentent de le répandre 
sur la terre sans l’enfouir. L'une et l'autre de ces mé- 
thodes sont également vicieuses. Le fumier enfoui trop 
avanf dans la terre n’a plus d’air et se trouve par con- 
séquent privé des influences atmosphériques, dont il 


— 169 — 


a besoin pour exercer son action sur les racines des 
plantes. D'un autre côté, celui qui n’est répandu 
que sur la superficie du sol manque d'humidité, et 
se trouve exposé par l’action du soleil, à voir ses 
principes végétatifs se volatiliser ets’évaporer sans 
produire leur effet. Le procédé le plus avantageux 
consiste donc à ne pas enchausser le fumier dans la 
terre plus profondément que ne le sont les racines 
des plantes, pour qu’il puisse toujours se trouver 
en contact immédiat avec elles. Voilà le principe 
le plus susceptible de bien utiliser les engrais et de 
favoriser leur action, | 

C'est une erreur de croire que le fumier est meil- 
leur lorsqu'il est fort vieux et dans un état de pour- 
riture complète. La trop grande fermentation qu'il 
a été obligé de subir pour arriver à cet état de dé- 
composition, lui a fait éprouver une trop grande 
déperdition de principes végétatifs, pour qu'il puisse 
être encore fertilisant. Toutefois, il ne faut pas non 
plus, par un excès contraire, que le fumier soit 
trop nouveau, car dans l’un comme dans l’autre cas, 
il ne remplirait pas le but. Il importe, pour pouvoir 
en tirer le parti le plus avantageux, d’en faire l’em- 
ploi lorsqu'il est arrivé à un état de décomposition 
mixte, qui est le seul convenable. 

Il ne faut pas non plus perdre de vue que la sura- 
bondance des engrais nuit souvent d’une manière 
sensible à la production des végétaux; l'excès péche 
en tout : ici comme dans toute autre chose. Le cul- 
livateur qui croirait pouvoir recueillir une double 

| 22. 


— 170 — 


récolte parce qu'il aurait doublé la dose de ses fu- 
miers, se tromperait beaucoup. Il ne retirerait 
qu’une moisson abondante en paille dont les épis 
ne seraient que chétifs, maigres , allongés et peu 
fournis en grains; il est doué important, pour éviter 
cet inconvénient, de ne point trop prodiguer le fu- 
mier et de n’en employer que la quantité nécessaire 
. et suffisante aux besoins de la terre; c’est tout à la 
fois un prineipe de bonne réussite, d'économie et 
dé sage administration. 

[ n’est pas moins important lorsque le fumier est 
transporté sur le terrain, de ne pas mettre de retard 
à le répandre et à l’enfouir à la profondeur néces- 
saire, afin de ne pas s’exposer, en le laissant s’éva- 
porer en pure perte, à lui voir perdre ses principes 
tégétatifs les plus précieux. 

Il est plusieurs sortes d'engrais, les uns qui ne 
sont à proprement parler que des amendements, ne 
contiennent pas de substances graisseuses et onc- 
lueuses, et ne sont composés que de matières végé- 
tales, d'où ils tirent leur dénomination d'amende- 
ments végétaux. Les autres qui ne sont désignés que 
sous le nom générique d'engrais, sont un composé 
de substances animales produites par les déjections 
et la litière des différents animaux domestiques atta- 
chés à l'économie rurale. Nous ferons successive- 
ment connaître les uns et les autres; mais avant 
nous ne négligerons pas de faire remarquer que les 
amendements végétaux ne conservent pas leur vertu 
fécondante aussi long-temps que les engrais, parce 


— 171 — 


que ceux-ci contiennent plus de sels ct de parties 
graisseuses que ceux-là. Toutefois, les amendements 
végétaux ont une puissance beaucoup plus active, 
et on ne peut mieux les caractériser qu’en disant 
avec un auteur estimé en économie rurale, qu'ils 
sont pour les terrains « ce que les liqueurs spiri- 
» tueuses sont pour un homme robuste et phlegma- 
» tique, un levain qui l'anime et fait circuler dans 
» ses veines avec promptitude de nouveaux prin- 
» cipes de vie, une énergie extraordinaire, une puis- 
» sance jusqu'alors inconnue ; mais cette action ne 


1 


» dure pas. » | 
6 2. 
DES AMENDEMENTS VÉGÉTAUX. 
I. 
Des cendres et de la suie. nn 
Toutes les espèces de cendres, soit qu’elles pro- 
viennent de la cinération du bois, de la houille, ou 
des débris des plantes et végétaux, tels que les tiges 
d’œillettes, de colza ou autres, ont une vertu fertili- 
sante, loréqu’elles sont répandues avec discernement 
sur les terres que l’on veut amender. Elles exercent 
notamment une action favorable sur les prairies ar-, 
üficielles semées en trèfle. Les sels et les principes 
qu’elles renferment, développés et rendus solubles 
par l’action de la pluie et de l'humidité, çonvien- 
nent parfaitement pour activer la végétation des œil- 
Jettes, du chanvre, du colza, de l'orge, du froment 
et des pommes de terre, elles sont ordinairement 


— 172 — 


employées avant les travaux préparätoires des se- 
mailles, mais plus efficacement pour les récoltes de 
mars que pour celles de saison. Elles ont pour les 
terres fortes et compactes l’heureux effet d’en divi- 
ser les molécules , de les rendre plus légères en les 
ameublissant et en facilitant leur pulvérisation, de 
manière qu'elles sont alors plus susceptibles de pou- 
voir aspirer les influences atmosphériques. Elles re- 
donnent de la chaleur et de l’énergie au sol en le 
stimulant ; mais il ne faut pas les employer avee 
trop d’abondance , car alors leur effet serait plus 
nuisible qu’avantageux. Parmi les différentes espè- 
ces de cendres, iln’en est pas qui produisent de plus 
étonnants effets que celles qui proviennent des tour- 
bes. Elles exercent, sur le sol où on les répand, une 
vigueur de végétation étonnante qui surpasse tout ce 
que l’on pourrait attendre du fumier le plus ac- 
compli. Une lessive de ces cendres répandue après 
l'hiver sur les blés qui ont souffert de ses atteintes, 
ont le merveilleux effet de lui redonner du ton et de 
le rétablir dans le meilleur état de végétation. 

La suie a de même que les cendres la propriété 
d’amender les terrains parce qu'elle contient des 
substances huileuses et salées qui exercent une heu- 
reuse influence sur les plantes. Toutefois il ne faut 
s'en servir qu'avec prudence et précaution, parce 
que son action étant très corrosive on s’exposerait à 
les brûler et à les dessécher si on s’en servait en trop 
grande quantité. Cet amendement est principale- 
ment utile aux terrains qui sont disposés et destinés 


— 173 — 
à la production du trèfle, de l'orge , de l’avoine et 
de la luzerne, mais il produirait un effet préjudi- 
ciable, si on attendait pour le répandre que la plante 
fut sortie de terre. C’est avant l’ensemencement de 
la graine qu'il faut l'employer pour en retirer de 
bons effets. Le moment de l'utiliser se présente or- 
dinairement à la fin de l'hiver ou aux approches du 
printemps. 
IT. 


Des sables et graviers. 


Les graviers et les sables peuvent être employés 
comme amendement sur les terres compactes, froi- 
des et humides qui retiennent l’eau trop long-temps. 
Elles opèrent sur ces sortes de terrains, l’heureux 
effet d'en diviser les molécules, par conséquent de 
les rendre solubles et dès lors de les ameublir en 
facilitant l'infiltration du fluide aqueux dans l’inté- 
rieur de la terre, elles y entretiennent aussi plus 
long-temps l’action de la chaleur et par ce moyen, 
elles ont k propriété, en ranimant pour ainsi-dire 
le foyer de la végétation, d’en faciliter ou d’en accé- 
lérer singulièrement le développement. 

| III. 


De la marne. 


La marne, considérée comme amendement, pos- 
sède aussi des propriétés fertilisantes qui ne sont 
point indignes de l’attention du cultivateur. La marne 
adoucit et réchauffe la terre, aussi est-elle partica- 
lièrement profitable et favorable aux terrains froids 


et humides en y facilitant l'infiltration des principes 
de chaleur qu’elle y attire et dont l’action est si né- 
cessaire à la végétation. La marne s’identifie facile- 
ment au solet en s’y incorporant elle y produit d'heu- 
reux résultats surtout à l'égard des prairies artifi- 
cielles et des plantes fourragères et légumineuses. 
La marne prédispose aussi favorablement le sol pour 
la production des céréales; il suffit de la répandre 
sur le sol en petit tas et de faciliter son action en la 
broyant à l’aide de la herse à dents de fer et du rou- 
loir; cette opération doit principalement se faire 
dans la saison de l'automne afin de soumettre la 
marne aux influences des gélées qui ont aussi l’effet 
de contribuer, avec les neiges et les pluies, à en opé- 
rer Ja division et la dissolution. + 

On sait que la marne a la propriété d’enlever les | 
tâches de graisse des étofles. Ses principes sont 
donc d’aspirer les parties graisseuses et huileuses de 
l'atmosphère pour les inculquer à la terre et con- 
tribuer à sa fertilisation en en tempérant l'acidité. 


IV. 
De la chaux. 


La chaux est aussi un amendement qui produit 
les plus heureux effets sur les terrains compactes, 
humides et froids, dont il tempère l'humidité; mais 
il faut savoir en user avec un juste discernement, — 
l’action de la chaux , qui n’est autre chose que la 
marne calcinée, est fort dessiccative et ce serait s'ex- 
poser à dessécher un terrain que de l'y employeren 


— 175 — 


trop grande quantité. Il en est de la chaux comme 
de beaucoup de choses utiles dont l'emploi poussé à 
l'excès devient préjudiciable. | 


V. 


Des tourteaux. 


Les tourteaux d’œæillettes, de colza, de chanvre, de 
lin , et d’autres plantes oléagineuses, étant réduits 
en poudre et disséminés sur la terre, ont beaucoup 
d'efficacité comme amendement et même comme 
engrais , à cause des substances graisseuses et hui- 
leuses qu’ils renferment. Ge précieux amendement 
est apprécié à sa juste valeur dans le nord de la 
France où il est fréquemment employé et mis en 
usage par les cultivateurs qui l’estiment beaucoup 
pour sa chaleur et pour les heureux effets qu'il pro- 
duit. ; 7 


VI. 


Des résidus des plantes. 


Les débris des végétaux, les feuilles des arbres, les 
pailles des céréales, les tiges des plantes fourragères 
et légumineuses, soit qu’on en tasse usage après les 
avoir préalablement saturés de substances végéta- 
tives ou déjectionnelles , soit qu’on les emploie au- 
tremnent, ont la vertu, étant enfouis dans la terre, 
de lui procurer par leur décomposition un véritable 
amendement par la propriété que toutes ces ma- 
tières ont d’alléger le terrain, de le rendre plus per- 
méable, plus friable et par conséquent plus acces- 


— 176 — 


sible à l'action des principes fécondateurs que 
l'air, le soleil et les pluies peuvent lui fournir, 


$ 3. 
DES ENGRAIS, 
I. 

Du fumier. 


On désigne sous le nom de fumier proprement 
dit, la litière des chevaux , vaches et autres animaux 
domestiques, attachés à l’économie rurale, c’est le 
meilleur et le plus estimé des engrais. 

«Quelle que soit la base des fumiers, dit un auteur 
» moderne qui a écrit sur l’agricullure, son mélange 
» avec les déjections des animaux domestiques dé- 
» termine bientôt une fermentation qui se manifeste 
» par une vapeur ou espèce de fumée , d’où tout 
» donne à penser que lui vient son nom de fumier,» 

Les fumiers de bestiaux conviennent également 
bien à tous les terrains. Toutefois il en est qui ont 
une vertu particulière qui exerce plus ou moins d’ac- 
tion et d'influence selon la nature des productions 
ou des terrains auxquels on les applique. Aïnsi, pour 
réchauffer et ranimer les terres froides et humides 
où l’on cultive ordinairement le lin et le chanvre, 
il sera plus utile d'employer le fumier de mouton 
que celui de vaches, dont la fraîcheur , l’humidité 
et l’onctuosité conviennent mieux aux terrains sa- 
blonneux et arides: de mème le fumier de cheval 
dont la paille de blé aura fourni la litière, et dont la 
nourriture aura été composée d'avoine et de bon 


— 177 — 


foin, produira des effets plus merveilleux que tous 
autres engrais sur les prairies argileuses dont il sti- 
mulera la fertilité par sa chaleur active et vivifiante. 
| IT. 
Du parcage des moutons. 

Le parcage des moutons sur un terrain, est un 
mode d’amendement dorit les résultats sont des plus 
satisfaisants. Il importe donc de l’employer, toutes 
les fois que l’état de la saison, du temps ou de la 
température ne s’y oppose pas. Il est en effet re- 
connu que le fumier de ces animaux est des plus 
énergiques et que sa vertu fertilisante l'emporte de 
beaucoup sur celle des engrais produits par la litière 
des bestiaux. Quant à la durée du parcage , c’est à 
l'intelligence du cultivateur à la régler d’après l’état, 
la nature, et les besoins de la terre ; on conçoit, qu’il 
est impossible de tracer des règles fixes à cet égard, 
cela varie du plus au moins selon les circonstances 
particulières où l’on peut se trouver. Toutefois il 
importe, lorsque le parc est levé et que le troupeau 
a quitté définitivement le sol, de ne pas négliger d’y 
faire effectuer de suite un labour pour donner à l’en- 
grais les moyens, en pénétrant dans la terre , d’y 
exercer plus efficacement son action ét surtout pour 
ne pas s’exposer à en voir perdre les effets en le lais- 
sant s’évaporer inutilement, 
: III. 

De la fiente des volatiles. 

La fiente des volatiles, notamment celle des pi- 

geons et des poules, est un engrais dont la puissance 


23. 


_— 178 — 
et les effets sont depuis long-temps éprouvés et re- 
connus. Cet engrais stimule particulièrement les 
terrains froids et humides où il est répandu , en ÿ 
déposant des principes de chaleur qui les raniment 
et y ramènent la fécondité. 

Le mode de préparation de cet engrais consiste à 
neltoyer, chaque mois, les colombiers ou poul- 
Jaillers et à réunir la fiente qu’on en retire en un tas 
séparé des autres fumiers dansun coin de la cour et 
à la laisser ainsi se reposer. Lorsque l’époque de s’en 
servir est arrivée, ce qui a ordinairement lieu au prin- 
temps, on réduit en poudre cette substance, qui est 
alors moins compacte, et on la dissémine avec pru- 
dence sur les prairies artificielles, les blés, les ver- 
dures ou enfin sur les terres qui ont besoin d’être 
fouettées par le stimulant et l'énergie de cet engrais. 

[V. 
Des urines. 

Parmi les engrais dont la vertu est la plus active 
et la plus fertilisante, on peut aussi ranger les urines 
des hommes et des animaux. Combien, dès lors. 
n’a-t-on pas à regretter de voir la plupart des cul- 
tivateurs négliger le soin de les recueillir et perdre 
ainsi, par leur incurie ou leur aveuglement, le moyen 
d'augmenter la fertilité de leurs champs. On ne sau- 
rait donc trop leur recommander d’imiter l’exemple 
des Flamands et de la plupart des fermiers du nord 
de la France qui, depuis très long-temps , ont la 
louable habitude d'employer les urines comme en- 
grais. La méthode dont ils se servent pour les uti- 


— 179 — 


liser, consiste à recueillir les matières déjectionnelles 
dans des espèces de citerne et à les répandre ensuite 
sur la terre où elles produisent un effet merveilleux 
à cause du mucilage et de l'abondance des sels et 
des propriétés fécondantes qu'elles contiennent. À 
voir l'indifférence d’un grand nombre de cultiva- 
teurs pour les engrais liquides, on serait presque 
tenté de penser qu'ils n’en connaissent pas la puis- 
_sance ni les bons effets. Cependant les faits sont là 
pour leur en démontrer chaque jour les vertus ferti- 
lisantes. Espérons donc que l’honneur des champs 
ne sera pas toujours sourd à la voix de la raison et 
que les préjugés de l'ignorance et de l’habitude , fi- 
niront par disparaître pour faire place aux véritables 
pratiques utiles établies et fondées sur les lumières et 
l'expérience. NN 
V. 

Des composts. 

On désigne ordinairement sous le nom générique 
de composts des amas de substances et de matières 
animales ou végétales amalgamées ensemble de ma- 
nière à produire, par leur décomposition et leur fer- 
mentation, un engrais particulier qui, par la com- 
binaïson des différents principes qui le composent, 
possède la vertu d'achever et d'accélérer le travail 
de la nature pendant le phénomène de la végéta- 
tion. | 

Les fumiers manquent quelquefois aux cultiva- 
teurs, et 1l arrive souvent que par suite de cette di- 
sette d'engrais, la plupart de leurs champs n'étant 


— 180 — 


pas fumés ou ne l’étant pas suffisamment , ne don- 
nent que des productions médiocres. Il faut le dire 
avec vérité, si par fois les cultivateurs manquent des 
engrais nécessaires, c’est souvent à eux-mêmes qu'ils 
doivent en imputer la faute en laissant perdre, sans 
en tirer parti, une foule d'ingrédients, qui, s'ils 
étaient réunis en composts et combinés par couches 
alternatives avec des fumiers de bestiaux, produi- 
raient, par leur décomposition corrélative et par les 


principes dont ils se pénétreraient réciproquement, : 


un engrais excellent , dont l’énergie et les effets se- 
raient, sans contredit, plus puissants et plus actifs 
que si chacun de ces ingrédients était employé iso- 
lément et séparément. l'expérience et les faits sont 
encore là pour attester cette vérité. 

Il y a différentes méthodes de préparer des com- 
posts , nous nous bornerons à indiquer celle qui 
nous paraît la plus simple et la plus facile. Elle con- 
siste dans la pratique suivante : jeter dans un fossé 
ou sur un terrain plat, un lit d'environ 4 à 5 pouces 
d'épaisseur, couvrir immédiatement ce lit de fumier 
par une couche égale de terre, d’immondices, de li- 
mon ou autres matières végétatives. Arroser et im- 
prégner Je tout avec des engrais liquides, tels que 
l’eau savonneuse des lessives, l’eau des mares, ou 
des urines d'hommes ou d'animaux. Saupoudrer lé- 
gèrement chaque couche avec de la chaux éteinte ; 
augmenter successivement le tas du compost en fai- 
sant succéder alternativement à un lit de fumier une 
couche d’autres substances animales ou végétales 


d — 181 — 


que l’on peut avoir à sa disposition , telles que la 
terre , les boues et les balayures des rues des vil- 
lages ou des chemins, les gazons, la vase et le limon 
provenant du curement des fossés, ruisseaux, mares 
ou étangs , les débris des animaux, les cendres, la 
suie, la marne, les feuilles d'arbres, etc., recouvrir 
la masse totale du compost avec une couche de terre 
ou de gazon pour y maintenir d'autant mieux les 
matières liquides , empêcher l’évaporation de leurs 
principes volatils et entretenir la fermentation etla 
décomposition des différentes matières combinées 
ensemble. Telle est la manière d'obtenir un engrais 
dont l’action et la puissance produisent sur les terres 
d'étonnants et de magiques efféts. 

Le temps pendant lequel les substances que l’on 
fait entrer dans les composts doivent rester en tas 
ayant d’être ulilisées, varie selon le plus ou le moins 
de disposition à se décomposer et aussi selon que le 
compost est plus ou moins volumineux, mais ordi- 
nairement le temps nécessaire est en général de six 
mois à un an. 


CHAPITRE 3. 
DES JACHÈRES. 
| G 1°, 
De la suppression des jachères et de leur remplacement 
par des productions utiles. 


hat ts 


L'expression jachère, vient du mot latin jacere , 
qui signifie reposer, parce que l’on suppose que la 


— 182 — ° 

terre , dans l’état de jachère , c’est-à-dire de non 
production,-éprouve du repos et répare ses forces. 

Aïnsi, d'après sa définition même, la Jjachère ser. 
virait à laisser la terre improductive en repos. Etrange 
abus des mots. En effet, la terre est-elle un être 
animé suscepüble de lassitude et de fatigue, pour 
avoir besoin de recouvrer dans le repos, des forces 
épuisées par le travail ? Non, sans doute ; ce mot de 
repos est donc ici une expression vide de sens que 
le cultivateur applique par comparaison sans la com- 
prendre. Il sait que son corps, harassé par un la- 
beur pénible, a besoin d’une inaction momentanée 
pour revenir à son état naturel, et il dit : « La terre 
» travaille en produisant, il faut donc la laïsser re- 
» poser si nous voulons qu’elle travaille de nouveau 
» et produise encore. » Ce n’est point par lassitude 
que le sol qui a produit du froment une année, n’en 
fournit plus avec autant d’abondance l’année sui- 
vante ; la cause ne vient point de là : elle provient 
de ce que le sol ne contient plus assez de principes 
végétatifs pour satisfaire aux besoins de la nouvelle 
plante et que dès lors la terre éprouve la nécessité 
de les recomposer; mais les principes nutritifs que 
chaque plante soulève de la terre, ne sont point 
identiques. — La plante qui a quitté le sol, n’a pu 
attirer à elle que les sucs qui lui étaient propres, 
sans altérer ceux qui lui étaient inutiles, et qui, par 
cela même, peuvent convenir à une plante d’une 
autre espèce. Eh bien, substituez-y cette plante à 
qui ces principes fécondateurs conviendront ? Voilà 


— 183 — 
en quoi consiste toute la science qui doit conduire 
le cultivateur à pouvoir s'affranchir ovec succès du 
système des jachères, 

La terre combat elle-même victorieusement le 
système des jachères, puisqu'il est de vérité que mal- 
gré l’état d'abandon où ce système la laisse, elle ne 
produit pas moins une multitude de plantes vivaces 
avec une abondance étonnante. Cela prouve donc 
mieux que tous les raisonnements, que la terre ne 
peut pas cesser de produire, et que, d’après le vœu 
de la nature , il faut qu’elle produise continuelle- 
ment et sans interruption; tout le secret, pour avoir 
d’heureux résultats, consiste seulement à savoir har- 
moniser les productions avec l’état, la nature et les 
besoins du terrain. : 

L'infertilité de la terre ne vient pas de la conti- 
nuité des productions qu’on exige d'elle, mais des 
procédés irréfléchis de culture auxquels on la sou- 
met. Ce n’est donc point par l'effet d’une produc- 
tion permanente et non interrompue, qu’elle cesse 
à la fin de produire, mais par l’effet d’une culture 
mal entendue, mal dirigée et mal appropriée. Ge 
qui prouve que c’est une erreur de laisser la terre 
en jachères, pour ne point la fatiguer par une suite 
continuelle de productions, c’est que dans cet état 
de jachères, la terre ne cesse pas un seul instant de 
produire ; en effet, elle fait éclore spontanément des 
herbes et des plantes parasites et gourmandes ; elle 
produit done, elle ne cesse donc jamais de produire ; 
il y a plus, c’est que ce que la terre produit alors 


— 184 — 

l’épuise davantage, parce que la nâture des plantes 
sauvages est d’être plus voraces, plus funestes au 
sol, par conséquent plus épuisantes que les plantes 
cultivées. | ‘ 

-- Tn’y a point, il ne peut jamais y avoir réellement, 
épuisement ou perte de forces pour la terre , par 
l'effet seul de la production; mais plutôt absence 
ou déperdition de sucs et de sels nécessaires à la vé- 
gélation et à l'accroissement des plantes. Il suffit 
donc de rendre au sol, par le moyen des travaux 
aratoires et des engrais, les pertes qu’il a pu faire 
sous ce rapport, pour lui restituer son état normal 
de fécondité. 

Ce n’est point à la nature seule qu’il convient dé 
laisser le soin de réparer l’infécondité momentanée 
de la terre , c’est aussi à l’homme qu'il appartient 
principalemient d’y pourvoir au moyen des éngtais. 

Il est incontestable que la culture alterne a des 
avantages infinis et incontestables sur le système 
des jachères; il suffit, pour s’en convaincre, de com- 
parer l’état actuel des campagnes, dans les cantons 
où cette culture est adoptée, avec celui où elles 
étaient lorsque la pratique des jachères y était ob- 
servée. 

La suppression des jachères fournissant plus de 
ressources pour assurer l'existence des animaux do- 
mestiques attachés à l’économie rurale, donne la 
faculté et les moyens d’en multiplier le nombre et 
d'augmenter la masse des engrais, il y a donc source 
inévitable de richesses pour le cultivateur. 


— 185 — 


On ne peut se dissimuler que depuis une cin- 
quantaine d'années, il est entré dans le nouveau sys- 
tème d’assolement introduit dans l’économie rurale, 
une foule de plantes qui, auparavant, n'étaient point 
livrées à la culture ; nul doute que l'introduction de 
ces nouveaux végétaux n'exige une autre combinai- 
son de culture que l’ancienne; par conséquent, de 
puissants motifs de proscrire le système des ja 
chères. 

Intercaler avec réflexion et discernement dans 
les assolements, des cultures sarclées , des prairies 
artificielles, des plantes fourragères el améliorantes, 
telle est la principale méthode à suivre pour tirer le 
parti le plus avantageux du système de suppression 
absolue des jachères. Tel est le seul moyen d'aug- 
menter la masse des produits par la facilité que 
celte méthode procure de pouvoir, par l'entretien 
d’un plus grand nombre de bestiaux, mieux en- 
graisser les terres et par conséquent les maintenir 
dans un état perpétuel de fertilité et de fructifica- 
tion. … 

Maintenant que nous avons démontré que le pré- 
tendu repos de la terre, est un mot vide de sens, un 
préjugé aussi absurde quenuisible, faisonsdes vœux 
pour voir accueillir partout avec faveur le système 
de la suppression absolue des jachères. Faisons ces 
vœux et dans l'intérêt des cultivateurs et dans celui 
de l’agriculture elle-même, car elle ne fleurira réel- 
lement en France que lorsque dans toutes les loca- 
lités l'instruction et les lumières auront fait univer- 


2h. 


— 186 — 
sellement adopter et mettre en pratique ce principe 
fondamental de l’économie rurale, plus de jachères. 


S 2. 


Des modes d’assolement les plus avantageux dans la 
succession des culiures qui excluent les jachères. 


La principale étude d’un cultivateur doit avoirsans 
cesse pour objet de n'adopter et de ne mettre en 
pratique que les méthodes de culture, qui, joignant 
la simplicité et la célérité des travaux à une sage 
économie de temps et de dépenses, sont le plus sus- 
ceptibles de lui fournir les productions tout à la fois 
les plus utiles et les plus abondantes, | 

Pour arriver à ce but, il importe de bien se péné- 
trer de l’action que peuvent exercer sur le sol, les 
différentes plantes qui lui sont soumises, et par con- 
séquent, coordonner la succession des cultures de 
manière à ce que la plante qui succède, trouve dans 
les résidus délaissés sur le terrain, par la plante qui 
l’a précédée, des éléments de fertilité et de fructi- 
fication. 

Il est essentiel aussi de combiner les travaux de 
manière à ce qu’ils puissent être successivement faits 
en temps utile sans confusion ni encombrement; | 
enfin, d'éviter de faire arriver dans un même mo- 
ment toutes les récoltes à la fois, afin de ne pas en 
compromettre le succès. 

Il est démontré, par des faits incontestables, que 
la terre ne suffit pas seule pour donner la vie aux 
plantes et entretenir leur végétation. L’atmosphère 


— 187 — 


est aussi la source où elles puisent les éléments né- 
cessaires à leur existence. Ce qui le prouve , c’est 
qu'une plante privée d’air et d'eau, périrait infaïlli- 
blement desséchée sur sa tige. Les végétaux, em- 
pruntent donc leurs principes élémentaires, tout à 
la fois à la terre et à l’atmosphère. Ces emprunts, 
ne sont pas dans une proportion égale , il est des 
plantes qui puisent davantage dans l’atmosphère que 
dans la terre , d’autres au contraire sont plus rede- 
vables à la terre qu’à l’atmosphère. 

Les plantes dont les feuilles sont larges, Doreubes 
et herbacées, trouvent plus abondamment dans l’at- 
mosphère les principes nutritifs nécessaires à leur 
alimentation ; elles sont moins onéreuses à la terre 
que celles dont les tiges serrées et les racines fi- 
breuses et chevelues ont de nombreux points de con- 
tact avec le sol et y puisent par conséquent davan- 
age. | 

Ce n’est point assez pour le cultivateur d’avoir, 
par ses travaux et par ses soins, mis son terrain dans 
" un état de netteté et d’ameublissement convenables, | 
il n’est pas moins important qu’il combine ses cul- 
tures, de manière à lui conserver ces précisuses qua- 
lités. Il doit donc s'attacher, après une récolte épui- 
sante et de nature à souiller le terrain, telle que 
celle du froment, de l’avoine, de l'orge et du seigle, 
à faire succéder des plantes, qui, par les sarclages 
et les travaux annuels qu’elles exigent, soient sus- 
ceptibles d’extirper du sol les germes et les racines 
muisibles dont il a pu être souillé; on conçoit en 


— 188 — 


effet que si à des végétaux qui détériorent la terre, 
on n'en faisait pas succéder. d'autres de nature à 
l'améliorer, tels que des œillettes, des bette- 
raves, des pommes de terre, des navets, etc., on 
s’exposerait à n'avoir successivement que de ché- 
tives récoltes, parce que les racines des plantes nui- 
sibles ont la faculté de conserver long - temps leur 
vertu végétative, I] importe donc de se conformer 
aux meilleurs principes d'agriculture, en imitant 
l'exemple des cultivateurs du nord de la France, qui 
sont dans l’usage de faire succéder aux récoltes de 
grains farineux, celles des fourrages et autres plantes 
améliorantes, qui, par leur nature, exigent des sar- 
clages et des manutentions dont l'effet est de dé- 
foncer le terrain, de l'ameublir, de le nettoyer, en 
un mot, de l’améliorer. 

Une attention importante que doit avoir le culti- 
vateur, c’est de ne pas faire succéder les mêmes vé- 
gétaux sur le même terrain. Il faut donc éviter de 
faire suivre, pendant deux ou plusieurs années de 
suite , des plantes de mème espèce ; d'abord parce 
que ces plantes ayant toujours besoin des mêmes 
principes alimentaires, ne les y trouveraient plus 
avec assez d’abondance, et que d’un autre côté, on 
y verrait pulluler avec plus de force les msectes nui- 
sibles qu’elles engendrent , tandis qu'au contraire, 
la présence d’autres végétaux avec lesquels ils ne 
pourraient sympathiser , les verrait bientôt dispa- 
raître infailliblement. 

L'expérience et les faits démontrent que les cé- 


— 189 — 


réales ou grains farineux, ont des racmes chevelues, 
déliées et très rapprochées, qui, par leur contact 
entr’elles, entreprennent toute la surface du sol et 
en soutirent les principes nutritfs daris toutes ses 
parties. Il n'en est pas de mème des végétaux à ra- 
cines pivotentes, ceux-ci ne sont point adhérents 
entr’eux, ni pour ainsi dire, attachés l’un à l’autre. 
Il existe entre leurs intervalles des espaces libres qui 
conservent leur engrais; d’ailleurs, l'isolement de 
leur racme, l’espèce de labour qu’effectuent les di- 
vers sarclages que leur culture exige, sont aussi des 
causes qui contribuent puissarnment à neutraliser 
l’épuisement dont la terre se ressent plus ou moins 
dans la production des végétaux qui ne réclament 
oint cette manutention. Leur végétation est active 
et accélérée, elle est dès-lors peu onéreuse à la terre. 
Toutes ces considérations ne laissent point de doute 
sur les avantages incontestables que l’on obtent à 
savoir intercaler judicieusement dans la culture des 
plantes à racines fibreuses et déliées, telles que les 
céréales, celle des végétaux à racines pivotanties, tels 
que les œillettes, le colza, les warats, les betteraves 
et autres de même espèce. Il ne faut pas non plus 
perdre de vue qu’il est de principe, en économie ru- 
rale, que les terrains unis et d’un travail facile, ad- 
mettent préférablement la culture des plantes légu- 
mineuses, fourragères et oléagineuses. De même que 
les prairies artificielles conviennent mieux aux ter- 
rains rebelles. - | e— 
En résumé, les plantes qui offrent le plus d'avan- 


— 190 — 

tages pour entrer dans les assolements et remplacer, 
avec profit et utilité, les ruineuses et improductives 
jachères, sont principalement le trèfle, la betterave, 
l'œillette, le sain-foin, la luzerne, les warats, les 
pommes de terre, la camomille, le chanvre, le lin, 
le colza. Au moyen de ces cultures, la campagne ne 
présentera plus le triste spectacle de l’aridité et de 
la nudité. La terre, constamment couverte de riches 
moissons, offrira un aspect animé et riant, et le cul- 
tivateur qui verra tout à la fois améliorer ses champs 
et augmenter la masse de ses produits, rendra de 
justes actions de grâces à la nature, qui ne laisse 
jamais sans récompense sa constance, ses efforts et 
ses utiles travaux, 


CHAPITRE 4. 
DE LA CULTURE DES GRAMINÉES: 
6 1.* 
Du ble ou froment. 

La culture du froment réclame tous les soins du 
cultivateur, à cause de son importance et de son uti- 
lité pour la nourriture de l’homme. En général les 
terres fortes bien préparées par des labours et des 
hersages et convenablement pourvus de bons en- 
grais, sont les plus favorables à la propagation de ce 
grain de première nécessité ; maïs autant que ce vé- 
gétal se plaît dans les terres substancielles et qui ont 
de. la consistance, autant il redoute celles qui sont 
trop meubles ou trop légères, et surtout qui ne sont 
pas bien nettoyées. La netteté du sol étant une con- 
dition essentielle pour la réussite de cette plante, il 


— 191 — 
importe de ne la faire succéder qu’à des cultures 
amélicrantes et préparatoires, telles que celles des 
plantes pivotantes ou des prairies artificielles. Ce 
serait en effet s’exposer à compromettre le succès 
d’une récolte en blé que de la faire suivre ou précé- 
der par une culture de grains farineux. 

On distingue ordinairement les froments en blé 
de mars et de saison, les premiers se sèment au prin 
temps et les autres en automne. Ceux qui sont con- 
fiés à la terre dans cette dernière saison donnent en 
général des produits avantageux et des épis abon- 
dants en grain, lorsque la semaison a été faite de 
bonne heure sur un terrain propice et par un temps 
favorable. La récolte en est aussi beaucoup plus pré- 
coce; de là le proverbe : plus tôten terre, plus tôt 
hors de terre. | 

Le choix de la semence n’est pas sans influence 
sur le succès des récoltes ; il importe de n’employer 
que des grains bien mûrs et de bonne qualité, comme 
cela est d'usage chez les cultivateurs éclairés et pru- 
dents, de renouveler successivement les semences et 
surlout de les purger de toutes autres semences 
étrangères et nuisibles. On parvient à ce résultat en 
bien préparant les semences et en les soumettant à 
l'opération du chaulage, qui a pour objet non seu- 
lement de préserver les grains des effets de la carie, 
de la rouille ou du charbon, mais encore de faire 
périr les germes d'insectes qui pourraient y être at- 
tachés. 

La méthode d’ensemencement la plus usitée dans 


— 192 — 


le nord de la France, est celle qui se fait à la volée. 
Il est essentiel*de bien éparpiller la semence et d’a: 
voir soin de la disséminer sut le terrain le plus éga: 
lement possible. Dès que l'ensemencement est opéré, 
il convient de faire passer la herse sur le terrain, 
afin de raffermir la terre, et de bien y enchausser le 
grain. C’est pour le blé comme pour toutes les autres 
plantes, le complément nécessaire de l’ensemen- 


cement. 
| $ 5. 
Du seigle et du méteil. 

Le seigle peut être considéré commie tenant rang 
immédiatement après le blé parmi les grains fari- 
neux destinés à la nourriture de l’homme. Sa tige 
s'élève souvent à une hauteur de 5 à 6 pieds, ses épis 
et ses grains sont plus longs, plus minces et PE eff. 
lès que ceux du froment, | 

Cette plante, dont les tuyaux sont plus déliés et 
plus flexibles que ceux des autres graminées, est 
d’une végétalion active et accélérée. Tous les terrains, 
même les plus ingrats et les plus arides, lui convien- 
nent, et on la voit fructifier avec succès sur des sols 
de médiocre qualité. : 

Le seigle, parvenant à son état de maturité beau- 
coup plus promptement que les autres grains, ne 
redoute pas autant l'influence préjudiciable des 
chaleurs ou des grandes sécheresses de même qu'il 
résiste à un dégré d'intensité de froid qu'ils ne 
pour raient pas supporter. 3 

‘La culture du seigle a la plus grande M 


— 193 — 


avec celle du froment ; comme il a besoin d’une 
terre préalablement préparée par des labours et 
amendée par des engrais, deux labours peuvent or- 
dinairement lui suffire, et même quelquefois un 
seul, lorsque le végétal auquel il succède, est de la 
nature de ceux dont la culture a exigé des sad 
et des binotages. | 

Les cultivateurs font un sernis de seigle mélangé. 
avec le blé pour en obtenir une production qui 
prend alors le nom de méteil; mais on ne peut se 
dissimuler que cette méthode n’est pas sans incon- 
vénient, par la raison que la maturité de chacun de 
ces grains ne s'opérant pas et ne pouvant pas s8’o- 
pérer en même temps, il en résulte qu’à l’époque 
de la fauchaison, l’un est souvent trop mûr et l’autre 
pas assez. 

Le seigle est une ressource des plus précieuses 
pour le cultivateur par la facilité qu'il lui donne de 
pouvoir s’en servir comme d'un fourrage vert et 
abondant pour ses bestiaux à une époque où aucune 
autre plante ne peut en fournir. Cet avantage est 
inappréciable, aussi cette culture mérite-t-elle de ne 
pas être négligée. 

De mème que le blé, il y a deux variétés de seigle, 
lun de mars et l’autre de saison. La méthode de les 
cultiver, de les semer et de les récoller , est identi- 
quement la même que celle que nous avons indi- 
quée à l’article froment. Il suffit de s’y reporter , et 
nous nous dispenserons d'entrer, à cet égard, dans 
des répétitions oiseuses, seulement nous ferons re- 

25. 


— 194 — 


marquer qu’il convient de ne pas attendre, pour fau- 
cher le seigle, qu'il soit parvenu à sa plus complète 
maturité, parce que ce serait s’exposer à le voir s’é- 
grener facilement et par conséquent & à une perte iné- 
vitable de grains. 

Les semis du seigle de saison s'effectuent ordinai- 
rement vers la mi-septembre, l’épi se forme vers la 
fin d'avril ou le commencement de mai, la récolte 
a souvent lieu quinze jours à trois semaines avant 
celle du froment. La paille de seigle étant plus co- 
riace et plus flexible que celle des autres graminées, 
est souvent employée avec avantage pour servir de 
liens. 

. Le seigle est particulièrement sujet à une maladie, 
connue sous le nom d’ergot , notamment dans les 
années où il survient des pluies continuelles qui lui 
sont extrêmement nuisibles et préjudiciables ; il 
convient, pour l'en préserver, de le soumettre, 
comme le froment, à l'opération du chaulage. 
3. 

De lOrge. 

L'orge est un grain pointu et piquant, gros du 
milieu, dont l’épi est barbu, il en existe plusieurs 
variétés. Les principales sont l'orge proprement dite, 
l’escourgeon et la pamelle dont le grain est plus 
petit. 

L’orge et la salle se plaisent, comme le seigle, 
sur toutes les espèces de terrains et profitent égale- 
ment sur les terres légères de médiocre qualité, 
comme sur les terres fortes. Il n’en est pas de même 


— 195 — 


de l’escourgeon, qui est un grain d’hiver, ou au- 
trement dit de saison. Cette espèce est plus exi- 
geante et ne profite que dans des sols substan- 
tiels et fertiles, améliorés par de bons engrais et 
convenablement défoncés, préparés et ameublis par 
le nombre des labours et autres travaux aratoires 
nécessaires. L’escourgeon ne craint pas les gélées, 
ni les rigueurs de l'hiver, et peut fournir, au prin- 
temps, plusieurs coupes de fourrages dont les bêtes 
à cornes sont très friandes. La pamelle pousse avec 
une rapidité étonnante. Il lui suffit souvent de trois 
mois pour parcourir-toutes les périodes de sa végé- 
tation et parvenir à sa maturité. Semée ordinaire- 
ment en mars, on peut la récolter dans le courant 
de juin, maïs il n’y aurait pas d'inconvénient à dif- 
férer son ensemencement jusqu’au mois d'avril ; elle 
offre alors le précieux avantage de pouvoir remplacer 
les seigles et autres grains d’hiver qui n’ont pu être 
substitués en automne à une récolte faite trop tar- 
divement. | | 

L'orge succède avec avantage à la culture des 
planles pivotantes sarclées, telles que les betteraves, 
les œillettes , les colza, les warats et autres sembla- 
bles. Il n’est pas moins profitable. de l’amalgamer 
avec le seigle, le trèfle, la luzerne et le sain-foin. 

Toutes les orges, comme les autres graminées qui 
ont des racines fibreuses , chevelues et déliées qui 
embrassent toute Ia surface du sol qui les soutient, 
sont épuisantes et absorbent avec intensité les sucs 
nutritifs de la terre. 


— 196 — 


Ce grain étant sujet à la maladie connue sous le 
nom du charbon, surtout dans les terrains froids et 
humides, il devient utile et profitable de se confor- 
mer aux principes d’une bonne culture en Île sou- 
mettant avant l’ensemencement à l'opération du 
chaulage. 

4. 
_ De l’Avoine. 

L'avoine est une plante dont le cultivateur retire 
les plus grands avantages par l’emploi qu'il fait de 
ce grain pour nourrir ses chevaux, dont la coopéra- 
tion lui est chaqüé jour d’un si grand secours dans 
l'exercice de ses travaux. 

Gette plante aime, comme le froment, les terres 
fortes et substantielles qui ont de la consistance, 
mais elle préfère toutefois celles qui sont plus hu- 
mides que sèches, parce que la fraicheur est favora- 
ble à sa racine. On la voit souvent prospérer avec 
succès après le trèfle, la luzerne ou le sainoin, 
mais on doit éviter de la faire succéder à une récolte 
de grains, pour ne pas s’exposer à voir le sol s’é- 
puiser et se couvrir d’une foule de plantes qui ne 
peuvent que lui être très préjudiciables. 

L'avoine a besoin d’eau, aussi ce qui lui nuit le 
plus et la fait languir sur sa tige, c’est la trop grande 
sécheresse. L'expérience de cette vérité n'est pas 
nouvelle, elle date de loin, puisqu'Olivier de Serres, 
le patriarche de notre agriculture, disait de son 
temps : les avoines, fèves et pois sont les grains qui 
désirent le plus l’eau. 


— 197 — 


La culture de l'avoine n’exige pas des soins bien 
 assidus de la part du cultivateur. Dès qu'il a confié 
la semence à un terrain convenablement labouré , . 
nettoyé et préparé pour la recevoir, il peut espérer 
de la voir réussir, pourvu que de trop grandes cha- 
leurs ne viennent pas, par leur action dessiccative, 
arrêter la marche de la sève et par suite paralyser 
la végétation et le développement de la plante. | 

Indépendamment de l'avoine commune, on dis- 
tingue encore deux autres espèces d'avoine, l’une 
dite avoine noire, l’autre dite avoine blanche ou de 
Hongrie. L’ensemencement de ces différentes sortes 
d'avoine, se fait ordinairement dans le courant de 
mars ou d'avril. Il n’est pas indifférent , lorsque la 
plante est sortie de terre à une hauteur d'environ 
5 ou 4 pouces, de soumettre le terrain à l'opération 
du rouleir pour rechausser le pied de la üge, briser 
les mottes de terre, rendre le sol plus uni et facihter 
le travail du fauchage que l’on pratique ordinaire- 
ment le matin et le soir, parce que c’est le moment 
oùla paille, humectée par la rosée, est moins Cas- 
sante et plus facile à couper. : 

Il existe, parmi un grand nombre de cultivateurs, 
un usage ou plutôt un préjugé nuisible, contre le- 
quel on ne saurait trop s'élever, c’est celui de lais- 
ser l’avoine fauchée, pendant une quinzaine de 
jours sur le sol, afin que le grain se pénètre, d'hu- 
midité et augmente de volume ; c'est ce que vulgai- 
rement on appelle avoiner. Cette pratique est d'au- 
tant plus vicieuse que la perte de grains qui résulte 


— 198 — 


nécessairement de l’égrenage que les épis éprouvent 
par leur trop long séjour sur la terre , est évidem- 
ment bien supérieure au profit imaginaire que l’on 
pourrait espérer d’en retirer. Du reste, il est reconnu 
que lorsque le grain est à peine battu de quelques 
semaines , il reprend son volume ordinaire et na- 
turel, de sorte que c’est sans aucune utilité que les 
cullivateurs s’exposent aux chances du mauvais temps 
qui peut survenir et gâter toute leur récolte. 


$ 5. 


De l’ensemencement des grains et des avantages qui 
résultent de l’emplot du semoir-mécanique. 


Il est reconnu que le plus ou le moins d’abon- 
dance des récoltes tient principalement à la méthode 
de l’ensemencement ; la pratique la plus usitée à cet 
égard est celle du semis à lamain; mais quelleque 
puisse être l’habileté du semeur à la volée, il est im- 


possible que le grain puisse être réparti d'une maniè- 


re égaleet proportionnée sur toutes les parties @u sol, 
etsouvent il arrive que certaines portions d'un champ 
se trouvent trop fournies, lorsque d’autres ne le sont 
pas assez; il y a aussi, par suite de cette méthode, très 
souvent p2rte d’une partie de la semence qui, res- 
tant à découvert sur le sol, ne profite qu'aux insectes 
et aux oiseaux, ou périt par l’effet des atteintes qu'elle 
reçoit infailliblement de l’intempérie des saisons. 
Cela n’a point lieu et n’est point à craindre avec le 
semoir-mécanique, aussi ne saurions-nous trop re- 
commander l'emploi de cet instrument, non seule- 


— 199 — 


ment sous le rapport de l’économie de la semence, 
du travail et du temps, mais encore sous celui de la 
beauté et de la quantité des produits. 

Le semoir-mécanique qui répand l’engrais en 
poudre sur la semence qu’il verse dans le champ et 
qu’il espace en lignes à 8 ou 10 pouces, est un des 
instruments qui ont le plus contribué à la perfec- 
tion et à l'avancement de la culture; il est connu 
depuis plus de vingt ans et son usage s'étend de plus 
en plus. Son emploi, disons-nous, procure à la fois 
économie de semence, de main-d'œuvre et de temps, 
cela est incontestable. En effet, il faut communément 
plus de 8 litres de bled pour semer, à la volée, une 
mesure de terre, tandis qu'il suffit, de 35 à 40 litres 
avec le semoir. Cet instrument sème en un jour trois 
fois autant de terre qu'un homme n'en peut semer 
à la volée, et il résulte de son emploi que ses pro- 
duits sont plus abondants, parce que la terre en re- 
çoit un surcroît de façon, et que des sarclages pou- 
vant être pratiqués, en temps utile, avec facilité, soit 
à la main, soit même à la hoùe à cheval, à cause de 
l'espacement des lignes, les mauvaises herbes n’y 
peuvent rester en assez grande quantité pour nuire 
aux récoltes. 

Il est facile d'adapter au semoir-mécanique des 
trémies de rechange, au moyen desquelles on peut 
procéder à l'ensemencement de toutes les espèces de 
grains ou de graines grasses. Ce semoir est réelle- 
ment précieux pour la culture des plantes oléagi- 
neuses; on obtient en effet par le semis en ligne non- 


— 900 — 
seulement une économie d’un tiers dans le sarclage 
des œillettes, mais aussi plus d’abondance et de ré- 
gularité dans la récolte. 
Il existe, pour la petite culture, le semoir à Li 
instrument fait en forme de brouette, sur les bran- 
cards de laquelle est posée la caisse renfermant les 


semences, 
Ç 6. 
| De la maladie des Grains. 

On sait que les grains sont sujets à différentes 
maladies qui affectent, altèrent et gâtent leurs subs- 
tances. Les principales sont vulgairement connues 
sous le nom de nielle, de carie, de rouille et de char- 
bon; outre ces accidents communs aux céréales, le 
seigle est encore particulièrement en proie à une af- 
fection spéciale que l’on désigne sous lé nom d’ergot, 
parce que le grain qui en est atteint, porte en effet 
une espèce d'ergot qui ressemble à celui du coq. 

Quant aux causes de ces différentes maladies, on 
présume qu'elles sont produites par les brouillards, 
les exhalaisons et la malignité des terrains. On re- 
marque en effet que ces sortes d'accidents n'arrivent 
ordinairement que dans des sols malsains et hu- 
mides, et que la vapeur qui s’exhale de ces terrains, 
n'affecte et ne corrompt que la partie des tuyaux ou 
des épis, qui, d’après le mouvement et la direction 
du vent a été plus ou moins exposée à ses atleintes. 
On attribue à humidité maligne de certains brouil- 
lards, la funeste vertu de pourrir la peau du grain, 
de le noircir et d’en altérer la substance. Au surplus, 


— 201 — 

quelle que puisse être la cause de ces accidents, il 
paraît que les meilleurs spécifiques consistent dans 
de bons labours et dans des engrais convenable- 
ment appropriés aux terrains et aux productions; La 
raison en ést facile. à saisir. C’est que la plante 
qui aura puisé une bonne nourriture et aéquis plus 
de force, résistera beaucoup mieux à l'influence des 
Yapeurs malignes, que celle qui serait dans un état 
de faiblesse et de débilité. Il en est des plantes 
comme de l’espèce humaine dans des temps d'épi- 
démié, les personnes robustes sont toujours moins 
susceptibles d’être atteintes, que celles dont la santé 
est déjà altérée, 

L'expérience et l'usage ont aussi consacré plu- 
sieurs moyeris préservatifs ou curatifs de la maladie 
des grains ; le principal et le plus utile, c’est le 
éhaulage. Comme cette pratique ne peut jamais por“ 
ter préjudice au gra, et qu’elle ne peut que con- 
tribuer à activer et stimuler sa germination , nous 
ne croyons pas devoir négliger de Îa faire connaître. 
Voici cette pratique, Plonger le grain dans des cu- 
Yes ou tonneaux remplis d’eau de lessive ordinaire, 
blanchie par un lait de chaux, eñ ayarit soin de re- 
muer le grain pour qu'il soit bien imbibé : enlever 
avec une sorte d'écumoire les faux grains ou les mau- 
vaises semences que l’on voit surnager. Puis, après 
avoir laissé infuser le grain dans la saumure pendant 
quelque temps, le retirer pour le faire sécher et lé 


semer ensuite. Tel est L procédé relatif à cette opé- 
ration. 1 


26. 


— 202 — 
S 7: 

De la moisson ‘ou récolte des Céréales. | 
_ Les instruments employés dans le nord de la 
France pour opérer la coupe des céréales, sont en 
général la faulx, la faucille et la sape des flamands, 
sorte de petite faulx que l’on désigne vulgairement 

dans nos campagnes sous le nom de Piquoir. 
Lorsque les grains sont fauchés, il est d'usage de 
les mettre en javelle pour les laisser sécher et les 
transporter ensuite dans la grange; mais il arrive 
quelquefois qu’avant ou pendant ces opérations, il 
survient des vrages ou des pluies qui obligent d’in- 
terrompre et de suspendre les travaux. D’un autre 
côté, l’intempérie de la saison peut devenir telle et se 
prolonger si long-temps qu'il soit impossible de par- 
venir à faire sécher le grain, on se trouve dès lors 
exposé à le voir germer promptement sur la terre et 
à perdre, en un instant, tout ou partie de la récolte, 
Pour éviter un semblable préjudice, il convient donc, 
sitôt que le grain est fauché, d’en former de suite de 
petites meules provisoires, vulgairement appelées 
moies , composées d’un certain nombre de gerbes non 
liées. Ces gerbes étant ainsi rass emblées et recou- 
vertes d’un chaperon de paille en forme de para- 
pluie, ne peuvent plus germer , parce que les eaux 
pluviales ne faisant que glisser sur les tuyaux et se 
séchant facilement à l'air, ne peuvent exercer aucune 
action germinative sur le grain. On peut, de cette 
manière, attendre avec sécurité un temps plus favo- 
rable pour pouvoir engranger. Cette méthode a d’ail- 


— 203 — 


leurs l’avantage de donner aux épis le temps de 
perfectionner la qualité du grain. Il est un soin es- 
sentiel qu’il ne faut pas non plus négliger : lorsque 
le temps de la fauchaison est arrivé, c’est de s’assurer 
que le grain que l'on coupe est à son vrai point de 
maturité, parce qu'il est aussi nuisible de le faucher 
trop prématurément que trop tardivement. En effet 
le blé coupé trop vert est sujet à fermenter, à se 
réchauffer , à contracter un mauvais goût et surtout 
à se corrompre; d’un autre côté, si on attend trop 
long-temps à faueher le seigle, on s'expose à le voir 
verser et s'égrener. La meilleure méthode à suivre, 
est celle qui consiste à saisir à propos le bon mo- 
ment ; c'est celui que la nature indique toujours par 
des indices certains qu’il est impossible de ne pas 
. Seconnattre à la couleur dorée de la tige et des épis. 

CHAPITRE 5. 
DE EA CULTURE BES PBINCIPALES PLANTES oLÉa cn usES. 

@ 1°, 

De FOEillette. | 

Cette plante est une des premières qui, dans le 
nord de la France, a été employée pour remplacer 
les jachères. On peut donc la considérer comme 
ayant le plus concouru à leur suppression dans ces 
contrées, 

Les cultivateurs ne négligent pas, chaque année, 
de l’introduire et de l’intercaler dans les assolements. 
Hs en connaissent lès heureux effets, ils savent qu’elle 
est pour eux une source de richesses, non seulement 
par son produit lucratif, mais encore par la facilité 


3 


— 904 — 


qu’elle leur donne de pouvoir remplacer ; au prin- 
temps, les productions qui ont pu périr par la ri- 
gueur de l’hiver ou les intempéries des saisons. 

Les moyens généraux d’assurer le succès de la ré- 
colte de cette plante, consiste principalement, comme 
la plupart des autres plantes, dans les soins à donner 
à la préparation du terpgain où ce végétal doit croître 
et fructifier; choisir un sol doux et substantiel, le di- 
viser et l’ameablir convenablement par des labours 
profonds et de riches engrais sagement appropriés 
dans de justes proporlions, bien aplanir et égaliser 
la superficie du champ pour faciliter d’autant mieux 
la germmation de la semence, qui est extrêmement 
fine. Purger, au moyen de plusieurs sarclages, le sal 
de toutes herbes parasites et de toutes les plantes qui, 
par trop d’abondance et de rapprochement entre 
elles, pourraient se gêner et se nuire mutuellement. 
Hâter la végétation de la plante par un semis de cen- 
dres de houille. Telles sont les pratiques les plus 
LS et dont Fe PR chaque ; jour 
l’utilité. 

Lorsque la plante est parvenue à son état de ma- 
turité, ce qu'il est facile de connaître au flétrissement 
des feuilles et au dessécliement de la tigé, on arra- 
che les plantes de la terre, on les réduit ensuite en 
petites boîtes qu'on laisse debout, sur le sol, pour 
les faire sécher. On retire de la graine d’œillette, par 
l’effet de la pression, une huile très estimée et de fort 
bon goût, qui tient le premier rang après l'huile : 
d'olive. E s'en fait un commerce considérable dans 


— 205 — 


les départements du Nord et du Pas-de-Cakais. La 
culture de cette plante n’est donc pas moins fava- 
rable à l’industrie, qu’elle: n’est utile à l’agriculture, 
| Sa 
Du Colza. 

Le colza est. une plante oléagineuse dont l'utilité et 
les bons produits ont, depuis un certain nombre 
d'années, rendu la culture presque générale dans le 
mord de la France, où elle croît avec abondance et 
fertilité, La racine longue et pivotante du colza exige, 
comme celle de l’œillette, en sok bien défoncé, mais 
surtout ameubli avec le plus grand soin et de ma- 
nière que la terre soït rendue bien légère et bien 
friable, pour que la racine. puisse y pémétrer facile- 
ment et y puiser les sucs et les principes nourriciers 
que les engrais doivent lui fournir pour hâter sa vé- 
gétation et assurer le succès de sa récolte. 

: Quant à la nature du sol convenable & cette plante, 
il suflira de faire observer qu’elle se plait sur les 
terres fortes, compactes, humides et argileuses, sur 
lesquelles on aura eu soin de répandre des fumiers 
substantiels, onctueux, abondants en principes vé- 
gétatifs ; l'expérience a démontré que les tourteaux 
de colza délayés dans l’urine etrépandus comme en- 
grais liquide sur le terrain, produisaient le meilleur 
effet en rehaussant la fertilité du sol et en activantla 
végétation de la plante. El existe deux variétés de 
colza, l'une d'hiver, ou autrement dite de saison, 
Fautre de printemps, ou demars. Le semis du colza 
d'hiver se fait sur la fin de l'été. Lorsque la plante 


— 206 — 


est levée à une hauteur de 6 ou 7 pouces, on la 
transplante dans le courant de septembre ou octo- 
bre, sur le terrain qu'on lui destine. Cette opération 
a. besoin du concours de plusieurs personnes ; l’une 
-_ pour faire, au moyen d’un plantoir, les trous qui doi- 
vent recevoir la plante, les autres pour l’y placer. 
$ 3. 
De la Cameline ou Camomille. 

La culture de cette plante n’est point à dédaigner 
par les cultivateurs, parce qu’elle est susceptible de 
leur procurer des produits d'autant plus avantageux, 
qu’elle n'occupe le sol que fort peu de temps. En 
effet, il lui suffit souvent d’une période de trois mois 
pour parvenir à sa maturité. 

. Gette plante se plaît sur tous les terrains, même 
sur des sols médiocres, où on: la fait fructifier avan- 
tageusement; mais, comme pour toutes les autres 
plantes, il est indispensable qu'ils soient convena- 
blement ameublis par des labours et améliorés par 
des engrais. Sa culture, dans le nord de la France, 
ne remonte pas à plus de 30 ans; mais depuis lors, 
elle y a pris, d'année en année, plus d'extension, et 
elle parait devoir en prendre encore davantage, par 
la ressource qu’elle offre au culüvateur de pouvoir, 
avec elle, remplacer les récoltes que la gêlée ou l’in- 
tempérie de l'hiver a pu faire manquer. Sous ce 
rapport elle est précieuse et peut, comme l'æillette, 
être utilisée pour remplacer les jachères, puisqu'a- 
vec elle le cultivateur trouvera un produit certain là 
où le froment et le lin ne lui en donneraient aucun 


h = 207 — 
pär suite des atteintes d’un hiver rigoureux, Ainsi, 
soit comme récolte secondaire , soit comme récolte 
” supplétive de celles qui ont pu manquer, soit enfin 
comme produit lucratif, la camomille ne peut être 
qu’avantageuse et profitable aux cultivateurs qui ont 
le bon esprit de la cultiver. Toutefois, nous ne de- 
vons pas omettre de faire observer que cette plante 
est éminemment épuisante, | à 
$ 4. 
Du Lin. 

La culture du lin est en honneur parmi les culti- 
vateurs du nord de la France: elle est pour eux une 
source abondante de richesses. Gette plante exige 
pour pouvoir prospérer un sol fertile, substantiel et 
frais, bien fumé, bien défoncé, ameubli et nettoyé 
par de bons labours et dont la surface soit bien apla- 
nie et égalisée à l’aide de la herse et du rouloir. 
On obtient cependant aussi de bonnes récoltes sur 
des terres légères et-froides, mais il est indispensable 
qu’elles soient préalablement préparées par de pro- 
fonds labours et surtout stimulées par des fumiers 
fertilisants et bien consommés. 

Les semis du lin se font au printemps, il faut avoir 
soin de choisir, pour cette opération, un temps sec 
et doux, parce que trop. d'humidité lui serait défa- 
vorable. | 

Le lin qui se sème en mars et qui porte le nom de 
lin de mars, est généralement celui qui donne le plus 
de chance de réussite et qui est le plus beau. 

Le lin de mai se sème dans les terres froides et 


— 208 — 


humides qui n’ont pu être séchées et rendues pul- 
Yérulantes avant le mois d'avril. Il faut avoir grand 
soin de changer la semence chaque année, car le 
graine est très sujette à dégérérer. Dans l’assolement 
triennal, il faut éviter de semer du lin dans la même 
terre plus souvent que tous les six ans. 

Le lin réussit souvent à merveille sur un terrain 
où l’auront précédé la pomme de terre, la betterave, 
le chanvre, le trèfle, et autres plantes qui, par leur 
nature, ont la propriété de détruire les racines et les 
mauvaises herbes qui nuisent au lin, comme aussi 
d'améliorer le sol, non seulement au moyen des la: 
bours, sarclages et autres travaux aratoires qu’elles 
nécessitent, maïs encore par des résidus fertilisants 
qu’elles y abandonnent en le quittant. Cette plante 
prélude aussi, de la manière la plus favorable, à la 
culture du froment ou de toute autre céréale. 

C’est une pratique contraire aux principes d'une 
bonne culture, que de faire succéder plusieurs ré- 
coltes successives de lin sur le même terrain. Ge se- 
rait s’exposer à appauvrir le sol et le rendre infertile ; 
tandis qu’il est sans inconvénient d’alterner cette 
culture avec d’autres plantes d’une nature moins 
épuisante. Il est indispensable , lorsque le lin est 
levé, de pratiquer plusieurs sarclages pour purger 
le terrain des herbes parasites qui sont très nuisi- 
bles à la plante et peuvent porter le plus grand pré- 
judice à son développement et à sa végétation. 

Lorsque le lin est parvenu à sa maturité, on l'ar- 
. rache de la terre et on réunit les brms par poignée, 


— 209 -- 


que l’on couche sur le sol pour les faire séther. Si 
la saison est favorable, une quinzaine de jours suff- 
sent ordinairement pour opérer la dessiccation. 

On retire de la graine de cette plante une hüile 
qui est employée à la peinture. Quant à sa tige, elle 
fournit une filasse douce et luisante avec laquelle on 
fabrique des toiles fort estimées et d’une grande va- 
leur. Il s’en fait, dans:le nerd de la France, un com- 
merce censidérable. 

S- 
Du Chanvre: | 

. La culture du chanvre a beaucoap de similitade et 
d’analogie avec celle du lin: Comme lui, elle exige 
et réclame, de la part du cultivateur, la même atten- 
tion, les mêmes soins; et les mêmes travaux. L’une 
et l’autre de ces plantes sont pete d'un bon 
produit. 

. Cette plante, qui D oabit os dans 
les sols fertiles du nord de la France ; ne doit être 
_ confiée qu'aux terres fortes et substantielles, riches 
en principes végétatifs, que lindustrie du eultivateur 
doit encore rehausser au moyen d’erigrais onetueux 
et abondants en sues nourrieiers. Des labours pro- 
fonds sont de rigueur pour faciliter à la racine pi- 
votante de la tige le moyen de pouvoir bien pénétrer 
et s'enfoncer dans la terre pour y-puiser les princi- 
pes alimentaires qui lui sont nécessaires. Les autres 
travaux aratotres, tels que les hersages et roulages, 
ne doivent point non plus être négligés, ct il con- 
vient de les effectuer de manière à donner au terrain 


27 


— 910 — 


une surface plane, unie et bien égalisée. Après ces 
travaux préliminaires, on procède à l'opération de 
la semaille, qui se fait ordinairement dans le cou- 
rant de mai et peut même se retarder jusqu’au mois 
de juin. Toutefois, 1l importe de choisir, autant que 
possible, un temps pluvieux ou humide, susceptible 
d'accélérer la germination. Ce soin n’est point in- 
différent, la prompte levée de la plante devant in- 
fluer puissamment sur le résultat de sa croissance et 
de son développement. 

Après l’ensemencement, il est utile de faire passer 
Kkgèrement la herse sur le champ pour recouvrir 
seulement la semence, cette sorte de graine ne de 
mandant pas à être beaucoup enterrée. On fait im 
médiatement succéder à cette opération, celle du 
rouloir , pour raffermir le terrain , y maintenir k 
graine et hâter sa germinalion. 

Le chanvre réclame aussi, comme les autres _. 
tes à racines pivotantes, des sarclages, dont l'utilité 
est indispensable pour l’extirpation des herbes qui 
peuvent lui nuire, notamment le liseron , qui peut 
Jui faire le plus grand tort par sa disposition natu- 
relle à s’entortiller autour de ses tiges. Le mode 
qu’on emploie pour arracher le chanvre et le faire 
sécher, est absolument le même que celui dont on 
se sert pour le lin. On fait un emiploi avantageux de 
l'huile de chauvre aux arts-et à l'industrie, et la fi- 
lasse qu'on retire de sa tige, sert à fabriquer les oor- 
dages nécessaires à la marine .et à divers usages 
économiques. On ne saurait donc, sous le double 


— 914 — 


rapport du commerce et de l'agricultüre, trop en- 
courager l'extension de cette plante éminemment 
| utile. Q NÉ A 7; 
CHAPITRE 6. 2 
DE LA CULTURE DES PRINCIPALES PLANTES FOURRAGÈRES 
ET LÉGUMINEUSES, a 
se. Gare # | 
De la Pomme de Terre. 

La pomme de terre est une plante dont l'utilité 
est si importante dans l'économie domestique, qu'on 
peut la considérer comme l'une des plus précieuses 
que la nature produit. Sur la table du riche comme 
sur celle du pauvre, ellé fournit tout à la fois un mets 
agréable, substantiel, sain et nourrissant. Considérée 
également comme aliment des bestiaux, elle ne rend 
pas de moins grands services au cultivateur, en lui 
donnant les moyens de fournir aux animaux domes- 
tiques qui sont. attachés à l'économie rurale , une 
nourriture profitable, que tous recherchent avec 
plaisir. Ce précieux tubercule n’est pas difficile sur 
le choix du terrain, toutes les espèces de terre pa- 
raissent lui convenir, en exceptant toute fois celles 
qui sont compactes, froides et aqueuses. Cependant, 
il prospère plus favorablement et avec plus de succès 
sur les sols légers et pierreux, qu'il affectionne par- 
ticulièrement et où ik puise un goût plus savoureux 
et une substance plus farineuse que dans tout autre 
terrain. Îl est bien entendu, toutefois, que ses pro- 
duits ne répondront à l'attente du cultivateur, qu'au- 
tant que celui-ci n’aura pas négligé d'exécuter les 


— 219 — 
travaux aratoires, inséparables de toute bonne cul- 
ture. C'est assez dire que des labours devront être . 
effectués de manière à bien défoncer le terrain, à le 
rendre bien léger, bien friable, et bien net, et que 
l'on ne devra pas négliger de le mettre en état, par 
des engrais convenables et bien préparés, de pou- 
voir fournir à la plante les sucs nourriciers dont elle 
a besoin. Les feuilles de la tige étant fort tendres et 
sensibles à la gelée, il importe, pour les soustraire 
aux atteintes des dernières giboulées printanières, 
de ne se livrer à la plantation de la pomme de terre 
que dans le courant du mois d'avril, c’est à dire, 
lorsque l’on n’a plus à craindre l'effet des dernières 
influences de l'hiver. Le mode le plus -usité pour 
cette plantation, consiste à couper les grosses pom- 
mes de terre en plusieurs morceaux et à les placer 
dans le fond des rayons du binot, enlaissant environ 
un espace de deux pieds entre les lignes, on recou- 
vre ensuite le tout avec la herse. On procède ulté- 
rieurement, quand la plante est levée, aux sarclages 
nécessaires pour maintenir le terrain dans un état 
d’ameublissement et de netteté le plus convenable 
au succès de la végétation. 
S 2. 
De la Betterare. : | 

La culture de la betterave a pris, depuis quelques 
années, la plus grande extension, à cause de la pro- 
priété particulière à cette plante de produire un su- 
cre qui rivalise avec celui des Antilles. De nombreux 
élablissements se sont rapidement élevés pour la fa- 


— 213 — 


brication du sucre indigène , ce qui a donné une 
nouvelle importance à la betterave. On ne saurait 
mieux en faire l’éloge qu'en disant que sa renommée 
est maintenant européenne, sous le double rapport 
des immenses services qu’elle rend à l'industrie et 
de son utilité à l’agriculture. 

La betterave exige, pour prospérer, une terre forte 
et substantielle, mais il faut, par-dessus tout, que 
le sol soit profondément défoncé par les labours et 
soumis à des travaux de nature à la mettre dans un 
état de netteté et d’ameublissement qui ne laisse 
rien à désirer. Il faut aussi que des engrais onctueux 
et abondants en principes fécondateurs , aient été 
convenablement épars sur le terrain, pour donner 
plus de vigueur et d’énergie à la végétation de la 
plante. L'expérience et les faits démontrent que la 
racine de la betterave a, par sa forme pivotante, la 
propriété de pénétrer profondément le sol ; par con- 
séquent, de le diviser et de l’ameublir, ce qui pro- 
duit, par équipollence, les effets du labourage. La 
terre, à laquelle on confie la betterave , se trouve 
donc pour ainsi dire labourée d’elle-mème après 
les opégtions que nécessitent son sarclage et son 
extraction du sol, au moyen de la bèche, à l’époque 
de sa maturité ; il n’y a, dès lors, que peu de choses 
à faire avec la charruc pour assurer le succès de la 
production qui doit lui succéder, il faut donc recon- 
naître qu’on trouvera évidemment économie de tra- 
vaux, et de temps ct par cela même, économie de 
dépenses et de frais sur les opérations préparatoires 


— A4 — : 

que nécessitera la récnlte du végétal qu'on lui sub- 
stituera. Si c'est le froment, cette graminée qui 
exige particulièrement un sol bien ameubli, bien dé- 
foncé et dans un état de neltelé parfaite, trouvera 
la terre de la betterave entièrement propice à sa 
végétation ; elle se plaira sur un semblable terrain, 
et la récolte heureuse qu’elle offrira au eultivateur, 
ne laissera aucune incertitude sur la réalité de l’a- 
mélioration dont la betterave aura été la principale 
cause. Les utiles services que la betterave rend à 
l'agricullure, ne se bornent point encore là; on sait, 
en effet, que l'exploitation d’un cultivateur impose 
des besoins auxquels il doit toujours pourvoir avec 
exaclitude, Or, la nourriture des bestiaux qui, sans 
contredit, peut être rangée parmi; le premier de ces 
besoins, devient quelquefois, dans des années peu 
fertiles, un objet de difficulté et d’embarras par la 
rareté et le manque, ou la cherté des fourrages. 
Cette pénurie et ces inconvénients ne sont point à 
craindre avec la betterave, les produits de sa récolte 
viendront toujours au secours des fermiers , et leur 
fourniront sous ce rapport des ressources certaines; 
ils trouveront en effet dans cette racine un aliment 
. suffisant, pour nourrir en hiver la quantité de bes- 
tiaux dont leur exploitation exigera l'entretien. Cela 
leur sera d'autant plus facile que tous aiment cette 
racine et ia mangent avec plaisir. La graine de la 
betterave se sème dans le courant du mois de mai, 
à l’aide d’un semoir qui la dissémine sur le terrain, 
à des distances égales, 


— 215 — 
5. 
Des fèveroles ou WF arats. 

- Ea féverole ou fève des champs, est une plante 
qui fournit un fourrage eslimé , que les cultivateurs 
du Nord dé la France désignent sous le nom de 
warats, et qui ést principalement employé par eux 
pour la nourriture et la subsistance de leurs che- 
vaux. Cette plante, à tige élevée et à racine pivotante, 
aime de préférence les terres fortes et argileuses : 
surtout celles qui sont meubles et fraiches, et que 
lon a pris soin de purger des herbes nuisibles. Elle 
possède, comme Îa betterave, la propriété de bien 
défoncer, ameublir et améliorer la terre, et par con- 

séquent de la préparer de la manière la plus favo- 
_ rable au succès de la culture des plantes céréales. 
Gette vertu améliorante avait été reconnue par Ob- 
vier dé Serres. « Les fèves, a dit ce savant agro- 
» nome, engraïssent aussi les terres où elles ont été 
» semées ou recuéillies, y laissent quelque vertu 
» agréable aux froments qu’on y sème après » ; la 
pratique et l'expérience confirment en effet chaque 
jour cette opinion du patriarche de notre agricul- 
ture. Après avoir-préalablement bien disposé le ter- 
rain par des binotages et des hersages effectués 
avant l'hiver, et réitérés au printems, on sème la 
graine de fèverole au moyen d'un semoir dans les 
lignes ou rayons du binot; puis on y fait de nou- 
veau passer la herse et le rouloir, pour égaliser la 
terre et recouvrir la semence. Le semis en ligne a 
l'avantage de procurer une récolte de moitié plus 


— 216 — 


abondante que celle que l’on retire de l’ensemence- 
ment à la volée. Les warats sont aussi le meilleur et le 
plus riche produit que le cultivateur puisse espérer de 
recueillir sur un défrichement de prairies artifi- 
cielles; mais si l’on veut trouver dans ce fourrage la 
qualité la plus favorable à la nourriture des bes- 
tiaux, il faut avoir soin de le couper avant qu'il ait 
atteint son entière malurité. 

S 4 

. De la Vesce. 

La vesec est une plante dont l'utilité est reconnue 
par les cultivateurs qui trouvent dans sa culture l’a- 
vantage de se procurer pour leurs bestiaux un four- 
rage agréable ct très nourrissant qu'ils aiment éga- 
lement vert ou sec.Lorsqu'il leur estservi dans l’état 
de dessiccation, il les engraisse et les fortifie beau 
coup plus ; mais nous devons faire remarquer que 
pour parvenir à sa complète maturité, ce végétal 
épuise davantage la terre, parce que c’est alors qu’il 
y puise avec plus d'intensité, et qu'il absorbe avec 
plus d’abondance les sucs nourriciers que le sol 
renferme. Toutcfois on peut le ranger au nombre 
des plantes qui sont de nature à remplacer les ja- 
chères, en préparant favorablement le terrain à la 
fructification des céréales. 

Le mois de mars est ordinairement celui que l’on 
consacre à l’ensemencement de la vesce; mais on 
peut encore en semer en mai, ce qui est très avan- 
tageux pour les cultivateurs, dont la récolte en trèfle 
et cri luzerne a pu être peu abondante. Ils peuvent 


— 217 — 


alors trouver dans cette plante un supplément à ce 
qui peut leur manquer en fourrages d’autres espèces 
pour l'alimentation de leurs bestiaux. C'ést une res- 
source précieuse qui n’est point à dédaigner. 

Quant à la méthode de l’ensemencement, elle 
est absolument la même que celle que nous avons 
indiquée pour les warats, c’est-à-dire , le semis 
en rayons et en lignes, au moyen du semoir; cette 
pratique est préférable à tout autre, en ce que cette 
culture est non seulement plus hâtive et procure 
plus de produits, mais offre aussi une plus grande 
économie de semence, de main-d'œuvre et de temps: 

La culture de la vesce en mélange avec le seigle 
donne aussi un fourrage excellent et abondant juste- 
ment estimé des cultivateurs du nord de la France 
où 1l est plus particulièrement connu et désigné sous 
le nom d’hivernache, 


CHAPITRE 3. 


DE LA CULTURE DES PRAIRIES ARTIFICIELLES. 


6 1°. 
Aperçu sur les prairies artificielles en général. 


L’utilité des fourrages que les prairies artificielles 
fournissent pour la nourriture des bestiaux attachés 
à l’économie rurale, est incontestable, Elles sont 
atssi l’une des principales bases de l’agriculture. 
Soùs ces points de vue elles sont d’une telle impor- 
tance pour le cultivateur, qu’elles réclament toute 
son attention. 11 a besoin d'engrais pour féconder 
ses champs et leur restituer les sucs absorbés par la 


28. 


— 218 — 


production des plantes; mais comment pourrait-il 
se les procurer sans bestiaux ? Or, dans quelle fä- 
cheuse position ne se trouverait-il pas, si, par l’in- 
tempérie des saisons ou par tout autre événement 
il se trouvait dans l'impossibilité de pouvoir les 
nourrir, par le manque de foin ou des autres four- 
rages nécessaires à leur alimentation. Les prairies 
artificielles viennent alors à son secours. Ce n'est 
point le seut avantage qu'elles lui procurent, elles 
contribuent aussi à la fertilisation de ses champs, 
par la vertu qu’elles ont d'améliorer les terres, de 
les nettoyer, de les ameublir, et de les préparer fa- 
vorablement: au succès d'une bonne récolte. Tels 
sont en effet les principaux résultats satisfaisants 
qu’on peut espérer d'obtenir des prairies artificielles, 
en les intercalant avec prudence et discernement 
dans les différents assolements. 
2. 

Du Trèfle. 

Le trèfle est une des plantes que l'on peut em- 
ployer avec le plus d'utilité et le plus d'avantages 
pour remplacer les jachères par les propriétés 
qu'elle a de préparer favorablement le sol à la pro- 
duction du froment et des autres céréales. La 
facile intercalation dans les assolements lui donne 
beaucoup de prix et la rend infiniment précieu- 
sc: aussi sa culture est-elle justement appréciée 
par les cultivateurs, notamment dans le Nord de la 
France où elle est très multipliée. Ce fourrage est 
en effet d’une ressource précieuse par sa végélalion 


— 219 — 


hâtive et précoce, qui donne la facilité de le récolter 
avant tous les autres, pour servir à l'alimentation 
des bestiaux. | 

- Cette plante croit avec succès sur les terrains 
froids et argileux , parce qu’elle aime la fraicheur 
et l'humidité. Ce n’est point à dire qu'elle ne. puisse 
pour cela prospérer sur les terres légères et même 
sablonneuses, pourvu que le fond de celle-ci ne: 
soit pas trop brûlant ni trop desséché; mais il est 
nécessaire que des amendements et des engrais con-- 
venables, joints à des labours profonds et soignés, 
soient sagement administrés en temps opportun et 
viennent concourir par leur action simultanée à la 
fertilité et au succès de cette plante. 

Le printemps est l’époque ordinaire de l'ense- 
mencement du trèfle ; on le sème aussi quelquefois 
en automne, mais cela arrive plus rarement. Quoi 
qu'il en soit, dans l’un comme dans l’autre cas, on 
relire de grands avantages en le mêlant avec le blé, 
l'orge ou l’avoin? , ou en le semant sur des terrains 
déjà emblavés de ces différentes céréales. C’est une 
méthode qui est avantageuse par les bons effets que 
cette plante exerce sur les productions. Le moment 
le plus favorable pour faucher le trèfle, eat lorsqu’i} 
se trouve dans un état de floraison complète. 

Pour démontrer l’heureuse influence que la cul- 
ture du trèfle exerce sur l’accroissement du produit 
des céréales, qui sont destinées à lui succéder sur le 
sol, il suffit de rappeler ce proverbe : belle récolte 
de trèfle assure belle récolte de blé. | 


— 220 — 


Il est assez d'usage de renfouir le trèfle la seconde 
année , parce que quoique cette plante soit amélio.- 
rante, la terre semble se refuser à la porter trop 
souvent, et 1l convient même de laisser un inter- 
valle de trois ans, avant d’en resemer dans le même 
terrain. . 

La Variété, nommée trèfle incarnat ou trèfle an- 
glais, commence à être connue et appréciée dans le 
Nord de la France. Sa culture est très avantageuse, 
sa récolte très hâtive, et la seule coupe que l’on en 
obtient donne un fourrage singulièrement abondant. 
On fauche en été celui que l’on sème au printemps, 
et l’on coupe dans cette dernière saison, celui dont 
la graine a été répandue sur le chaume en antomne. 
Ce végétal se plait sur les sols légers. Il lui suffit 
d'un labour superficiel dans les terrains fermes, et 
peut même s'en dispenser, lorsqu'on le confie après 
la moisson, à une terre bien ameublie, en ayant 
soin toutefois de l’enterrer en faisant passer la 
herse deux ou trois fois. 

$ 3. 
Du Sainfoin. 

La variété du sainfoin, qui est le plus générale- 
ment cultivée dans le Nord de la France, est celle 
qui est connue sous le nom de sainfoin chaud. Gelte 
plante, comme le trèfle, offre des avantages pré- 
cieux aux cultivateurs par la bonté, l'abondance et 
la précocité de son fourrage, et par l’aisance qu’elle 
donne à pouvoir remplacer utilement la jachère, en 
opérant une notable amélioration sur les sols in- 


— QU —. 


grats où on l'intercale avec le seigle, l'orge et la pot-. 
me de terre. Il est démontré que des terrains rebelles 
et improductifs , qui n'étaient susceptibles de pro- 
duire que du seigle, sont devenus après une récolte. 
de sainfoin les sols les plus propices au succès de la 
production du froment. Gette vérité est confirmée 
par les assertions de la plupart des agronomes. 
Toutefois nous nous contenterons de rapporter l'o- 
pinion d'Olivier de Serres et de Duhamel, ces grands 
maîtres en agriculture qui toujours parlaient par 
expérience. Le premier nous apprend que le sain- 
foin vient gaiment en terre maigre et y laisse cer- 
taine vertu engraissante à l'utilité des blés qui en- 
suite y sont semés ; l’autre affirme qu’il s’accomode 
de toute sorte de terrain, à l’exception des terres 
marécageuses, et qu'un des avantages qu’on en re- 
tire est qu'il met la terre en état de produire ensuite 
du froment et du seigle. La facilité que possède le 
sainfoin de fructifier avec succés pendant plusieurs 
années consécutives sur les sols arides, est princi- 
palement dûe à la nature de sa racine qui, par sa 
constitution, est disposée à s'étendre et à s’élargir 
entre deux terres, plutôt que de pénétrer directe- 
ment dans le sol, comme celle de la luzerne qui est 
plus pivotante ; il est donc avantageux de se livrer à 
la culture du sainfoin, puisqu'il donne les moyens 
d'utiliser plusieurs années de suite des terrains in- 
grats, et par conséquent défavorables à la produc- 
tion des céréales. Voici la méthode à suivre pour 
cette culture : pratiquer sur la terre destinée au 


.… 999 — 


sainfoin des labours et travaux aratôires nécessaires 
pour bien défoncer le terrain ; ameublir la terre au 
moyen de la herse et du cylindre; :enfin semer en 
avril ou en mai, la graine de sainfoin sur avoine, 
trèfle, orge ou blé de mars. 


$ 4. 


De la Luzerne. 


La luzerne est une plante qui a tellement d’sna- 
logie avec le sainfoin qu’on la confond souvent avec 
lui; il y a parfaite similitude entre l’une et l’autre 
de ces plantes. Toutefois la tige de la luzerne est 
plus haute que celle du sainfoin. Ces deux plantes 
sont d’une végétation hâtive et accélérée, et toutes 
deux procurent avec abondance un excellent four- 
rage pour la nourriture desbestiaux; mais les mêmes 
terrains ne leur conviennent pas. La luzerne est 
plus difficile que le sainfoin. Elle ne se plait pas 
comme lui sur toutes sortes de terrains; au contraire 
elle exige, à cause de la longueur de sa racine pivo- 
tante, des sols fertiles, bien défoncés etameublis par 
des labours profonds. Quant à la méthode à suivre 
pour sa culture, elle est exactement la même que 
pour le sainfoin. | 

S 5. 
De la Lupuline. 


La lupuline que les cultivateurs du Nord de la 
France désignent sous le nom de Minette, est une 
plante bisannuelle destinée à servir de fourrage aux 
bestiaux ct principalement aux moutons. Elle a sur 


— 228 — 


la luzerne l'avantage d'offrir moins de danger pour 
l'enflure aux animaux qui en font usage. Elle vient 
facilement sur les terrains pierreux et se plait sur 
les sois argileux marneux; la lupuline se sème 
comme le trèfle au printemps avec les avoines, les 
orges et autres graminées. On peut le récolter 
deux ou trois années de suite. 


S 6. 
De la Pimprenelle. 


La pimprenelle est une plante qui fournit aux 
cultivateurs un fourrage que les bœufs et les vaches 
mangent avec plaisir et dont les moutons sont sur- 
tout fort friands. Elle est peu cultivée dans le Nord 
de la France, parce qu’elle y est peu connue. Elle a 
cependant des droits à l’attention des agronomes de 
ces contrées à cause des avantages qu’elle leur pré- 
sente dans l’emploi qu'ils peuvent en faire pour 
nourrir leurs bestiaux. Cette plante a non seulement 
le mérite de prospérer sur les sols ingrats et arides 
où l’on essaierait sans succès de cultiver la luzerne 
et le sain-foin, mais encore d'offrir aux bestiaux 
pendant les étés les plus secs, un fourrage frais et 
succulent par la propriété qu’elle possède de pou- 
voir résister aux fortes chaleurs. On voit en effet 
ses feuilles conserver encore toute leur verdure alors 
même que la plupart des autres plantes languissent 
desséchées par les ardeurs du soleil. L'introduction 
de cette plante dans la culture de ces contrées se- 
raitune innovation heureuse quine pourrait produire 


— 22% — 

que des résultats satisfaisants ; elle est digne en effet 
de prendre rang parmi les autres fourrages, car on 
pe peut se dissimuler qu’elle est susceptible de ren- 
dre de grands services et d’être d’un utile secours 
aux cultivateurs. Elle commence à être justement 
appréciée dans le département de la Somme où sa 
culture a été essayée et suivie avec succès. Elle y 
prendra indubitablement plus d'extension à mesure 
que le temps et l’expérience viendront attester ses 
bons effets et ses précieuses qualités. 


CHAPITRE 8. 
DE LA CULTURE DES PRAIRIES NATURELLES ET BES SOINS 


QU'ELLES EXIGENT. 


Le nom de prairies naturelles emporte avec lui 
sa définition. C’est celui que l’on donne aux ter- 
rains où l’herbe croit naturellement pour servir de 
pâture et de nourriture aux bestiaux. 

On distingue plusieurs sortes de prairies natu- 
relles dont chacune, selon sa nature, demande et 
exige une culture et des soins particuliers. Les 
principales sont les prairies grasses, c'est-à-dire, 
celles qui sont soumises à l’irrigation, et les prairies 
sèches, c’est-à-dire, les prés qui forment les ma- 
noirs et vergers. 


S 1. 
Des prairies grasses. 


Il en est des prairies comme des terres laboura- 
bles, tous les efforts du cultivateur doivent avoir 


— 225 — 


pour objet de retirer de sa culture le plus de pro- 
duits possibles et en meilleure qualité possible, 
pour cela il ne doit négliger aucun des travaux et 
des soins dont ses prairies sont susceptibles suivant 
leur nature, pour les entretenir et les maintenir 
dans le plus parfait état d'amélioration et de con- 
servalion. D'un autre côté, la prospérité des bes- 
tiaux dépend principalement de la qualité des her- 
bages et des fourrages dont elles se nourrissent. IL 
imporle donc de purger avec soin les prairies des 
herbes et plantes nuisibles qui peuvent exposer les 
animaux domestiques à des maladies. Le principal 
moyen d’'extirpation des mauvaises herbes consiste 
à les arracher, mais quand on n’y peut parvenir en- 
tièrement, on fait périr celles qui restent en faisant 
faucher au printems là partie où elles croissent et 
en y faisant un semis de cendres. 


Quant aux autres travaux et soins que réclament 
les prairies grasses, voici principalement en quoi 
‘ils consistent : | 

1° Pratiquer pendant le printemps et dans les 
temps de sécheresse les travaux d'irrigation néces- 
saires pour activer la végétation des herbes. Cette 
opération doit être faite avec prudence et de manière 
à ce que les prairies ne conservent que Fhumidité 
dont elles ont strictement besoin. Un trop long sé- 
jour des eaux leur serait nuisible et altérerait 
non seulement la qualité du foin, nrais encore ren- 
drait les prairies marécageuses ct les peuplerait 


29: 


— 296 — 


de joncs et de roseaux, inconvénient fâcheux et 
préjudice grave qu'il importe surtout d'éviter. 

2°, Ne pas laisser les besliaux dans les prairies 
lorsque les intempéries de l’automne ont ramolli 
le sol pour éviter que par la pression de leurs pieds, 
ils n’y forment des trous et ne renfouissent les : 
plantes dans la terre. 

3. Curer dans la même saison les fossés et les 
rigoles d'irrigation et réparer avec soin les avaries 
en temps utile afin de rendre les alluvions plus fa- 
ciles, et donner aux eaux l’écoulement nécessaire 
pour éviter des 'immersions trop prolongées et par 
conséquent nuisibles. 

4°. Faire la coupe des foins àl’époque de la florai- 
son des plantes afin de conserver à la tige et aux 
feuilles leur mucilage, c’est-à-dire la partie la plus 
nourrissante. Cette pratique a d’ailleurs l’avantage 
de procurer au fourrage un parfum et une qualité 
qu’ils n’auraient pas si la fauchaison aväit lieu plus 
tard et d'augmenter le produit des regains. 

5. N'engranger les foins que lorsqu'ils sont par- 
faitement secs ct ne les servir aux bestiaux qu'un 
mois ou deux après la récolte, pour ne pas les ex- 
poser aux dangers des maladies inflammatoires que 
pourrait leur occasionner le fourrage qui, selon l'ex- 
pression des cultivateurs, n'aurait pas été suflisam- 
ment ressué. | | 

S 2. 
Des prairies sèches. 
Les prairies naturelles que l’on désigne sous le 


— 227 — 
nom de prairies sèches, sont celles où l'herbe ne 
s'élève pas à une hauteur suffisante pour pouvoir 
être fauchée. Elles ne sont donc utiles qu’à faire pà- 
turer les bestiaux, c’est le seul parti que l’on puisse 
en tirer. 

Ce serait une erreur de penser que l’on doit lais- 
ser ces espèces de prairies sans culture et les aban- 
donner pour ainsi dire à la nature. Leurconservation 
exige aussi des travaux et des soins. Voici ceux que 
l'usage indique comme susceptibles d’améliorerleurs 
produits : 

1°, Pratiquer avec soin l’éxtirpation des plantes 
malfaisantes pour conserver au fourrage une qualité 
qui ne soit pas de nature à porter le désordre dans 
Féconomie animale des bestiaux. Ne pas négliger 
de regarnir les vides résultant de cette opération, 
en y répandant de la semence au printemps et un 
peu de fumier pour empêcher la reproduction des 
plantes arrachées. 

2°, Lorsqu: le sol est appauvri on doit ranimer sa 
vigueur et entretenir sa fertilité en le "recouvrant 
d'un demi pouce environ de bonne terre végétale 
sur laquelle on fera passer la herse et le rouloir pour 
briser les mottes. 

5°. Un soin qui n’est pas à négliger c’est de regar- 
nir les parties dénudées-d’un pré et les endroits où 
Fherbe se trouve trop éclaircie, en y semant dès 
graines de trèfle, de luzerne et de foin ramassées 
dans les greniers. On peut même opérer cette pra- 
üque sur toute l'étendue des prés pour augmenter 


— 228 — 


la masse de leurs produits. On révivifie un pré qui 
vieillit en le renversant avec la bèche ou la pioche, 
ou même avec la charrue. On se sert aussi avec avan- 
tage, pour cette opération, du rouleay coupant dont 
l'usage nous vient des Anglais. 


_ | ar S 3. t 
De la destruction des taupinières et des herbes parasites. 


La taupe est le plus grand ennemi des prairies 

naturelles par les dégats qu’elles y occasionnent en 
creusant la terre et en y formant des espèces de 
bultes ou monticules, qui apportent des obstacles à 
l'opération de la fauchaison. Les herbes parasites 
ne leur sont pas moins préjudiciables, notamment 
la mousse et les plantes à racine pivotante. Il im- 
porte donc au cultivateur de mettre tous ses soins 
à débarrasser ses prairies de tous ces hôtes aussi in- 
commodes que nuisibles. 
_ L'étaupinage se fait ordinairemeat dans la saison 
du printemps. Cette opération consiste à enlever 
avec la houe le dessus des taupinières, et à recou- 
vrir les trous au printemps suivant, en ayant soin 
de rouler le terrain pour en faire disparaitre les 
inégalités, Mais on obtient des résultats plus salis- 
faisants et surtout beaucoup plus économiques en 
main-d'œuvre et en temps, de l’usage d’un instru- 
ment en forme de herse,. que l’on traine sur les 
prairies avec des chevaux, et au moyen duquel on 
aplanit toutes les buttes ou monticules produites 
par le travail des laupes. 


— 229 — 


Les inconvénients de la mousse sont d’appauvrir 
l'herbe des prairies, de nuire à sa végétation et de 
la rendre chétive. C’est une des principales sources 
de leur dépérissement. Il faut donc faire tous ses 
efforts pour en opérer la destruction.On y procède 
avec succès, en se servant d’un rateau ou d’une 
herse à dents de fer rapprochées les unes des autres. 
Cette opération se pratique ordinairement pendant 
le temps de la morte saison. 

Quant aux plantes à racine pivotante, on se sert 
pour les extirper, d’une espèce de petite bèche, au 
moyen de laquelle on opère leur extraction. 


_ S4 | | 
De l'amendement des prairies naturelles. 


Le moyen le plus efficace de fertiliser les prairies 
naturelles est comme pour les terres, d’y répandre 
des engrais et des amendements. Un objet impor- 
tant pour le cultivateur est d’avoir des prairies riches 
en pâturages, afin de pouvoir élever une plus grande 
quantité de besliaux. D'ailleurs, la prospérité des 
animaux domestiques est essentiellement liée à la 
quantité du. fourrage qui sert à leur alimentation; 
or, nul doute qu’il sera toujours plus abondant, 
plus nutritif. et plus succulent dans les prairies en- 
richies de bonnes fumures, et qui auront reçu des 
amendemnts justement appropriés à leur nature. 

Tous les engrais et amendements employés pour 
les terres, sont également applicables aux prairies, 
et y opèrent Îles mêmes cflets, qui sont d’y déposer 


— 230 — 


des sucs nourriciers, d'activer la végétation , et d’im- 
primer au terrain plus de vigueur, d'énergie et de 
fertilité. On obtient de bons résultats de l'emploi 
des fumiers, de la marne, de la chaux et des cen- 
dres de tourbe, de lessive et de houille, en ayant 
soin de les approprier à la nature des sols sur les- 
quels on se propose de les utiliser. Le limon, que 
les irrigations déposent sur les prairies est aussi un 
amendement qui leur est très favorable, 

Les engrais ont aussi la propriété de eontribuer 
à la destruction de la mousse, et sous ce rapport, il 
est du plus grand intérêt pour le cultivateur de ne 
pas négliger de les répandre sur les prairies pour 
les assainir et améliorer leurs produits. 


CHAPITRE 0. 


Dusoin des animaux domestiques attachés à l’économie 
. rurale. 


Les animaux domestiques attachés à l’économie 
rurale sont , pour ainsi dire, l’une des principales 
colonnes de l’agriculture. C’est la force motrice des 
exploitations agricoles. Auxiliaires nécessaires et 
indispensables de l’agronome , il n’est point sans 
eux de culture possible. Les services qu'ils rendent 
au cultivateur contribuent puissamment à féconder 
ses champs , multiplier ses produits , et par consé- 
quent à augmenter son bien-être. Ils doivent donc 
être sans cesse l’objet de tous ses soins, de sa sur- 
veillance et de sa sollicitude, puisqu'ils sont pour 
lui upe source de richesse et de prospérité. 


— 231 — 


Un fait incontestable en économie rurale, c’est 
que la santé, la vigueur et la bonne constitution des 
animaux domestiques, sont essentiellement liées à la 
nature et à la qualité de leur régime alimentaire. La 
nourriture doit toujours être saine et dans le meilleur 
état de conservation. La quantité des alimens doit 
aussi être sagement proportionnée à l’âge, à l'espèce 
et à la constitution des animaux. Il convient de satis- 
faire leur appétit sans surcharger leur estomac outre 
mesure, pouréviterde produire chez eux le dégoût et 
la satiété , et surtout pour prévenir les indigestions 
qui en seraient les résultats. La distribution des ali- 
ments doit donc être faite sans prodigalité, comme 
sans parsimonie, à des heures fixes et bien réglées, 
Une abstinence trop prolongée porterait les ani- 
maux à se jeter avec tant de précipitation sur leurs 
provisions, que l’avidité avec laquelle ils mange- 
raient, nuirait au travail de la digestion et les in- 
commoderait. Les fourrages peuvent être servis vert 
ou secs, ils profitentégalement bien aux bestiaux dans 
l’un comme dans l’autre état, pourvu qu'ils soient 
de bonne qualité et aient été récoltés pendant un 
temps favorable. Il faut avoir soin de nc pas vouloir 
surmonter leur répugnance pour une nourriture 
altérée par le temps ou imprégnée de poussière. On 
aiguise l’appétit des bestiaux en apportant de la va- 
riété et du changement dans l'espèce des alimens 
qu’on leur distribue. Une méthode utile consiste 
aussi à alterner pendant l'hiver, les fourrages secs 
avec les végétaux à racines charnues : tels que la 


— 252 — 


betterave, le navet, la carotte, la pomme de terre et 
autres du mème genre. La transition du fourrage 
sec au fourrage vert, ne doit pas être brusque, mais 
avoir licu par degrés, parce que la nature du four- 
rage n'étant pas la même dans l’un ou dans l’autre 
_ élat, il importe de disposer insensiblement les ani- 
maux à supporter les effets du changement de nour- 
rilure. On y parvient en ajoutant chaque jour -au 
fourrage sec une portion d'herbe nouvelle, fraiche. 
ment recucillie. Le retour au régime d'hiver exige 
pareillement des précautions qui consistent à servir. 
aux bestiaux des sons farineux légèrement humectés. 
On doit préférer, parmi les fourrages verts, le trèfle, 
le sainfoin, la luzerne, l’escourgeon et le seigle, mais 
il faut se garder de les donner mouillés ou dans un 
état d'humidité et de fermentation. On ne doit pas 
non plus laisser les troupeaux pâturer l’herbe im- 
prégnée de rosée ou de pluie. Enfin, lorsque les ani- 
maux se livrent à un travail pénible, assidu et pro- 
longé, il convient de leur donner une nourriture 
plus forte; c’est en effet un principe généralement 
admis, que leur ration doit être augmentée en pro- 
portion des services et des travaux que l'en veut 
ebtenir d'eux. Telles sont les principales indications 
à remplir dans le régime alimentaire à suivre pour 
conserver et maintenir la santé et le bon état des 
bestiaux. à 

La boisson des animaux doit aussi être l'objet 
d’une attention particulière de la part du cultiva- 
teur. On ne doit leur servir que des eaux pures et 


— 233 — 


limpides. Les eäux fangeuses, corrompués ou crou- 
pissantes, sont insalubres et nuisibles. Leur usage 
offre de graves dangers en disposant les bestiaux à 
contracter des ‘obstractions et des maladies. Les 
eaux provenant de la fonte des neiges ne sont pas 
non plus sañs inconvénient. C'est une méthode vi- 
cieuse de conduire les bestiaux à l’abreuvoir quand 
ils sont échauffés par le travail et surtout lorsqu'ils 
se trouvent en état dé transpiration. Il n’est pas 
moins dangereux de leur donner à boire des eaux 
froides ou trop crues, et de les abreuver aux sources 
mêmes. Enfin, il convient en tous temps, de ne 
donner que l’eau nécessaire pour désaltérer les bes- 
tiaux, sans les laisser se gorger d’une trop grandé 
quantité de liquide. | | 
: L’habitation des animaux domestiques doit être 
saine, commode et bien aérée, Leur santé exige que 
le terrein où ils reposent soit sec et autant que pôs- 
sible élevé. Ils ne doivent point être irop résserrés 
ni gènés dans leurs mouvements. Il faut se garder 
de les entasser pour ainsi dire les uns sur les autres 
pour leur éviter de se nuire réciproquement. Leur 
logement doit être en proportion de leur nombre 
pour qu'ils puissent y jouir d’une certaine hberté ct 
y respirer à leur aïse et avec facilité. L'air doit étre 
renouvelé fréquemment. Le mème air finirait par se 
corrompre et nécessairement par altérer la sté des 
animaux. Ceux - ci doivent toujours être tnus dans 
le meilleur état de propreté possible, ilén doit être 
de même des auges, mangcoires etrat4iers destinés 


30. 


— 23h — 

à recevoir leurs provisions. Les fumiers doivent être 
enlevés chaque jour avec soin. Les étables et écuries 
doivent être nettoyées de manière à ce que les or- 
dures des bestiaux ne puissent, par leur séjour, y 
établir un foyer de putréfaction. Le repos étant né- 
cessaire aux animaux, il faut éviter soigneusement 
de les troubler et éloigner d’eux tout ce qui pourrait 
les chagriner ou les inquiéter. La tranquillité leur 
est nécessaire pour qu'ils puissent se livrer au repos 
dont ils ont besoin pour réparer leurs fatigues et 
leurs forces épuisées par le travail. Il ne faut pas non 
plus négliger les soins de propreté dont les bestiaux 
ont besoin chacun suivant son espèce. Il importe 
donc que les pansements usités soient faits exacte 
ment pour d'autant mieux faciliter la circulation du 
sang et surtout pour prévenir les maladies de la 
peau. | 

La première indication à remplir quand un ani- 
mal se trouve atteint d’indisposition, c’est de le sé- 
parer des autres et de l’isoler dans une étable pour 
qu'il puisse y jouir à l’aise du repos qui lui est né- 
cessaire. C’est ensuite de lui administrer les secours 
que son état réclame, car il est évident que les ma- 
lédies les plus simples dans leur principe peuvent 
s'aggraver par la négligence et le défaut de soins au 
point d’ôter tout espoir de guérison. 

En dénière analyse, quoique les animaux domes- 
tiques soitnt en général d’une constitution beaucoup 
plus robuste et plus agreste que celle de l’homme, 
ils sont néanmnins soumis comme lui à des affections 


— 235 — 


morbifiques dont la plupart sont dues au défaut de 
soins, aux mauvais traitements, et le plus souvent 
aux vices du régime alimentaire. Tout propriétaire 
attentif doit donc avoir constamment pour règle de 
veiller sans cesse à ce que ses préposés ne négligent 
rien de ce qui peut contribuer à maintenir la santé 
de ses bestiaux. Il suffit, en effet, très souvent, de 
quelques précautions hygiéniques pour préserver 
les bestiaux d'une foule de maladies. 


OBSERVATION 
OPÉRATION CÉSARIENNE, 


PRATIQUÉE AVEC SUCCES , POUR LA MÈRE ET POUR L ENFANT, A L'HOSPICE 
DE LA MATENNITÉ L'ARRAS, LE 24 avaic 4836, 


Par A.-R.-P. DUCHIATEAU, 


Docteur en Médecine, Chirurgien en chef des hospices d'Arras, 
Professeur à l'Ecole de Médecine et à celle de Maternité de la 

_ même ville, Chevalier de l'ordre royal de la Légion-d'Hon:- 
neur, membre résidant. 


Stéphanie Brassart, née et domiciliée à Arras, est 
la dernière de six enfants, dont cinq sont morts en 
bas-âgce quoique nés d’un père et d’une mère bien 
constitués. Elle cst âgée de vingt-deux ans et demi : 
sa taille est de quarante-trois pouces et elle est tra- 
pue présentant l'aspect d’une rachitique; sa mâchoire 
inférieure croise sur la supérieure sans lui donner 
unc figure repoussante. Sa colonne vertébrale est 
très-convexe sur sa partie antérieure, ses omoplates 
se rapprochent beaucoup du bassin, surtout le droit 


— 9237 — 


qui est plus développé, les clavicules sont très-pliécs, 
les avant-bras sont très-convexes sur le bord cubital, 
les mains grosses, les cuisses très-courtes, les jambes 
très-convexes vers leur partic antérieure. Elle jouis- 
sait, à l’époque de son entrée à l’hospice, d’une 
bonne santé. 

Les renseignements que nous nous sommes pro- 
curés, nous ont appris qu’elle avait été réglée à dix- 
huit ans abondamment et régulièrement tous les 21 
à 24 jours pendant trois jours. Il parattrait qu’elle a 
été affectée dans sa jeunesse d’une maladie nerveuse. 
Elle exerçait l’état de dentellière depuis sa sortie de 
l'enfance. L'ayant vue à l’hospice de la maternité où 
elle s'était présentée pour se faire saigner dans le 
huitième mois de sa première grossesse, et frappé 
de son aspect extérieur, je crus nécessaire de m'as- 
sucer par tous les moyens d'investigation de l’art 
de l’état du bassin, et j'ai reconnu avec M®*° Delarue, 
maitresse sage-femme de cet établissement, que les 
crêtes des os des îles étaient placées sur la même 
ligne, et qu’il y avait depuis une épine antérieure et 
supérieure jusqu’à l’autre huit pouces neuf lignes ; 
que l'angle sacro-vertébral se portait vers le pubis 
et un peu à droite ; que le détroit supérieur n'avait 
que deux pouces dans son diamètre antéro-posté- 
rieur. Stéphanie Brassart est revenue à l'hospice le 
25 avril, étant au terme de l’accouchement naturel 
et se plaignant d’éprouver des douleurs de reins sans 
autre phénomène de l’accouchement; mais le 24, à 
cinq heures du malin, elle éprouva des douleursplus 


— 238 — 


fortes, et M*° Delarue reconnut que le travail de 
l’enfantement commençait. Les douleurs se succé-. 
daient lentement. À six heures , l’orifice de l'utérus. 
se présentait dévié à droite et en avant avec une di- 
latation de 10 à 12 lignes. Les membranes commen- 
caient à bomber, mais aucune partie de l'enfant 
n’était accessible au doigt explorateur. Je prescrivis 
un Javement et un bain général. Je convoquai en 
même temps pour neuf heures tous mes collègues, 
de l'Ecole de Médecine et fis préparer tout ce qui 
était nécessaire pour l'opération. À leur arrivée , la 
position de Stéphanie Brassart n’était pas changée 
et le travail étant bien constaté, tous mes collègues 
présents ont reconnu avec moi la nécessité d’une 
opération immédiate. | 

Je la fis transporter dans la salle d'opération , et 
en leur présence et celle de MM. les officiers de santé 
civils et militaires de l’hospice, et de plus desoixante 
élèves de l'Ecole de Médecine, de M"° Delarue et de 
nos élèves de la maternité, j’ai fait placer Stéphanie 
Brassart dans un lit sur un sommier de crin garni 
d'alaises nécessaires, la tête légèrement fléchie en 
avant, le corps dans une position horizontale , les. 
jambes et les cuisses un peu écartées et les pieds sur 
le bout du lit. Ayant introduit une algalie dans la 
vessie, je la trouvai entièrement vide. J'étais assisté 
de MM. Plichon, Dupuich, Mienné et Lescardé. M. 
Plichon était à la droite, M. Dupuich placé entre les 
extrémités inférieures et destiné à maintenir la di- 
recuon de l'utérus, M. Mienné placé à gauche pour 


— 239 — 
maintenir l’abdomen; je me plaçai à la gauche de 
la malade, les aides ayant des éponges humides ten- 
daient les parois de l’abdomen sur l’utérus. Avec un 
bistouri convexe sur son tranchant j'ai dirigé mon 
incision partant de deux pouces au-dessus du pubis, 
se dirigeant sur le trajet de la ligne blanche et en 
passant un peu sur la partie gauche, en évitant de 
léser l’ombilic, et se terminant à deux pouces et de- 
mi au-dessus de l’ombilic. Gette première incision 
avait divisé la peau et le tissu cellulaire ; plusieurs 
incisions pratiquées dans la même ligne mirent à 
découvert les différentes couches aponévrotiques ; 
bientôt nous aperçûmes le péritoine sur la partie 
supérieure de l’incision, il fut ouvert avec précaution 
après l’avoir soulevé à l’aide d’une pince à disséquer; 
le fluide péritonéal s’échappa , et avec un bistouri 
droit et boutonné guidé par le doigt indicateur, je 
divisai cette membrane ainsi que le reste des apo- 
névroses, suivant la direction de l’incision primitive. 
L'épiploon se présenta d’abord: il était très long et 
recouvrait complètement l'utérus et les intestins. 
Nous le relevämes; il fut maintenu par M. Mienné 
au-dessus de la matrice ainsi que quelques anses 
d'intestins grèles, qui s'étaient échappés à la partie 
supérieure de l’incision par suite des efforts que la 
malade avait faits. Je m’assurai alors de la position 
de l'utérus à l'égard de l'ouverture abdominale. 
Ayant reconnu que son centre se trouvait dans le 
milieu de l’incision des parois de l’abdomen et fixé 
par les aides, je fis une incision avec un bistouri lé- 


— 20 — 


gèrement convexe, et à chaque seclion on voyait les 
fibres de la matrice s’écarter à fur et mesure qu’elles 
étaient divisées; aussitôt qu’une seclion eut divisé la 
face interne de la matrice, il partit de son centre un 
jet de sang très noir qui me fit reconnaître que le 
placenta se trouvait à l'endroit de l’incision; je di- 
Jlatai de suite l’ouverture à l’aide du bistouri bou- 
tonné. La partie inférieure de l’incision nous a pré- 
senié les membrannes de l'œuf que j’ouvris immé- 
diatement, comme je l'avais fait à l'égard du péri- 
toine, et les aides prirent les précautions nécessaires 
pour que le fluide amniotique ne s’épanchât pas 
dans la cavité de l'abdomen. Avec la main droite je 
refoulai le placenta en partic détaché du côté droit. 
Nous vimes alors l'enfant; il était dans la première 
position du sommet de la tête. Je saisis les jambes 
avec la main droite et le tronc avec la main gau- 
che ; je le dégageai de l'utérus ; il fit entendre aussi- 
{ôt son premier cri, et la section du cordon ombilical 
étant faite, l'enfant fut remis entre les mains de 
M": Delarue. Ilétait du sexe masculin et du poids de 
six livres quatre onces. | 

Nous attendimes environ trois minutes. Voyant 
l'utérus revenir sur lui-mème, je saisis le cordon 
ombilical avec la main gauche. J’achevai de le déta- 
cher avec la main droite et l’enlevai avec ses mem- 
brannes par l’incision, J’enlevai avec soin ct avec la 
main tous les caillots et les fluides que ce viscère 
renfermait. Le doigt indicateur fut introduit par la 
plaie dans le col de l'utérus qui était souple et di- 


— 2h1 — 


laté du diamètre d’une pièce de cinq francs. M. Du- 
puich y introduisit le doigt par-le vagin el il rcjoi- 
gnit le mien ; nous acquimes ainsi la certitude que 
les fluides n’éprouveraient aucun obstacle pour en 
sorbr, mais que le promontoire faisait bien la saillie 
qui nous avait déterminés à faire l'opération. 

La matrice étant bien coniractée, après avoir lavé 
les parties voisines avec une décoction de guimauve, 
nous réunimes les bords de la plaie abdominale avec 
trois points de suture enchevillés; on avait placé un 
séton enduit de cérat à l'angle inférieur de la plaie; 
cinq longues bandelettes agglutinatives, placées en- 
tre les points de suture, achevaient de maintenir les 
bords de la plaie réunis, une compresse fénestrée et 
cératée recouvrit toute l’incision. De la charpie,. des 
compresses et un bandage de corpsméthodiquement 
appliqué, achevaient de compléter le pansement. 

_ L'opération entière a duré environ vingt minutes. 
Aucune artère n’a été divisée, et Stéphanie a déployé 
endant cet espace de temps, ainsi que dans la suite, 
Rae de courage et de résignation. Placée en- 
suite horizontalement dans un autre lit du même 
appartement, on lui administra une potion cal- 
mante. (Éau de laitue 4 onces, eau de fleur d’oran- 
ger 2 gros, laudanum de Rousseau ro gouttes, sirop 
de violettes 2 onces.) | | 

Première journée après l'opération. Deux heures 
de calme. À midi douleurs aiguës dans la région 
iliaque droite. Application de quinze sangsues loco 
dolente. Soulagement prononcé. À quatre heures 

51. 


— 92h2 — 

vomissement de matières porracées. Grande agita- 
tion. À six heures douleurs vives entre les épau- 
les. Pouls donnant cent pulsations par minute, éva- 
cuation de lochies par le vagin, face colorée toute 
là nuit jusqu’à cinq heures. Délire fugace. Conti- 
nuaüon de vomissement. { Potion de Rivière. ) 

_ Deuxième journée. Vomissement. Pouls fort, vif 
et accéléré ; on lève l’appareil le matin; une por- 
tion de l’épiploon sortie à l'angle supérieur de la 
plaie, on en fait aisément la réduction et on la main- 
tient avec une bandelette agglutinative, le ventre est 
couvert d’un large cataplasme. Diminution de la 
douleur et des vomissements. Deux heures de som- 
meil pendant la nuit. Au réveil toux et forte oppres- 
sion. Deux saignées dans la matinée. (Eau de gom- 
me, looch blanc.) 

Troisième journée. Les lochies coulent. Douleurs 
abdominales moins vives. L’oppression diminue, la 
nuit est calme. Deux heures de sommeil. Au réveil 
quatre selles très-fétides. (Lavement de graine de lin 
et de têtes de pavots. Cataplasmeémollient renouvellé 
de six heures en six heures.) oo 

Quatrième journée. Le matin on lève l'appareil, 
la suppuration s'établit. On renouvelle les bande- 
lettes agglutinatives. (Mème régime, nuit très-calme; 
plusieurs heures de sommeil.) | 

Cinquième journée. Un peu d’assoupissement. 
Douleurs entre les épaules et à la jambe gauche. 
(Frictions éthérées. Deux demi-lavements. Injection 


— 2h53 — 
dans le vagin avecune décoction émolliente, sommeil 
dans la nuit.) 

. Sixième journée. Goliques, toux, céphalalgie , 
douleurs au côté pendant la nuit. Trois selles de 
matières porracées. ( Eau de riz édulcorée avec du 
sirop de gomme. Deux demi-lavements. ) 

Septième journée. Toux, expectoration, désir de: 
prendre des aliments. Sommeil de plusieurs heures. 
Bien-être général. ( Eau de poulet, ds crèmes au 
riz, eau de riz édulcorée. ) 

Huitième journée: Mème état, même régime. 

Neuvième journée. Bien-être général, deux selles, 
point de fièvre; désir du café au lait, qu’on satisfait; 
crème au riz. On lève l'appareil, on enlève les points 
de suture et le séton ; une grande partie de la plaie 
est adhérente, la partie inférieure laisse écouler un 
peu de pus, surtout dans les accès de toux ; onréap- 
plique des losgues bandelettes agglutinatives, et on 
recouvre le tout d’un large cataplasme qu'on renou- 
velle chaque jour le matin et le soir. 

Dixième journée et suivantes jusqu’à sa guérison 
qui a eu lieu le vingt-deuxième jour. On a continué 
les cataplasmes, on a réprimé les chairs baveuses 
avec le nitrate d'argent, et le régime alimentaire a 
été augmenté progressivement. Les fonctions avaient 
lieu d’une manière naturelle, La gaîté revenait cha- 
que jour. Vers le quinzième il y eut œdème général. 
Je prescrivis une infusion de pariétaire nitrée et de 
vin de Grave. Les urines devinrent plus abondantes, 
l'œdème disparut et la guérison fut opérée ; Stépha- 


— 2h — 


pie commença dès-lors à se lever, se promener dans 
les appartements et ensuite dans le jardin de l’éta- 
blissement. Soïxante-trois jours après l'opération , 
elle assistait dans un élat de santé parfait à la distri- 
bution de prix faite aux élèves sages-femmes de la 
maternité, le :5 juin dernier, et elle est sortie le 
même jour de l'hospice. L'enfant se porte bien; il a 
été placé en nourrice par les soins de l’administra- 
tion des hospices, car la mère n’a eu aucune sécré- 
tion laiteuse. 


NÉCROLOGIE. 


DISCOURS 


PRONONCÉ LE 928 ocToBRE 1839, 


Par M. LUEZ, membre résidant : 


AU CUNVYOI FUNEBRE 
DE M. LETOMBE, 


ARCHITECTE DU DÉPARTEMENT DU PAS-DE-CALAIS, 


CHEVALIER DR LA LÉGION D'HONNEUR , MEMBRE RÉSIDANT. 


EC ne 


Messieurs, 


Il y a quatorze mois que la société académique 
d'Arras éprouva, pendant l’une de ses séances, une 
vive commotion. Elle suspendit ses travaux et ne 
s'occupa que de ses alarmes; elle venait d'apprendre 
que M. Letombe, l’un de ses membres, était subi- 
tement frappé d’une lésion organique qui menaçait 
ses jours et qui paraissait trop grave pour être com- 
battue par la science humaine. 

Depuis ce moment, tous les collègues, et par con- 
séquent tous les amis de M. Letombe, ont vécu, 


— 2h6 — 


comme lui, de ses douleurs et de ses espérances, ils 
ont partagé toutes les inquiétudes et toutes les illu- 
sions que son état faisait naître alternativement ; et 
cette existence si remplie d’impressions différentes, 
si péniblement active pour la douleur et pour la 
joie, est finie aujourd'hui pour lui comme pour 
nous. Pour lui, parce qu’il commence à vivre sons 
une condition plus parfaite; pour nous, parce que la 
preuve de sa perte rattache à d’autres infirmités le 
sentiment de notre existence. 

Dans cette séparation, ce n'est pas lui que nous 
venons plaindre. Il a sur nous l'avantage d’être 
quitte envers la destinée de l’imperfection de cette 
vie, et de connaître jusqu’à l’évidence réelle la vé- 
rité que nous ne savons où trouver. Lui, qui a tou- 
jours vécu de l'amour des sciences et des arts, il 
connaît maintenant la source de toutes les perfec- 
tions . il comprend toutes les harmonies, il a le se- 
cret de toutes les formes, de toutes les lignes, de 
toutes les pensées, de toutes les inspirations, oh! 
non, ce n'est pas lui que nous devons plaindre; 
mais bien nous qui restons dans la nuit des con- 
jectures et des recherches, dans l'incertitude des 
méditations, et qui de plus avons à le regretter tou- . 
jours. ; 

Pour comprendre nos regrets, il suffit de savoir 
ce qu'il fut. | 

Né à Versailles en 1782, Charles Letombe fixa ses 
premiers regards sur l’un de nos chefs-d’œurvre d’ar- 
chitecture. Ce fut pour lui le premier aliment de 


— 92h47 — 

son âme. Après avoir amassé les connaissances ma- 
thématiques et littéraires qui pouvaient soutenir ses 
pas, il entra à l’école d'architecture et s’y fit remar- 
quer par ses progrès et ses succès. Quoique jeune 
encore, il reçut du gouvernement consulaire une 
mission pour l'Allemagne, dans laquelle, il se livra, 
huit ans entiers, à des travaux importants. Il passa 
ensuite en Hollande, y dirigea pendant trois ans la 
partie de l’administration relative à son art, et ne 
rentra en France que lorsque l’Europe armée l’y 
contraignit, par cette invasion compressive qui allait 
renverser la puissance la plusformidable du monde; 
mais dans cette nouvelle position, enlevé à ses 
” études sur l’architectonique , il ne voulut pas que sa 
vie fut stérile pour sa patrie, il prit une part active 
en 1814, à la défense de Paris, et ce fut dans cette 
nouvelle mission, que son patriotisme s'était donné 
spontanément, qu'un éclat d'obus vint le frapper à 
la jambe, et donna à son allure cette gène légère 
que nous lui avons connue. Cependant la restaura- 
tion ne vit en lui que ses talens, elle le nomma ar- 
chitecte du département du Pas-de-Calais vers la fin 
de 1815, et dans la crainte que cette faveur ne fût 
au-dessous de son mérite, elle y joignit la croix 
d'honneur qu’il avait méritée en la combattant. 

Depuis 1815, Letombe ne nous a point quittés, il 
s’est regardé comme né parmi nous, il est devenu 
notre compatriote, il a étendu la chaleur de ses affec. 
tions à chacun de nous. Il semblait avoir le pressen- 
timent que le reste de sa vie nous appartiendrail. 


L — 218 — 


Nous lui avons quelquefois donné des preuves de 
hotre reconnaissance; aujourd’hui nous lui en de- 
vons de notre justice. En qualité d'artiste, Letombe 
a dû regarder comme un avantage d’être appelé à 
l'architectonique civile du Pas-de-Calais, puisque, 
indépendamment des travaux nombreux que lui pré- 
paraient les différentes villes du département et qu'il 
a exécutés avec habileté, :il devait trouver au chef- 
lieu un édifice inachevé, qui avait perdu sa première 
providence, et qui la redemandaitäun grand talent, 
Placé en face du monument de St-Vaast, Letombe 
se retrouva devant toutes les images et toutes les idées 
de ses premières études. Il avait toujours préféré 
l'antique aux plus beaux chef-d’œuvres du moyen- 
âge, et c'était à l'antique qu'il devait offrir toutes ses 
inspirations, jusqu’à son dernier soupir. La critique 
peut dire aujourd'hui de quelle manière il a terminé : 
cette grande œuvre, mais avant de juger, elle doit 
chercher à connaître les difficultés innombrables 
que présentait l’entreprise. S'il les a surmontées en . 
grande partie, c’est que dans toutes ses veilles, dans 
toutes ses méditations, iln'’a réellement va que l’art, 
qu'il lui a sacrifié toutcs les autres considérations, 
et c’est bien en effet le trait moral de son caractère. 
11 avait trop de désintéressement pour obéir à une 
autre puissance. L'art avait un tel empire sur lui, 
qu'il lui inspirait un zèle, une ardeur, une activité 
imdomptables, qu’il conserva jusqu’à ses derniérs 
moments et jusque dans ses plus vives douleurs. 

C’est que son âme était aimanie. Letombe a aimé 


— 2h19 — 


l’art comme il a aimé ses semblables avec constance, 
et même avec bonheur. Regardez autour de lui, vous 
n'y verrez que des objets d'une tendre et pure affec- 
tion, sa douce compagne, ses parents, ses amis, son : 
estimable éléve, ses collègues, il avait assez d'amour 
pour tous. Ce sentiment était inépuisable dans son 
cœur; il aimait jusqu’au péril de protéger nos pro- 
priétés contre les ravages de l'incendie.' Vailà l’ar- 
tiste, voilà le savant que la société royale d’Arras 
perd et regrette; voilà l’homme et le citoyen que les 
habitans du Pas-de-Calais et particulièrement ceux 
d'Arras, doivent honorer avec nous d’un long sou- 
venir. 


: M. Letombe fut pendant long-temps capitaine en second de 
Ja compagaie des sapeurs-pompiers de la ville d'Arras. 


92. 


TEMPÉRATURE MOYENNE 


DE L'ANNÉE 4835, 
ESTIMÉE PAR LA MOYENNE DU MOIS D'OCTOBRE , 


Par M. LARZILLIÈRE, membre résidant. 


——ÆEfpnu— 
Moyenne des Températures Moyenne de: Températures 
du lever du s., de 2 b., maximum et miuimum 
Ocroser. et du coucher dus. de 1a journée. 
ee 14 13, 9 
2 14, 15, 9 
3 12, 1 | 7, 8 
4. 11 7» 2 
5. 11 10, 9 
6. 11,1 10, 2 
7. 11,7 10, 9 
8. 10 | 8, 8 
9. 12 12 
10. 10 10, 1 
11. 6, 5 6, 1 
12. 7, 6 7, 9 
19. 11,1 10 


14. 12,9 15 


— 9251 — 


Moyenne des Températures Moyenne des Températures 
du lever du s., de 2 h., maximum et minimum 
Ocrouns. et du coucher dus. de la journée. 
19. 9, 6 9» 1 
16. 8, 5 24 
17. 8, 9 8 
18. 5, 6 5. 
19.. 5, 5 4, 5 
20... 7, 9 7 
21. 7, 8 8 
22, | 7, 1 6, 4 
29. 9; 9. 8, 8 
24. 7. 9 
29. 11 10 
26. 10, 4 50, 7 
27, 6, 3 6, 3 
28. 9, 9 2, 2 
29. 6, 2 9, 4 
30. 8, 3 7» 9 
31. 7, 9 8, 3 
MOYENNE. 
Du 1° au 10. 11,7 10, 5 
Du 11 au 20. 8, 3 7, 7 
Du 21 au 51. 8 7, 8 
Moyenne définitive 9, 3 | 8, 7 


NOMS DES AUTEURS 


QUI ONT OBTENTS AU CONCOURS DES MENTIONS HONOR ABLES. 
"4 O0 Ve 


La Société a décerné une mention honorable à 
M. Victor Cuasé de Cambligneul, pour son mémoire 
sur l'Agriculture. 


Elle a aussi accordé une mention honorable à 
M. Danxuiëre , professeur au collége de Saumur, 
auteur du poëme intitulé : La Sœur du Prisonnier. 


PROGRAMME 
DES SUJETS DE PRIX, 


POUR ÊTRE DÉCERNÉS EN 18906. 


L'académie d'Arras propose pour prix à décerner 
‘en 1836, les sujets suivans : 
| MORALE PUBLIQUE. 

Exposer l'influence que les associations de tempérance 
exerceraient sur les mœurs françaises, et déterminer les 
moyens de les organiser. 

Prix : Médaille en or de 200 fr. 

* ÉCONOMIE PUBLIQUE. 

Quels seraient Les avantages industriels quirésulteraient 
pour les départemens du nord de la France de la tulture 
du mürier et de l'éducation du ver & soie; et quels se- 


raient les moyens de les propager ? 
Prix : Médaille en or de 200 fr. 
AGRICULTURE. 


Quelles sont Les causes de la lenteur avec laquelle s'o- 
pérent dans plusieurs arrondissemens du département 


— 95h — 
du Pas-de-Calais, l’extention et le perfectionnement 
des cultures ? ; 
Prix : Médaille en or de 200 fr. 
POÉSIE. 


Une pièce de 200 vers au moins sur un sujet dont le 
choix est laissé aux concurrens, 
Prix : Médaille en or de 200 fr. 


CONDITIONS GÉNÉRALES. 


Les ouvrages envoyés au concours pour 1836, de- 
vront être adressés, franc de port, à M. le secrétaire 
perpétuel, et être parvenus avant le 1° juillet, terme 
de rigueur, 

Les concurrens ne se feront connaître ni directe- 
ment, ni indirectement : ils joindront à leur ou- 
vrage un billet cacheté qui contiendra leurs noms, 
prénoms, qualités et domicile, et indiquera exté- 
rieurement l’épigraphe mise en tête de l'ouvrage, 
envoyé au concours, afin d'éviter toutes erreurs. 

Aux termes du réglement de la Société royale, . 
on ne fera l'ouverture que des billets applicables 
aux ouvrages couronnés honorablement, et elle aura 
lieu en séance publique ; les autres billets seront 
brûlés sans être ouverts. 

La Société ne rendra aucun des ouvrages qui lui 
auront été adressés. 

Les membres résidans et honoraires sont seuls 
exclus du concours. 

Hansaviize, président. 
T. Connie, secrétaire perpétuel, 


Liste 


DES MEMBRES RÉSIDANS, 


Le Lait Royal d' Ans, 


Au 1‘° Janvier 1836, 
PAR ORDRE DE RÉCEPTION. 


—"D@D—— 
MM. 
PRÉSIDENT. 
HarBaviLre , conseiller de préfecture. 
CrANCELIER. 
A de UE DL en à 
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL. 
Connie, président du tribunal civil. 
| VICE - CHANCELIER. 
LAMARLE, ing’. au corps royal des ponts-et-chaussées. 
| ARCUIVISTE. 
Bizzer, avocat, membre du conseil général. 


SECRÉTAIRE-ADJOINT. 
BRÉGEAUT, pharmarien , professeur à l’école secondaire 
de médecine. 


_ 


ARCUIVISTE-ADJOINT. 
Cot1x (Maurice), négt., membre du conseil municipal. 
MEMBRES RÉSIDANS. 


Baron d'HerziNcourT, propriétaire. 

Ducuareau, docteur-médecin. 

B. J. Lazarr, propriétaire. 

Cresrez-Deurisse, fabricant de sucre indigène. 
TRELLIER DE SARS, propriétaire. 

Lepucq, juge de paix. | | 
Rarreneau De Lise, ingn' en chef des ponts-et-chaus. 
Léon D'HerLincourT, propriétaire. 
Dupourr,”"maire d'Arras. 

F. Decrorce, rédacteur en chef du Progrès. 
Dassonvizze, docteur en médecine. 

Lepuca, avocat. 

AuDisERT, professeur. 

Cn. WaRTELLE, propriétaire. . 
-Luez, avocat. 

LarziLLIÈRE, professeur. 

THIBAULT, avoué. 

Servarrus, colonel de la gendarmerie. oo 
Esnaur, propriétaire, membre du conseil municipal. 
DorLENCOURT, jeune. avocat. 
Cosre-Cresrez, fabricant de sucre indigène. 


RES 


ERRAT 4. 


£ Page 179, ligne 11, au lieu de l'honneur, lisez : l’homme des 
champs.— Page 213, ligne 10, au lieu de nature à la mettre, lisez : 
de nature à le mettre. — Page 218 , ligne 23, au lieu à la, lisez : 
à sa. — Page 223, ligne 5 , on peul le récolter , lisez : on peu la 


récolter. | 


D > 
Pages. 
Discours d'ouverture. . . . . . . . . Dép eouT 
Rapport sur le concours d'agriculture . . . . . RE 
Fable. ( L’épi de blé et le bluet). . . . . . . .. 31 
Économie publique (de l'éclairage au Gaz). . . . 34 
Fable. (le pauvre et Île trésor). . . . .. . . .. 45 
Rapport sur les remplacemens militaires. . . .. 49 
Mémoire sur les remplacemens militaires . . . . 58 
Rapport sur le concours de poésie. . . .. Hire 97 
La sœur du Prisonnier. . . . . . .. ss... 105 
Les derniers momens d’une jeune fille . . . . . . 111 
Rapport sur le projet de canal d’Arras à Boulogne. 125 
Manuel élémentaire d'agriculture . . . . .. + 160 
Observation d’une opération césarienne. . . .. 236 
Nécrologie in ss susmersbéustes 245 
Température moyenne de l’année 1835. . ... 250 
Noms des auteurs qui ont obtenu au concours 
des mentions honorables . . ......... 253 
Programme des sujets de prix pour être décernés 
en 1090: série ties es es... 253 
Liste des Membres composant la Société royale | 
AAFTASS 5 1 6255 et — 255 


Arras. — J. DEcEoRGE , Imprimeur. 


(4, 413 


Digitized by Google